Le mot "peste", pour définir une épidémie mortelle, fut inventé par le médecin Galien (130-210 de notre ère) qui vécut la peste antonine (165 - c. 180/190), mais la maladie fut enregistrée bien plus tôt dans le récit de la peste d'Athènes (429-426 av. J.-C.) qui tua de nombreux habitants de la ville, y compris l'homme d'État Périclès (495-429 av. J.-C.). Cette épidémie, et certaines des autres qui suivirent, n'étaient peut-être pas une véritable peste telle qu'elle a été définie par la suite ; les auteurs de l'Antiquité avaient tendance à utiliser le terme " peste" pour désigner toute épidémie généralisée de pestilence.
Les pestes ont très bien pu exister avant l'épidémie athénienne - et elles l'ont très certainement fait - mais la plupart des études sur ce fléau commencent par Athènes car c'est la première enregistrée par un témoin oculaire et un survivant, l'historien Thucydide (460/455 - 399/398 av. J.-C.). Les fléaux sont couramment nommés soit par la personne qui les a signalés, soit par le monarque au moment de l'épidémie, soit par la région touchée, soit par une épithète comme dans le cas de la peste noire.
Les principales pestes répertoriées dans le monde antique et médiéval sont les suivantes :
- Peste d'Athènes
- Peste antonine
- Peste de Cyprien
- Peste de Justinien
- Peste de Rome
- Pestes du Proche-Orient
- Peste noire
- Épidémies de l'échange colombien
Parmi celles-ci, les épidémies de l'échange colombien ne sont pas considérées comme des pestes, car il s'agissait d'une contagion généralisée de la variole et d'autres maladies, mais elles furent tout aussi meurtrières pour les populations indigènes des Amériques que la peste le fut ailleurs. D'autres épidémies qui ne sont pas considérées comme des pestes mais qui ont tout de même ravagé des populations sont la lèpre - surtout au cours du 11e siècle en Europe - et l'épidémie de variole japonaise de 735-737. Les épidémies et les pandémies se sont poursuivies jusqu'à l'ère moderne et, parmi les plus meurtrières, l'épidémie de grippe espagnole de 1918-1919 et l'épidémie de VIH/sida (depuis 1981), mais il y en a eu beaucoup d'autres. Au moment où nous écrivons ces lignes, le Covid-19/coronavirus s'avère être le dernier ajout à la liste des pandémies les plus meurtrières de l'histoire mondiale.
Nature et types de peste
La cause de la peste était inconnue jusqu'au 19e siècle, lorsque la bactérie Yersinia pestis fut isolée et identifiée en 1894. Avant cette époque, on pensait que la peste était d'origine surnaturelle, qu'elle était une punition des dieux ou de Dieu, et/ou le résultat du péché d'une population. La cause réelle était Yersinia pestis qui était véhiculée par les puces des rongeurs, le plus souvent des rats, qui transmettaient la bactérie à l'homme par morsure. D'autres animaux pouvaient attraper la peste en mangeant des rats - ou d'autres rongeurs - infectés, ce qui entraînait une épizootie qui se propageait ensuite aux êtres humains. Les gens meurent de la peste en raison de la nature toxique de Yersinia pestis qui compromet le système immunitaire d'une personne tout en se multipliant dans l'organisme. Comme le système immunitaire compromis ne peut plus lutter contre les toxines, la personne meurt.
La peste est toujours décrite comme commençant par des symptômes ressemblant à ceux de la grippe qui apparaissent généralement de 3 à 7 jours après l'infection. Les premiers symptômes sont des frissons, des courbatures, de la fièvre et une faiblesse générale, qui évoluent ensuite vers des vomissements, de la diarrhée, une déshydratation, une insuffisance respiratoire (dans certains cas) et la mort. Les trois types de peste sont :
- Bubonique : causée par la piqûre d'une puce porteuse. Cette peste attaque les ganglions lymphatiques, les enflammant, et les ganglions gonflés sont alors appelés bubons, d'où le nom.
- Septicémique : elle est causée soit par une puce infectée, soit par un contact avec un animal infecté. Elle attaque en pénétrant dans la circulation sanguine et en se multipliant.
- Pneumonique : causée par le contact avec un animal infecté, elle se transmet de personne à personne par la toux. Elle attaque les poumons, se multiplie rapidement, ce qui déclenche une réponse immunitaire qui finit par compromettre les poumons et laisse la personne mourir d'insuffisance respiratoire.
Parmi les cas suivants, les trois premiers peuvent avoir été ou pas des cas de peste. Les descriptions qui en sont faites par des témoins oculaires suggèrent qu'il s'agissait peut-être d'épidémies de typhus ou de variole, mais aussi de peste.
Peste d'Athènes (429-426 avant J.-C.)
La peste d'Athènes (75 000 à 100 000 morts) fit son entrée par le port du Pirée, probablement en 430 av. J.-C., et se déclara dans toute la ville en 429 av. J.-C.. Thucydide écrit :
quand la maladie se déclara à Athènes ; elle s'était abattue, dit-on, auparavant en plusieurs endroits, notamment à Lemnos ; mais nulle part on ne se rappelait pareil fléau et des victimes si nombreuses. Les médecins étaient impuissants, car ils ignoraient au début la nature de la maladie ; de plus, en contact plus étroit avec les malades, ils étaient plus particulièrement atteints. Toute science humaine était inefficace (II, 51 Remacle)
Athènes avait été engagée dans la deuxième guerre du Péloponnèse (431-404 av. JC) contre Sparte, et le général et homme d'État Périclès avait récemment ordonné une retraite derrière les murs d'Athènes. La promiscuité de la population désormais en excès signifiait qu'une fois la peste entrée dans la ville, il n'y avait pas de place pour la mise en quarantaine des malades ; la maladie se propagea donc rapidement.
Les symptômes comprenaient une fièvre, des éternuements, des maux de gorge, une haleine extrêmement mauvaise, une toux violente, des douleurs de poitrine, des insomnies et des convulsions. De nombreuses personnes étaient en bonne santé lorsque la peste frappa mais succombèrent dans les dix jours suivant le premier symptôme de la fièvre. Cette fièvre était si persistante que les gens ne pouvaient pas supporter de vêtements et avaient constamment besoin d'eau qu'ils ne pouvaient pas retenir. Ceux qui tentaient de les aider mouraient si rapidement que les autres commencèrent à abandonner les malades et à s'occuper de leurs propres affaires. Thucydide décrit un effondrement complet de la loi et l'abandon des pratiques religieuses :
Nul ne montrait d'empressement à atteindre avec quelque peine un but honnête ; car on ne savait pas si on vivrait assez pour y parvenir. Le plaisir et tous les moyens pour l'atteindre, voilà ce qu'on jugeait beau et utile. Nul n'était retenu ni par la crainte des dieux, ni par les lois humaines ; on ne faisait pas plus de cas de la piété que de l'impiété, depuis que l'on voyait tout le monde périr indistinctement ; de plus, on ne pensait pas vivre assez longtemps pour avoir à rendre compte de ses fautes. Ce qui importait bien davantage, c'était l'arrêt déjà rendu et menaçant ; avant de le subir mieux valait tirer de la vie quelque jouissance
(II.53 ; Remacle)
Malgré cela, ceux qui survécurent à la maladie - et découvrirent qu'ils étaient désormais immunisés - se consacrèrent à aider les autres malades. La peste tua un grand nombre des citoyens les plus éminents, dont Périclès, et affecta l'issue de la guerre. Avec autant de morts et la ville considérablement affaiblie, Athènes eut du mal à maintenir l'effort de guerre et finit par perdre contre Sparte.
La peste antonine (165 - c. 180/190 de notre ère)
La peste antonine (bilan : 5 millions de morts) dévasta l'Empire romain sous le règne conjoint de Marc Aurèle (r. de 161 à 180 de notre ère) et de Lucius Verus (r. de 161 à 169 de notre ère) et porte le nom du nom de famille d'Aurèle, Antoninus. Elle apparut pour la première fois dans l'armée romaine lors du siège de la ville de Séleucie au cours de l'hiver 165-166 de notre ère et se propagea par ces troupes de retour à Rome ou alors qu'elles étaient stationnées ailleurs.
Les symptômes, décrits par Galien, commençaient par de la fièvre et comprenaient la diarrhée, des éruptions cutanées, une pharyngite (incapacité d'avaler) accompagnant une gorge douloureuse et enflée, une soif insupportable, de la toux et des vomissements. Les personnes qui attrapaient la maladie mouraient ou se rétablissaient en deux semaines. Les spécialistes modernes pensent que la peste avait vu le jour en Chine et qu'elle se propagea vers l'ouest le long de la route de la soie, car les villes de Ctésiphon et de Séleucie constituaient des liens commerciaux importants avec un accès direct aux fournisseurs chinois. Cependant, les gens de l'époque interprétèrent l'épidémie comme une punition pour leurs péchés, et diverses histoires circulèrent pour en attribuer la responsabilité.
Selon l'historien Dion Cassius (c. 155 - c. 235 de notre ère), la maladie tuait plus de 2 000 personnes par jour et emporta à la fois Lucius Verus (en 169 de notre ère) et Aurèle (en 180 de notre ère). Aurèle avait rendu les chrétiens responsables de la peste, affirmant qu'ils avaient irrité les dieux en refusant de participer à la religion d'État, et les avait persécutés. Les chrétiens, cependant, devinrent les principaux soignants à cette époque, prenant soin des affligés sans se soucier de leur propre sécurité ; en conséquence, de plus en plus de gens se convertirent au christianisme.
La peste antonine fut souvent citée comme le début de la déstabilisation de l'Empire romain. Que l'on accepte ou non cette affirmation, il est indéniable que la peste changea complètement la dynamique de la société romaine. L'armée fut affaiblie par les immenses pertes de troupes et les nouvelles recrues issues des tribus germaniques n'avaient pas le même niveau de loyauté. Les gladiateurs mouraient aussi facilement que n'importe qui d'autre et les jeux furent moins nombreux, ce qui provoqua des troubles publics qui, ajoutés à l'abandon par les peuples des pratiques religieuses traditionnelles au profit du christianisme, brisa la cohésion sociale. Les agriculteurs étaient incapables de produire des récoltes, les artisans n'étaient plus en vie pour fabriquer des objets artisanaux, et tant de gens mouraient que l'économie était proche de la faillite.
La peste de Cyprien (250-266 de notre ère)
La peste de Cyprien (5 000 morts par jour) tire son nom de saint Cyprien (mort en 258 de notre ère), l'ecclésiastique qui la rapporta. Contrairement à Galien, Cyprien n'était pas médecin, mais il présente néanmoins une image vivante de la progression de la maladie et de ses effets. Le premier symptôme, comme pour les épidémies précédentes, était la fièvre, suivie d'une faiblesse/fatigue générale, d'un mal de gorge et d'un gonflement de la gorge, d'une perte d'audition, de diarrhées, de vomissements et éventuellement d'une infection oculaire. Selon des chercheurs contemporains, l'épidémie pourrait être due à la peste bubonique, au choléra ou au typhus, mais aussi à la variole.
On pense également que cette épidémie partit de Chine et voyagea le long de la route de la soie jusqu'à Alexandrie, puis jusqu'à Rome. Elle frappa à un moment où l'Empire romain était déjà affaibli, pendant la crise du IIIe siècle (235-284 de notre ère), où il n'y avait pas de direction centrale forte et où les "empereurs de caserne" accédaient au pouvoir grâce à leurs liens avec les militaires et tombaient rapidement lorsqu'ils ne pouvaient pas tenir leurs promesses. Les archives de l'époque étaient donc généralement mal tenues, et il n'existe pas de bilan officiel de la peste, si ce n'est le chiffre généralement admis de 5 000 personnes par jour, tiré de rapports épars de l'époque et de celui de Cyprien.
Tout comme pour la peste antonine, les chrétiens devinrent les principaux soignants, ce qui renforça encore la religion. Les empereurs Hostilien (r. 251 de notre ère) et Claudius Gothicus (r. 268-270 de notre ère) moururent tous les deux, ainsi qu'une grande partie du clergé païen, ce qui laissa aux clercs majoritairement chrétiens le soin d'expliquer la cause de la maladie en termes chrétiens. La peste affaiblit encore plus l'armée et l'économie romaines : le nombre de soldats perdus fut supérieur à celui de la peste antonine et la mort des agriculteurs laissa les récoltes pourrir dans les champs.
La peste de Justinien (541-542 de notre ère et au delà)
Bien que les dates de la peste de Justinien (50 millions de morts) soient généralement attribuées à la période 541-542 de notre ère, considérée comme la plus grave, l'épidémie se poursuivit longtemps après et finit par disparaître vers 750 de notre ère. Il s'agit du premier cas entièrement documenté de peste causée par la bactérie Yersinia pestis dans le monde. La peste tire son nom du monarque de l'Empire byzantin, Justinien Ier (r. de 527 à 565 de notre ère) et fut signalée pour la première fois par l'historien Procope de Césarée (500-565 de notre ère) qui relata de nombreux événements du règne de Justinien Ier.
Cette peste, considérée comme la plus dévastatrice jusqu'à cette époque, serait également originaire de Chine et aurait voyagé vers l'Inde par la route de la soie, puis vers l'Occident. Constantinople, la capitale de l'Empire byzantin, était une autre ville - comme Séleucie et Ctésiphon - qui servait de centre commercial majeur et de conduit entre l'est et l'ouest. Procope fait état d'un froid inhabituel qui détruisit les récoltes et poussa les habitants des régions rurales vers des villes comme Constantinople à la recherche d'un abri et d'une assistance ; en plus de ces personnes arrivèrent les rats qui avaient trouvé refuge dans les charrettes de provisions.
Les gens ressentaient d'abord de la fièvre et de la fatigue avant que des gonflements de bubons n'apparaissent autour de leurs oreilles, sous les aisselles et à l'aine. Procope rapporte que des personnes commencèrent à délirer avant de tomber dans le coma et de mourir dans la semaine suivant l'infection. La cause de la peste, selon Procope, était le règne malavisé de Justinien Ier pour lequel Dieu le punissait, lui et son peuple. Justinien Ier tomba malade mais se rétablit contrairement à beaucoup d'autres.
Les spécialistes de l'époque pensent que, outre la transmission par la route de la soie, la peste fut propagée par les trains de ravitaillement de l'armée de Justinien Ier, qui ramenèrent des rats infectés à Constantinople. Les gens de l'époque n'avaient cependant aucune idée de la cause de la peste et donc aucune idée de la manière de la traiter, se fiant principalement aux prières et aux amulettes de protection. La seule action efficace pour ralentir la propagation de la maladie fut la mise en quarantaine des malades et ce que l'on appelle aujourd'hui la distanciation sociale. L'empire survécut à la peste, mais sous une forme fortement diminuée, ayant perdu environ 25 % de sa population.
La peste de Rome (590 de notre ère)
La peste de Rome (pas de statistiques disponibles sur le nombre de morts) fut une continuation de la peste de Justinien, mais localisée à Rome. Comme la peste de Justinien, elle semble avoir été une combinaison de peste bubonique, septicémique et pneumonique, la souche bubonique étant la plus répandue.
Cette épidémie fut également interprétée comme une punition de Dieu et le pape Grégoire le Grand (540-604) décréta qu'elle ne pouvait être arrêtée que par des processions pénitentielles à travers la ville pour implorer la pitié par l'intercession de la Vierge Marie. Ces processions mettaient régulièrement en contact un nombre important de personnes, propageant ainsi l'infection encore plus, et les rapports de l'époque décrivent des personnes s'effondrant et mourant en y participant. Malgré cela, les processions se poursuivirent et, lorsque la peste prit fin, ces processions semblent avoir été créditées d'avoir apaiser la colère de Dieu.
Pestes du Proche-Orient (562-749 de notre ère)
Les pestes du Proche-Orient sont généralement résumées dans des discussions sur la peste de Sheroe (627-628) qui tua le monarque sassanide Kavadh II (r. en 628) dont le nom de naissance était Sheroe. Cependant, la peste était déjà présente dans la région plus de cent ans auparavant, et on pense qu'elle fut la continuation de la peste de Justinien. Lorsqu'elle commença en 562, le nombre de morts dans la ville d'Amida fut évalué à 30 000, et les épidémies de 688-689 firent 200 000 morts à Bassora en trois jours.
La peste arriva par phases, certaines plus graves que d'autres, et fut à nouveau attribuée à la colère de Dieu contre les péchés de l'humanité. Les mesures prises par les gens sont inconnues car il existe très peu de sources. L'expert Peter Christensen commente :
Nous avons très peu d'informations détaillées sur le déroulement de la pandémie [dans la région]. Peu de récits contemporains ont été conservés. Au IXe siècle, lorsque la peste avait finalement disparu, des érudits de Bassora ont rédigé de brefs résumés de l'histoire de la maladie. Bien que considérés comme faisant autorité par les historiens musulmans ultérieurs, ces "livres de la peste" sont en fait incomplets. (81)
C'est pour cette raison que les historiens se concentrent généralement uniquement sur la peste de Sheroe, car ses effets, au moins, sont les mieux documentés. Kavadh II commença son règne en faisant assassiner son frère et ses demi-frères afin qu'ils ne puissent pas contester ses prétentions au trône. Après avoir éliminé tous les successeurs légitimes, il ne régna que quelques mois avant de mourir de la peste. La seule personne susceptible de lui succéder était son fils Ardashir III (r. de 628 à 629), âgé de sept ans, qui fut contrôlé par un régent et rapidement renversé, déclenchant ainsi l'instabilité qui contribua à l'effondrement de l'Empire sassanide.
La peste noire (1347-1352 de notre ère)
La peste noire (dont le bilan est estimé à 30 millions de morts) est la peste la plus connue de l'histoire, tuant entre 30 et 50 % de la population européenne. Bien que cette épidémie ait été identifiée comme étant la peste bubonique, les deux autres types étaient également présents. Comme pour les épidémies précédentes, les symptômes commençaient par de la fièvre, des courbatures et de la fatigue, avant que des bubons n'apparaissent sur le corps au niveau de l'aine, des aisselles et autour des oreilles ; les bubons noirs donnèrent son nom à la peste. Les personnes mouraient généralement dans les trois jours suivant l'infection.
On pense également que cette peste était originaire d'Asie et qu'elle arriva en Europe, très probablement par la Sicile, sur des navires de commerce génois venant de l'Est infestés de rats et de leurs puces (bien que les historiens citent également les routes terrestres de la route de la soie comme source probable de transmission). Les navires génois sont la source la plus probable car il est documenté que l'un d'entre eux accosta à Marseille et à Valence, propageant la maladie dans ces deux villes. En l'espace de deux ans, la Grande-Bretagne, la France et l'Espagne furent frappées par la peste et le commerce la transporta ensuite jusqu'en Irlande. Vers 1350, elle s'était répandue en Allemagne, puis en Scandinavie et en Russie.
Cette peste fut également attribuée à la colère de Dieu, au diable et au caractère pécheur de l'humanité et le traitement était centré sur les rites et les observances religieuses. Certains groupes marginalisés furent également mis en cause et les pogroms contre les Juifs se multiplièrent. Dans le port de Raguse (aujourd'hui Dubrovnik, en Croatie), qui était contrôlé par Venise, les autorités adoptèrent une autre approche, bien plus efficace. Elles instituèrent une loi établissant une période d'isolement de 30 jours pour les navires arrivant de régions touchées par la peste, connue sous le nom de trentino (30 jours). Personne du port ne pouvait visiter ces navires pendant ces trente jours et personne ne pouvait descendre à terre. Raguse avait été sévèrement touchée par la peste en 1348 et semble avoir été la première à instituer des mesures pour arrêter sa propagation.
Cette pratique fut adoptée par d'autres villes de différents pays qui l'étendirent des navires aux villes et portèrent la période à quarante jours en vertu de la loi de quarantino (40 jours), qui est à l'origine du mot quarantaine. Les personnes qui enfreignaient la quarantaine étaient passibles d'une amende et étaient ensuite placées en isolement, mais les riches pouvaient toujours acheter leur ticket de sortie et les autres choisissaient d'ignorer tout simplement la loi, de sorte que la maladie continua à se propager par ceux qui ne respectaient pas la loi et refusaient de s'isoler.
Les conséquences de l'épidémie furent considérables dans la mesure où elle transforma presque complètement la société européenne médiévale. Le système féodal et l'institution du servage - qui liaient les travailleurs pauvres aux terres du riche seigneur - ne pouvaient plus être maintenus car tant de personnes étaient mortes que ceux qui pouvaient encore travailler demandèrent une plus grande autonomie et une meilleure rémunération. Les droits des femmes s'améliorèrent car beaucoup d'entre elles perdirent leurs maris et leurs fils propriétaires terriens et furent autorisées à garder le contrôle des propriétés et des entreprises. Une conséquence notable fut le déplacement de l'attention de Dieu et du ciel vers l'humanité et la vie sur terre, ce qui donnerait lieu à la Renaissance.
L'échange colombien (1492-1550 CE)
L'échange colombien est le terme moderne désignant le transfert de culture, de personnes et de technologies entre l'Europe et le "Nouveau Monde" à la suite de l'expédition de Christophe Colomb en 1492. Cet échange entraîna également l'épidémie de variole (et d'autres maladies) qui tua entre 80 et 90 % de la population indigène des Amériques qui n'était pas immunisée contre les maladies européennes. Les épidémies qui balayèrent la population en 1520 et à nouveau entre 1545 et 1548 vidèrent les villes, les villages et les cités et contribuèrent à la chute des empires aztèque et inca.
Outre la variole, les Européens apportèrent également le typhus, la rougeole, la fièvre jaune et, peut-être, la syphilis. Ces maladies, ainsi que les campagnes militaires menées contre les Amérindiens par des Européens cherchant à contrôler les terres et les ressources, eurent un impact considérable sur la culture des autochtones. La population de certaines tribus et régions fut si fortement réduite que la colonisation fut facilitée et que les Européens en vinrent à contrôler les terres précédemment habitées par les indigènes.
Conclusion
Les pestes ont continué à déstabiliser et à réduire les populations jusqu'à nos jours. La pire d'entre elles fut l'épidémie de grippe de 1918, également connue sous le nom de grippe espagnole (appelée ainsi parce qu'elle a été signalée pour la première fois par l'Espagne, et non parce que l'Espagne était la source de la pandémie). Le nombre de morts est estimé entre 50 et 100 millions dans le monde, ce qui en fait le fléau le plus meurtrier de l'histoire mondiale. Diverses théories ont été proposées quant à son origine, mais il semble qu'elle soit née dans un camp militaire du Kansas, aux États-Unis, et qu'elle se soit propagée à partir de là par les troupes déployées pour la Première Guerre mondiale qui avaient débarqué à Brest, en France. D'autres épidémies ont suivi tout au long du 20e siècle, un exemple notable étant l'infection par le VIH/SIDA qui a tué 35 millions de personnes depuis qu'elle a été identifiée pour la première fois au milieu des années 80.
Ces deux épidémies ont une caractéristique sous-jacente en commun : l'incapacité de la population à apprécier la gravité de la maladie jusqu'à ce qu'il ne soit trop tard et l'incapacité des gouvernements à y répondre en temps utile. Avant la reconnaissance de la théorie des germes, il était compréhensible que les gens interprètent la peste en fonction de l'idéologie religieuse dominante mais, à l'ère moderne, l'incapacité des gouvernements et des populations à réagir rapidement par des mesures pratiques reste déconcertante.
Après l'épidémie de grippe espagnole de 1918, l'efficacité de la quarantaine a été pleinement reconnue. Les villes qui ont décrété des mesures de confinement ont efficacement arrêté la propagation de la maladie. Néanmoins, le temps qu'elles agissent, davantage de personnes avaient été infectées et d'autres étaient mortes, tandis que d'autres encore avaient contribué à la propagation de la maladie en ignorant les politiques gouvernementales de distanciation sociale ; un paradigme malheureusement encore apparent aujourd'hui avec la pandémie de Covid-19.