La peste d'Athènes (429-426 av. J.-C.) frappa la ville, très probablement en 430 av. J.-C., avant d'être reconnue en tant qu'épidémie et, avant qu'elle ne soit éradiquée, elle avait fait entre 75 000 et 100 000 victimes. Les spécialistes modernes pensent qu'il s'agissait plus probablement d'une épidémie de variole ou de typhus, mais la peste bubonique est toujours considérée comme une possibilité.
La principale source d'information sur cet événement est l'historien Thucydide (460/455-399/398 av. J.-C.), un Athénien qui souffrit de la maladie et y survécut. Il parle de la peste comme d'un fléau, mais cette désignation était utilisée dans l'Antiquité pour toute épidémie de grande ampleur. De nombreux spécialistes n'admettent pas la possibilité qu'il s'agisse de la peste bubonique, car Thucydide ne mentionne jamais l'apparition de bubons (excroissances) au niveau de l'aine, des aisselles et autour des oreilles, symptômes habituels de la peste bubonique, qui s'attaque au système lymphatique et produit ce type d'enflure.
Comme les bubons présentent une coloration noire, ce sont ces excroissances qui donnèrent le nom de peste noire à la célèbre pandémie du XIVe siècle. Néanmoins, la possibilité que la peste d'Athènes ait été une peste bubonique n'a pas été complètement écartée, même si les symptômes décrits par Thucydide semblent plus proches de ceux de la variole. Quelle que soit la maladie, elle se propagea rapidement au sein de la population d'Athènes, tuant très vite un grand nombre de personnes, avant de disparaître à son tour. Thucydide souligne clairement qu'aucun organisme humain n'a pu empêcher la propagation de la maladie et termine son récit en disant simplement qu'elle laissa Athènes dans un état de disgrâce.
Contexte de la peste
La peste arriva à Athènes par le port du Pirée peu après le début de la deuxième guerre du Péloponnèse (431-404 av. J.-C.) qui opposait Athènes à Sparte. Les tensions entre les deux cités-États avaient augmenté après la défaite de l'invasion perse de Xerxès Ier (r. de 486 à 465 av. J.-C.) en 479 av.J.-C. Bien que les Grecs aient été victorieux dans les guerres perses, ils craignaient que Xerxès Ier ne lance une nouvelle invasion. Les dirigeants athéniens, avec à leur tête le général et homme d'État Périclès (495-429 av. J.-C.), formèrent donc la Ligue de Délos pour préparer une défense contre cette éventualité et aider à libérer les Grecs qu'ils estimaient être soumis à la tyrannie perse.
La Ligue de Délos devint de plus en plus puissante et semblait, pour beaucoup, profiter avant tout à Athènes. La flotte athénienne se développa rapidement et Périclès ordonna l'édification de murs autour de la ville ainsi que la construction de monuments, de temples et d'édifices publics qui proclament la richesse et le statut de la ville. Les Spartiates craignaient qu'Athènes ne devienne trop puissante et, grâce à la richesse générée par les actions de la Ligue de Délos, ils purent acheter des alliances avec d'autres cités-États. La première guerre du Péloponnèse (c. 460-446 av. J.-C.) opposa principalement Athènes et Corinthe (alliée de Sparte), mais la seconde serait un conflit direct entre les deux antagonistes.
Au moment où la peste frappa, la guerre s'intensifiait et Périclès ordonna à la population de se retirer derrière les murs nouvellement construits d'Athènes. Ce faisant, il créa involontairement l'atmosphère idéale pour que la peste trouve un foyer et se propage rapidement au sein de la population.
Récit de Thucydide
Le récit de Thucydide commence à ce moment-là et raconte comment, lorsque la peste commença, les habitants de la ville portuaire du Pirée (située juste à l'extérieur d'Athènes et principal port commercial de la cité) crurent que "les Péloponnésiens" (les Spartiates) avaient empoisonné les puits dans le cadre de leur effort de guerre. Thucydide rédigea sa description de la peste dans le cadre de son récit, Histoire de la guerre du Péloponnèse, et inclut cette section, comme il le dit, pour que "les gens l'étudient au cas où elle attaquerait à nouveau, pour se doter d'une connaissance préalable afin de ne pas manquer de la reconnaître" (Grant, 77). L'universitaire Michael Grant explique l'intention et l'objectif final de Thucydide lorsqu'il a écrit son histoire:
Thucydide diffère d'Hérodote, qui affichait de temps à autre un point de vue moral, didactique, en ce sens qu'il avait continuellement et délibérément l'intention d'être instructif. Il écrivit son histoire, disait-il, "comme une possession pour toujours", afin de fournir "un enregistrement clair" de ce qui s'était passé dans le passé et qui, en temps voulu, tendra à se répéter avec un certain degré de similitude (I.22). Ainsi, le travail de Thucydide s'apparente à l'effort d'un chercheur en sciences sociales pour faire émerger des principes généraux et fondamentaux à partir d'actions particulières, afin de s'assurer que la connaissance du passé constitue un guide efficace pour l'avenir. (63)
La peste d'Athènes est traitée par Thucydide de la même manière que la guerre, avec une attention particulière à l'enregistrement de détails empiriques sans suggérer de raisons pour l'épidémie. Son objectif est entièrement instructif, dans l'espoir que les générations futures puissent tirer les leçons du passé.
Le texte
Le récit suivant est tiré de l'Histoire de la guerre du Péloponnèse, II.vii.3-54, tel qu'il fut traduit par l'érudit P. J. Rhodes et donné par Michael Grant dans son ouvrage Readings in the Classical Historians:
On dit que la peste se serait déclarée auparavant dans de nombreux autres endroits, dans la région de Lemnos et ailleurs, mais on n'avait jamais vu auparavant une peste aussi importante et une telle destruction de vies humaines. Les médecins étaient incapables de faire face à la situation, car ils traitaient la maladie pour la première fois et dans l'ignorance: en effet, plus ils étaient en contact avec les malades, plus ils risquaient de perdre la vie. Aucun autre dispositif des hommes n'était d'un grand secours. De plus, les supplications dans les sanctuaires, le recours à la divination, etc. ne servirent à rien. Finalement, les gens furent submergés par le désastre et abandonnèrent leurs efforts pour s'en prémunir.
On dit que la peste serait venue tout d'abord d'Éthiopie, au-delà de l'Égypte, et que de là elle s'abattit sur l'Égypte et la Libye et sur une grande partie des [autres] pays. Elle frappa soudainement la ville d'Athènes. Les habitants du Pirée furent les premiers à l'attraper et, comme il n'y avait pas encore de fontaines dans cette région, ils affirmèrent que les Péloponnésiens avaient mis du poison dans les puits. Par la suite, la maladie se répandit également dans la ville haute et les décès commencèrent à se multiplier. Chacun, qu'il soit médecin ou profane, pouvait dire, d'après sa propre expérience, quelle était l'origine probable de cette maladie et quelles étaient les causes qui, selon lui, avaient eu le pouvoir de provoquer un si grand changement. Je vais donner un aperçu de ce qui s'est passé, que les gens pourront étudier au cas où cela se reproduirait, afin de se doter d'une connaissance préalable qui leur permettra de ne pas manquer de le reconnaître. Je peux faire ce récit parce que j'ai moi-même souffert de la maladie et que j'ai vu d'autres victimes.
Tout le monde s'accorde à dire que cette année-là avait été exceptionnellement épargnée par la maladie, en ce qui concernait les autres afflictions. Si les gens avaient d'abord souffert d'autres maladies, tout se terminait par celle-ci. D'autres furent contaminés sans avertissement, mais soudainement, alors qu'ils étaient en bonne santé. La maladie commençait par une forte fièvre dans la tête et une rougeur et une brûlure des yeux; les premiers symptômes internes étaient que la gorge et la langue devenaient sanguinolentes et que l'haleine n'était pas naturelle et était malodorante. Il s'ensuivait des éternuements et un enrouement et, en peu de temps, le mal s'étendait à la poitrine, provoquant une toux violente. Lorsqu'elle s'installait dans le cœur, elle le convulsait et produisait toutes les évacuations de bile connues des médecins, accompagnées d'un grand malaise. La plupart des victimes souffraient ensuite de régurgitations vides, qui induisaient de violentes convulsions: elles s'atténuaient ensuite pour certains, mais seulement beaucoup plus tard pour d'autres.
L'extérieur du corps n'était pas particulièrement chaud au toucher ni jaune, mais rougeâtre, livide, et éclatait en petites cloques et plaies. Mais à l'intérieur, la brûlure était si forte que les victimes ne pouvaient supporter de porter les vêtements les plus légers et le linge de maison, mais devaient se mettre nues, et c'est en se plongeant dans l'eau froide qu'elles obtenaient le plus grand soulagement. Beaucoup de ceux qui n'avaient personne pour les surveiller plongèrent même dans des puits, sous la pression d'une soif insatiable; mais cela ne faisait aucune différence qu'ils boivent une grande ou une petite quantité. Pendant toute la durée de la maladie, les gens souffraient d'insomnies et d'incapacité à se reposer. Tant que la maladie faisait rage, le corps ne dépérissait pas, mais résistait inopinément à la souffrance. La plupart des malades mouraient vers le septième ou le neuvième jour après le début des brûlures internes, alors qu'ils avaient encore des forces. S'ils en réchappaient, la maladie descendait dans le ventre: de violentes ulcérations et une diarrhée totalement liquide s'y produisaient, et la plupart des gens mouraient alors de la faiblesse qui en résultait.
La maladie se propageait dans tout le corps à partir du sommet, en commençant par la tête. Si quelqu'un survivait aux symptômes les plus graves, la maladie laissait sa marque en s'attaquant aux extrémités. Elle s'attaquait aux parties intimes, aux doigts et aux orteils, et de nombreuses personnes survécurent mais les perdirent, tandis que d'autres perdirent leurs yeux. D'autres, après s'être rétablis, souffrirent d'une perte totale de mémoire et étaient incapables de se reconnaître et de reconnaître leurs proches.
La nature de la maladie était indescriptible et les souffrances qu'elle entraînait pour chaque victime dépassaient ce que la nature humaine peut supporter. Il y a un point particulier qui montre qu'elle est différente des maladies habituelles: les oiseaux et les animaux qui se nourrissent de chair humaine se tinrent à l'écart des corps, bien que beaucoup n'aient pas été enterrés, ou s'ils y goûtaient, cela s'avérait fatal. Pour confirmer cela, il y avait une pénurie évidente d'oiseaux de ce type, qui ne furent pas observés près des victimes ou ailleurs. Ceci fut particulièrement remarquable dans le cas des chiens, puisqu'ils vivent avec les êtres humains.
Hormis les diverses caractéristiques inhabituelles dans les différents effets qu'elle eut sur les différentes personnes, c'est là le caractère général de la maladie. Aucune des autres affections courantes n'apparut à cette époque, et toutes celles qui apparurent se terminaient ainsi.
Certaines victimes furent privées de soins et moururent; d'autres moururent malgré de nombreux soins. Il n'y avait pas de remède unique, pourrait-on dire, à appliquer pour soulager les malades, car ce qui aidait les uns nuisait aux autres. Aucune constitution, qu'elle soit forte ou faible, ne résistait à la peste, mais elle les tuait toutes, quel que soit le régime utilisé pour les soigner. L'aspect le plus terrifiant de cette maladie est le désespoir qui s'installe lorsque l'on se rend compte qu'on en est atteint: les gens perdent immédiatement tout espoir et, par leur attitude d'esprit, sont beaucoup plus enclins à se laisser aller et à ne pas tenir le coup. En outre, une personne attrapait la maladie en s'occupant d'une autre, et elle mourait comme un mouton: c'était la plus grande cause de perte de vie. Si les gens avaient peur et ne voulaient pas s'approcher des autres, ils mouraient dans l'isolement, et de nombreuses maisons perdirent tous leurs occupants, faute de personnes pour s'occuper d'eux. Ceux qui s'approchaient des autres mouraient, en particulier ceux qui avaient un peu de vertu et qui, par sens de l'honneur, n'hésitaient pas à rendre visite à leurs amis, persistant même lorsque les membres de la famille étaient dépassés par l'ampleur du désastre et renonçaient à chanter pour les morts.
Ceux qui avaient survécu à la maladie éprouvaient la plus grande pitié pour les souffrants et les mourants, car ils en avaient déjà fait l'expérience et avaient maintenant confiance en eux, puisque la maladie n'attaquait pas la même personne une seconde fois, ou en tout cas pas de façon fatale. Ceux qui guérissaient étaient félicités par les autres et, dans leur joie immédiate, nourrissaient le vain espoir qu'à l'avenir ils seraient à l'abri de la mort causée par toute autre maladie.
La détresse fut aggravée par la migration de la campagne vers la ville, en particulier pour ceux qui avaient eux-mêmes déménagé. Il n'y avait pas de maisons pour eux, ils devaient donc vivre dans des huttes étouffantes pendant la saison chaude de l'année, et la destruction faisait rage de manière incontrôlée. Les corps des morts et des mourants étaient empilés les uns sur les autres et les personnes à l'article de la mort tournaient en rond dans les rues et autour de toutes les sources dans leur ferveur pour trouver de l'eau. Les sanctuaires dans lesquels les gens campaient étaient remplis de cadavres, car il y avait des morts même là: le désastre était accablant, et comme les gens ne savaient pas ce qu'ils allaient devenir, ils avaient tendance à négliger le sacré et le profane. Toutes les coutumes funéraires qui avaient été observées jusqu'alors furent jetées dans la confusion et les morts furent enterrés de toutes les manières possibles. Beaucoup de ceux qui n'avaient pas d'amis, parce que tant d'autres étaient morts avant eux, se tournaient vers des formes éhontées d'élimination: certains mettaient leurs propres morts sur le bûcher d'un autre et l'allumaient avant que ceux qui l'avaient préparé ne puissent le faire eux-mêmes; d'autres jetaient le corps qu'ils portaient sur le sommet du bûcher d'un autre alors qu'il était déjà allumé, et s'éclipsaient.
À d'autres égards également, la peste marqua le début d'un déclin vers une plus grande anarchie dans la ville. Les gens étaient plus disposés à oser faire des choses qu'ils n'auraient pas admises auparavant, lorsqu'ils voyaient les changements soudains de fortune, comme certains qui étaient prospères mouraient soudainement, et leurs biens étaient immédiatement acquis par d'autres qui avaient été démunis auparavant. Ils pensaient donc qu'il était raisonnable de se concentrer sur le profit et le plaisir immédiats, croyant que leur corps et leurs biens seraient éphémères. Personne n'était disposé à persévérer dans la lutte pour ce qui était considéré comme un résultat honorable, puisqu'il n'était pas sûr de ne pas périr avant de l'avoir atteint. Ce qui était agréable à court terme, et ce qui y contribuait d'une manière ou d'une autre, était accepté comme honorable et utile. La crainte des dieux ou la loi des hommes n'avaient aucun pouvoir de restriction, car on estimait que le fait d'être pieux ou non ne faisait aucune différence, puisque tous pouvaient être vus en train de mourir. Personne ne s'attendait à vivre assez longtemps pour avoir à payer la peine de ses méfaits: les gens avaient plutôt tendance à penser qu'une sentence déjà décidée pesait sur eux, et qu'avant qu'elle ne soit exécutée, ils pourraient raisonnablement tirer quelque plaisir de la vie.
Les Athéniens étaient donc tombés dans le grand malheur et en subissaient les conséquences, les gens mourant à l'intérieur de la ville et la terre étant dévastée à l'extérieur. (II.vii.3-54)
Conclusion
La référence de Thucydide à la "terre dévastée à l'extérieur" renvoie non seulement à la progression de la peste au-delà des murs de la ville, mais aussi à la guerre en cours avec Sparte. En fait, Sparte se retira de l'assaut prévu contre Athènes à cause de la peste, mais poursuivit ses efforts de guerre ailleurs.
Lorsque la peste quitta Athènes, parmi les nombreux citoyens perdus, elle emporta également Périclès qui avait guidé la ville pendant la première guerre du Péloponnèse, l'avait enrichie grâce à la Ligue de Délos et l'avait ornée de monuments durables tels que l'Acropole et son Parthénon, qu'il avait commandés en 447 avant notre ère. Il encouragea également le développement des arts et de la science grecque dans la ville, ainsi que les travaux de philosophes notables tels que Protagoras (c. 480-430 av. J.-C.), Zénon d'Élée (c. 465 av. J.-C.) et l'un de ses amis proches, Anaxagore (c. 500-c.428 av. J.-C.), de même que la carrière de médecins tels qu'Hippocrate et de dramaturges de tragédie grecque de l'envergure de Sophocle.
La perte du leadership de Périclès et d'un grand nombre de ses citoyens déséquilibra Athènes, qui finit par perdre la deuxième guerre du Péloponnèse au profit de Sparte et se soumit à ses diktats. La peste fut un facteur décisif, non seulement dans la guerre mais aussi dans le développement de la ville, et elle influença l'histoire d'Athènes pendant de nombreuses années après qu'elle eut quitté la région.