La bataille de Poitiers, qui se déroula le 19 septembre 1356, fut la deuxième grande bataille de la guerre de Cent Ans (1337-1453) après Crécy (1346) et, une fois de plus, ce furent les Anglais qui l'emportèrent. Édouard le Prince Noir (1330-1376), fils d'Édouard III d'Angleterre (r. de 1327 à 1377), remporta la victoire en grande partie grâce à la puissance redoutable de l'arc long, à l'excellent positionnement défensif d'Édouard et à une utilisation dépassée de la cavalerie lourde par les français. Le roi de France, Jean le Bon, alias Jean II de France II (r. de 1350 à 1364) y fut capturé ainsi que de nombreux autres chevaliers de sa suite. Les rançons pour lesquelles ils furent échangés gonflèrent considérablement le trésor anglais. L'une des conséquences majeures de la bataille fut qu'elle permit à Édouard III de détenir 25 % du territoire français en vertu du traité de Brétigny, signé en 1360. Cette bataille devait également consolider la réputation du Prince Noir en tant que l'un des plus grands chevaliers du Moyen Âge.
La guerre de Cent Ans
En 1337, Édouard III d'Angleterre avait décidé d'augmenter ses possessions en France. Il disposait pour cela d'une excuse parfaite: en effet, en tant que neveu de Charles IV de France (r. de 1322 à 1328), il était en mesure de revendiquer le trône de France par l'intermédiaire de sa mère Isabelle de France (née vers 1289 et fille de Philippe IV de France, r. de 1285 à 1314). Naturellement, le roi en place, Philippe VI de France (r. de 1328 à 1350), ne voulut rien entendre. C'est ainsi que commença la guerre de Cent Ans entre la France et l'Angleterre. Le nom du conflit, inspiré par sa longueur, est en fait une dénomination apparue au XIXe siècle pour désigner un conflit qui se déroula par intermittence pendant plus d'un siècle, pour ne s'achever qu'en 1453.
Les Anglais avaient remporté la première grande bataille de la guerre à Crécy en août 1346 et s'étaient ensuite emparés de Calais en juillet 1347. À partir de 1347, la peste noire s'abattit sur l'Europe et sur l'Angleterre l'année suivante, mais la guerre de Cent Ans reprit au milieu de la décennie qui suivit. En préparation d'un nouvel affrontement majeur, le fils aîné d'Édouard III, Édouard de Woodstock, alias Édouard le Prince noir, fut chargé d'incendier le plus grand nombre possible de villes, de villages et de récoltes du sud-ouest de la France en 1355-1356, comme il l'avait fait avant la bataille de Crécy, dix ans auparavant. Il s'attaqua à la Gascogne et s'empara de Bordeaux, qu'il utilisa ensuite comme base pour effectuer d'autres sorties destructrices. Cette stratégie, connue sous le nom de chevauchée, répondait à de multiples objectifs: terroriser les habitants, fournir une source d'alimentation gratuite à une armée d'invasion, acquérir du butin et des rançons pour les prisonniers nobles, et s'assurer que la base économique de l'adversaire était sévèrement affaiblie, ce qui rendait extrêmement difficile la constitution ultérieure d'une armée sur le terrain. Naturellement, les hommes de troupe ordinaires en profitaient pour semer la désolation et piller tout ce qu'ils pouvaient lors des raids. Cette forme brutale de guerre économique affaiblissait l'ennemi et finit par obliger le roi de France à livrer une bataille rangée.
Les troupes en présence et leur armement
À Poitiers, les deux camps disposaient d'une cavalerie lourde composée de chevaliers ainsi que de troupes à pied, mais c'est l'arc long anglais qui une fois de plus devait faire toute la différence, prouvant ainsi qu'il restait de loin l'arme la plus dévastatrice sur le champ de bataille médiéval. Ces arcs longs mesuraient environ 1,5 à 1,8 mètre de long et étaient le plus souvent fabriqués en if et tendus de chanvre. Les flèches, capables de percer les armures, mesuraient environ 83 cm de long et étaient fabriquées en frêne et en chêne pour leur donner plus de poids. Un archer expérimenté pouvait tirer 15 flèches par minute, soit une toutes les quatre secondes. L'armée anglaise comprenait également un contingent d'archers montés qui pouvaient poursuivre un ennemi en retraite ou être déployés rapidement là où on avait le plus besoin d'eux sur le champ de bataille.
En ce qui concerne l'infanterie, les hommes d'armes les mieux équipés portaient des armures de plaques ou des armures en tissu ou en cuir renforcées par des bandes de métal. L'infanterie ordinaire, généralement gardée en réserve le temps de l'affrontement par la cavalerie, n'était que peu ou pas cuirassée et maniait des armes telles que des piques, des lances, des haches et des outils agricoles modifiés.
Les Français, bien que disposant de quelques archers, continuaient à s'appuyer sur les arbalétriers, car le tir à l'arbalète nécessitait moins d'entraînement. Cependant, la cadence de tir de cette arme était nettement plus lente que celle de l'arc long, soit environ un carreau pour cinq flèches en termes de rapidité d'exécution. En bref, les Français, confrontés à la même menace qu'à Crécy, n'avaient toujours pas trouvé la parade. Pire encore, malgré l'arrivée d'un nouveau roi, Jean II, la même confusion dans le commandement au cœur de la bataille s'avéra une fois de plus le talon d'Achille de l'armée française.
La bataille
Après avoir ravagé le sud-ouest de la France, le Prince Noir avait l'intention d'opérer une jonction avec une seconde armée anglaise descendant de Normandie. Cette armée du nord, qui avait également ravagé les villes et les campagnes situées sur sa route, était dirigée par Henri de Grosmont, duc de Lancastre. Mais Jean II, conscient du danger, avait positionné son armée autour de Chartres, entre les deux forces ennemies, obligeant Édouard à redescendre en Gascogne.
L'armée française déferla alors vers le sud et surprit les troupes anglaises et gasconnes du Prince Noir le 18 septembre 1356. Dans un premier temps, un représentant du pape, le cardinal Talleyrand de Périgord, essaya de négocier un accord entre les deux parties, mais aucune ne parvint à se mettre d'accord. Les deux parties profitèrent de ce répit pour renforcer leur position: Édouard en creusant des tranchées et en formant des barricades avec ses chariots de ravitaillement, Jean en rassemblant davantage de troupes. À ce stade, certains commandants français préconisèrent une stratégie plus prudente, mais au succès garanti: encercler les Anglais et les affamer. Cependant, le roi Jean, confiant dans sa supériorité numérique, opta pour une attaque tous azimuts sur la position d'Édouard.
Le lendemain, une terrible bataille s'engageait à 6,5 km de Poitiers, sur un terrain mixte de vignobles, de bois, de haies et de marais. Comme à Crécy, les Français étaient plus nombreux que leurs adversaires, dans ce cas peut-être par 35 000 contre 7 000 (ou 50 000 contre 8 000 selon les estimations les plus élevées privilégiées par certains historiens). Autre répétition de Crécy, les Anglais avaient pris la meilleure position sur une petite colline protégée à l'arrière par un bois et à l'avant par des haies et des marécages. Les Français durent rétrécir leurs lignes de bataille et attaquer par vagues successives dans la montée, ce qui fatigua leurs chevaliers et réduisit à néant l'avantage que leur donnait leur supériorité numérique.
La bataille, qui avait commencé vers 8 heures du matin, était terminée dès l'heure du déjeuner. Une fois de plus, les commandants français firent preuve d'indiscipline et d'entêtement, rendant impossible tout mouvement stratégique des troupes. Les diverses charges de la cavalerie française, survenant souvent sans la moindre concertation entre les commandants, se brisaient l'une après l'autre sur les lignes de défense hermétiques des Anglais, disposées selon les trois divisions désormais habituelles (deux à l'avant et une à l'arrière), et sur un terrain parsemé de haies infranchissables. Un simulacre de retraite mené par le comte de Warwick provoqua une nouvelle charge de cavalerie intempestive, tandis que le Captal de Buch, le capitaine des troupes gasconnes, contournait le gros de l'armée française pour tomber sur son arrière-garde, aggravant encore la confusion. Messire Geoffroy de Chargny, le porteur de l'Oriflamme, la bannière personnelle du roi de France, trouva la mort alors que la bataille dégénérait en un corps-à-corps des plus désespérés.
Outre le fait qu'ils se virent à plusieurs reprises joués par l'ennemi, les Français ne purent, une fois de plus, trouver de réponse appropriée à la portée, à la puissance et à la précision de l'arc long anglais. Une autre stratégie anglaise récurrente consistait à faire combattre les chevaliers à pied pour une plus grande mobilité sur un terrain confiné. Les Français firent de même, le roi Jean lui-même menant ses hommes à pied, mais une unité de cavalerie anglaise de réserve déboula et remporta la victoire. Au terme de la bataille, l'armée d'Édouard ne déplorait que quelques centaines de victimes, contre des milliers de Français tombés au cours de l'affrontement.
La capture du roi Jean
Environ 2 000 chevaliers français furent capturés ou tués, dont le connétable de France, les deux maréchaux du pays, 13 comtes, cinq vicomtes, 21 barons, un archevêque et le prince Philippe. Jean lui-même fut capturé, le roi s'étant rendu en donnant son gant droit à messire Denis de Morbecque, puis en assurant aux vainqueurs qu'il leur procurerait une rançon substantielle. En effet, tous ces nobles offraient un énorme potentiel de rentrées d'argent, mais celle de Jean était tout simplement astronomique, une rançon véritablement royale, d'un montant de 4 millions d'écus d'or (le triple de la rançon de David II d'Écosse, un autre roi captif détenu par Édouard III). Cette somme était si pharamineuse que Jean fut mis en liberté afin de pouvoir la prélever sur son royaume tandis que son fils Louis était retenu en otage à Calais. Lorsque Louis réussit à s'échapper, le roi Jean se rendit de lui-même à ses geôliers pour être à nouveau emprisonné, fidèle en celà aux règles non écrites de la chevalerie médiévale.
Le Prince Noir se distingua encore par le traitement chevaleresque qu'il réserva à son royal prisonnier durant sa captivité. Il le complimenta abondamment sur ses performances au combat et lui servit personnellement son repas lors du somptueux banquet organisé pour célébrer la plus grande des victoires de l'Angleterre. Le roi de France fut escorté par Édouard jusqu'à Bordeaux, puis en Angleterre où il dut attendre quatre longues années avant d'être libéré de la Tour de Londres. Le prince se tailla également une réputation de générosité auprès de ses fidèles, l'un des éléments clés de la chevalerie médiévale, en distribuant de l'or et des titres à ses commandants et en faisant des dons généreux à des églises telles que la cathédrale de Canterbury. Les vainqueurs bénéficièrent d'une abondance de richesses et l'on dit qu'après Poitiers, toutes les femmes d'Angleterre possédaient un bracelet ou un bijou pris aux Français.
Les répercussions
Après Poitiers, la France, privée de ses dirigeants, sombra dans une période de profond marasme. Tout d'abord, les mercenaires français démobilisés qui s'étaient si mal battus se mirent à ravager les régions environnantes. Puis le roi Édouard prit l'avantage en marchant sur Reims en 1359, avec la ferme intention de se faire couronner roi de France, là même où leurs monarques étaient traditionnellement couronnés. Mais Reims se révéla imprenable et un hiver particulièrement rigoureux affaiblit tellement l'armée d'Édouard qu'il fut contraint d'entamer des pourparlers de paix. En mai 1360, un traité fut signé entre l'Angleterre et la France. En vertu du traité de Brétigny, les prétentions d'Édouard sur 25 % du territoire français (principalement dans le nord et le sud-ouest) se voyaient reconnues et, en contrepartie, il renonçait à toute ambition sur la couronne de France elle-même.
La guerre de Cent Ans poursuivit son cours, mais Charles V de France, dit Charles le Sage (r. de 1364 à 1380), devait se montrer beaucoup plus compétent que ses prédécesseurs et commença à récupérer un à un les territoires gagnés par les Anglais. Édouard III, désormais trop âgé pour faire campagne, commençait à montrer des signes de sénilité. Le Prince Noir mourut, probablement de dysenterie, en juin 1376, ce qui affecta gravement les capacités militaires de l'Angleterre. Désormais, les seuls territoires de France appartenant encore à la Couronne anglaise étaient Calais et une mince portion de la Gascogne. Sous Richard II d'Angleterre (r. de 1377 à 1399), une paix ininterrompue régna entre les deux nations, mais sous Henri V d'Angleterre (r. de 1413 à 1422), les guerres reprirent de plus belle et les Anglais remportèrent une grande victoire à la bataille d'Azincourt en octobre 1415. Les succès d'Henri furent tels qu'il se vit même désigné comme héritier du roi de France Charles VI (r. de 1380 à 1422). Toutefois, Henri V mourut avant de pouvoir s'emparer du trône et l'arrivée de Jeanne d'Arc (1412-1431) en 1429 coïncida avec le début d'une spectaculaire amélioration de la fortune militaire de la France, à mesure que le roi Charles VII (r. de 1422 à 1461) reprenait l'initiative. La faiblesse du règne d'Henri VI d'Angleterre (r. de 1422 à 1461 & 1470 à 1471) devait aboutir à la défaite finale des Anglais, qui, à la fin de la guerre, en 1453, avaient perdu tous leurs territoires en France, à l'exception de Calais.