Bataille du Yarmouk

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Syed Muhammad Khan
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 04 juin 2020
Disponible dans ces autres langues: anglais, arabe
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La bataille de la rivière Yarmouk se déroula pendant six jours, du 15 au 20 août 636, entre l'armée musulmane du califat Rashidun (alias les califes bien guidés, 632-661), commandée par Khalid ibn al-Walid (mort en 642), et les légions byzantines, commandées par Vahan d'Arménie (mort en 636). Les combats se déroulèrent près de la rivière Yarmouk, dans la vallée du Jourdain, et la bataille fut une victoire décisive pour l'armée des Rashidun, en infériorité numérique. Cette victoire fit définitivement passer la domination du Levant et de la Syrie de l'Empire byzantin au califat. En outre, il s'agit de l'opus magnum de Khalid, qui fut immortalisé dans les légendes pour son triomphe.

Illustration of the battle of Yarmouk (636 CE)
Illustration de la bataille de Yarmouk (636)
Unknown (Public Domain)

Prélude

Après la mort du prophète islamique Mahomet en 632, son plus proche confident, Abou Bakr (r. de 632 à 634), prit le contrôle de la communauté en tant que premier calife du califat rashidun (632-661). Après avoir pris le sceptre, Abou Bakr dut faire face à une rébellion ouverte venant de tous les coins de l'Arabie. Plusieurs tribus, qui s'étaient inclinées devant le prophète, déclarèrent que leur alliance avec Mahomet avait pris fin avec sa vie. Ces renégats furent qualifiés d'apostats et furent confrontés à la puissance militaire des Rashidun dans une série d'engagements, plus tard appelés les guerres d'Apostasie (632-633).

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Khalid s'était distingué dans la guerre, avait gagné le surnom de Saif Allah et était l'un des meilleurs stratèges de son temps.

Le chef militaire rashidun le plus remarquable dans ce conflit fut Khalid ibn al-Walid (585-642), un homme chéri par Abou Bakr, malgré ses défauts, pour son talent inégalé dans la conduite de la guerre. Il s'était distingué dans la guerre, avait gagné le surnom de Saif Allah (l'épée de Dieu) et était de loin l'un des meilleurs stratèges de son temps. Il joua un rôle déterminant dans la victoire des Rashidun sur les rebelles, qui furent tous soumis en l'espace d'un an.

Abou Bakr lança ensuite l'expansion de son empire en Irak et en Syrie. La division de Khalid fut envoyée en Irak, où l'armée califale connut de nombreux succès sous sa direction, mais la menace d'une contre-attaque byzantine sur les divisions syriennes, qui avaient gagné un terrain considérable, incita Abou Bakr à y envoyer Khalid. Khalid traversa le désert aride et sans piste avec ses meilleurs hommes, utilisant des chameaux comme réservoirs d'eau, et émergea aux confins de la Syrie où, après quelques raids et conquêtes, il affronta et défit une importante force byzantine à Ajnadayn (en 634).

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Entre-temps, Abou Bakr mourut de causes naturelles et fut remplacé par Omar (r. 634-644), qui retira à Khalid son commandement, soit en raison d'une rancune personnelle, soit à cause de sa dureté de caractère. À sa place, Abu Ubaida (583-639), un homme réputé pour sa moralité, fut nommé gouverneur de la Syrie et commandant du corps des Rashidun qui y était stationné. Les musulmans continuèrent à envahir la région, Damas tomba en 634, la garnison byzantine de Palestine fut vaincue à la bataille de Fahl (Pella; 635), et Emesa (Homs) tomba en 636, ne laissant qu'Alep à portée de main. L'empereur byzantin Héraclius (r. de 610 à 641), déterminé à débarrasser son pays des Arabes, rassembla une force considérable à Antioche pour écraser les envahisseurs.

Khalid ibn a-Walid's Invasion of Syria
Invasion de la Syrie par Khalid ibn al-Walid
Mohammad adil (GNU FDL)

Les belligérants

Bien que les chroniqueurs arabes soient connus pour gonfler le nombre de leurs ennemis et réduire le leur en comparaison, l'armée musulmane était en effet fortement surpassée en nombre par les Byzantins à cette occasion. L'immense force impériale, composée de Grecs, de Slaves, de Francs, d'Arméniens, de Géorgiens et d'Arabes ghassanides (chrétiens) vassaux de la Syrie, comptait un effectif cumulé d'environ 40 000 hommes.

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Le commandant byzantin, Vahan, était un Arménien qui avait été Magister militum per Orientem (Maître des soldats de l'Orient, commandant militaire suprême) d'Emèse. Théodore Trithyrius, trésorier de l'État, détenait théoriquement le commandement, mais sa présence ne servait qu'à remonter le moral des troupes. Un autre personnage notable dans les rangs byzantins était Jabalah (mort en 645), le souverain ghassanide qui avait beaucoup profité de son alliance avec les Byzantins et n'éprouvait aucun scrupule à les servir contre ses compatriotes arabes.

L'armée des Rashiduns, initialement répartie entre la Palestine, la Jordanie, Césarée et Emèse après leurs précédents triomphes, fut regroupée et se retira vers le sud, sur le plateau du Yarmouk. Là, ils furent renforcés par de nouveaux combattants venus de Médine, la capitale islamique, ce qui porta leur nombre à 20-25 000 à la veille de la bataille.

La bataille

Bien que Khalid n'ait pas été officiellement le commandant, il était très respecté pour son habileté au combat, et Abu Ubaida, qui n'avait pas cette expertise, lui céda le commandement. Dans un premier temps, les Byzantins retardèrent leur avancée, souhaitant frapper simultanément aux Sassanides avec lesquels ils s'étaient alliés après des décennies de guerre. Mais le souverain de l'empire sassanide, Yazdgard III (r. de 632 à 651), avait besoin de temps pour se préparer, et les Byzantins, toujours impatients de chasser les Arabes, avancèrent seuls. Khalid, sachant que sa position au nord était vulnérable, retira ses forces jusqu'à la vallée au-delà de la rivière Yarmouk. Ce plateau était une masse de terre plate et ondulée qui convenait parfaitement à la cavalerie légère arabe, qui représentait un quart des effectifs de l'armée.

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Calligraphy of Khalid ibn al-Walid's name
Calligraphie du nom de Khalid ibn al-Walid
UsmanKhanShah (CC BY-SA)

Les négociations durèrent environ trois mois, au cours desquels l'armée des Rashiduns reçut des renforts de Médine. Refusant d'attendre davantage, les deux camps se préparèrent au combat. Vahan utilisa sa supériorité numérique pour étendre sa ligne de front sur environ 13 kilomètres, forçant la ligne musulmane à s'étirer plus finement et à couvrir un terrain de 12 kilomètres pour lui faire face. Les forces byzantines furent placées devant le Wadi al Allan, leur droite ancrant la gorge au sud et leur gauche bordant les collines de Jabiya. Vahan disposa ses forces de la manière suivante:

  • La cavalerie légère ghassanide, sous les ordres de Jabalah, jouait le rôle d'avant-garde pour le dépistage et les escarmouches
  • Le flanc gauche était composé de l'infanterie slave (face à la droite musulmane)
  • L'infanterie arménienne (sous les ordres de Vahan en personne) et les contingents européens formaient le centre.
  • L'infanterie grecque occupait le flanc droit (face à la gauche musulmane).
  • Des divisions de cavalerie, composées principalement de cataphractes - troupes d'élite à cheval - étaient stationnées derrière chaque flanc et les deux divisions centrales.

Khalid disposa ses 36 régiments d'infanterie de la même manière, devant la rivière Harir, avec trois divisions de cavalerie légère positionnées derrière la ligne et une réserve de cavalerie plus importante sous son commandement personnel à l'arrière. Contrairement aux forces multiethniques byzantines, les Arabes étaient unis non seulement par leur sentiment nationaliste, mais aussi par une foi commune. Dans les deux armées, l'infanterie se composait de combattants de mêlée et de tirailleurs (comme les archers), et même si les musulmans manquaient de troupes lourdes, qui abondaient dans les rangs de leurs ennemis, ils compensaient cette perte par une plus grande mobilité et une habileté inégalée dans le combat au corps à corps.

Troop Arrangement at the Battle of Yarmouk
Disposition des troupes lors de la bataille du Yarmouk
Mohammad Adil (CC BY-SA)

Le 15 août, les combats commencèrent par plusieurs duels, comme de coutume dans la région, au cours desquels les champions musulmans semblaient avoir battu leurs adversaires. Vahan ordonna ensuite l'avancée d'un tiers seulement de ses forces pour sonder les lignes musulmanes à la recherche de faiblesses; les combats ne furent pas extrêmes et les Byzantins battirent en retraite à la fin de la journée. Cherchant à prendre les Arabes par surprise, Vahan avança le lendemain à l'aube, sachant probablement que les musulmans seraient occupés à faire leurs prières (Fajr). Khalid, cependant, avait posté des patrouilles d'éclaireurs à l'avant de l'armée principale en prévision d'une telle attaque surprise. Les Byzantins, constatant que les musulmans étaient complètement alertes, attaquèrent malgré tout et bloquèrent leur centre tandis que leurs flancs portaient les coups de part et d'autre. Les flancs musulmans, d'abord la droite puis la gauche, se replièrent dans leurs camps où, aidés par leurs femmes, ils réussirent à contenir l'ennemi jusqu'à ce que la réserve de cavalerie de Khalid ne vienne les relever. La détermination des femmes musulmanes intrépides a été relatée avec éloquence par l'historien David Nicolle:

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...la droite musulmane s'est repliée et les troupes byzantines ont atteint un ou plusieurs camps arabes. Là, l'infanterie et la cavalerie musulmanes qui battaient en retraite furent accueillies par leurs femmes qui les insultaient pour s'être enfuies, battaient le tambour, jetaient des pierres et chantaient des chansons pour faire honte aux hommes et les renvoyer au combat. Le même scénario se déroula un peu plus tard sur le flanc gauche des musulmans... (68)

Les Byzantins continuèrent à tenter de percer les rangs musulmans pendant les deux jours suivants, et au moment où les troupes de Vahan semblaient avoir fait une percée, Khalid utilisa sa réserve pour les mettre en fuite. Cherchant à donner un peu de répit à ses hommes, le commandant arménien demanda la paix le cinquième jour. À la grande surprise d'Abu Ubaida, qui aurait bien voulu accepter, Khalid rejeta l'offre; le rusé général savait que le moment d'agir était venu. Le cinquième jour se termina sans grand combat et Khalid, sachant que ses ennemis étaient démoralisés, prépara un assaut total pour le lendemain, comme il l'avait prévu depuis le début.

Yarmouk Valley
Vallée du Yarmouk
Mohammad Adil (CC BY-SA)

Dans l'obscurité de la nuit, il envoya un détachement de cavalerie autour du champ de bataille pour s'emparer du seul pont sur le wadi Ruqqad, coupant ainsi la seule voie de sortie de l'armée impériale. Les combats commencèrent le 20 août 636 par un nouveau duel, au cours duquel Abu Ubaida eut raison de son ennemi, un commandant grec nommé Grégoire, puis toute la ligne musulmane chargea. Alors que l'infanterie immobilisait ses adversaires, Khalid entra en action et mena une énorme force de cavalerie, composée de toutes ses divisions de cavalerie, autour du flanc gauche des Byzantins. Vahan, réalisant trop tard qu'il s'était fait rouler, ne parvint pas à organiser sa cavalerie désordonnée à temps, et les musulmans écrasèrent la gauche byzantine en son centre.

Encerclées sur trois fronts et sans espoir d'aide de la part des cataphractaires, les troupes impériales se mirent en déroute, mais à leur insu, leur fuite avait déjà été interrompue. Les troupes impériales furent massacrées au cours de leur retraite, beaucoup se noyèrent dans la rivière, d'autres tombèrent du haut des collines escarpées de la vallée (beaucoup sautèrent pour éviter une mêlée avec les Arabes). Khalid anéantit pratiquement son ennemi et s'assura une victoire écrasante, tout en ne subissant qu'environ 4 000 pertes. Vahan périt au cours de la bataille ou, selon certains, adopta un mode de vie monastique après cette défaite écrasante. Jabalah aurait fait défection et rejoignit le camp des Rashidun au plus fort de la bataille, et se convertit à l'islam en 638, avant de renoncer à la foi plus tard et de s'enfuir en Arménie.

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Suite et conclusion

Grâce à cette victoire éclatante, les musulmans détenaient un pouvoir incontesté sur le Levant et la Syrie. Jérusalem, ville sainte pour les trois religions monothéistes - judaïsme, christianisme et islam - se rendit personnellement au calife en 637 après avoir reçu des assurances de sécurité. Khalid ibn al-Walid ne reçut cependant pas le prestige qui lui revenait de droit. Umar le déchargea officiellement de ses fonctions lors de sa visite dans la région peu après la bataille. Bien que la moralité de Khalid n'ait pas égalé pas celle d'Omar (il y eut quelques controverses à son sujet), cette décision fut très critiquée, car c'était Khalid qui avait sauvé la cause musulmane d'une condamnation certaine, mais Omar annonça qu'il l'avait fait pour montrer au peuple que c'était Dieu seul qui leur avait donné la victoire.

Khalid se retira paisiblement (même s'il se serait plaint à Omar d'être traité comme un moins que rien), mourut en 642 et fut enterré à Homs. Bien que de nombreuses personnes l'aient encouragé à se rebeller contre Omar, Khalid refusa de le faire. Les musulmans envahirent bientôt l'Égypte, une partie de l'Afrique du Nord et plusieurs îles de la Méditerranée. Du côté sassanide, une victoire tout aussi spectaculaire à la bataille d'al-Qadisiyya (636) ouvrit également une voie de conquête similaire, portant l'empire islamique à une taille titanesque en l'espace de quelques décennies seulement.

Khalid ibn al-Walid Mosque, Homs
Mosquée Khalid ibn al-Walid, Homs
Travpacker.com (CC BY-ND)

Le succès des musulmans face à ces superpuissances était dû à une combinaison de raisons. Tout d'abord, les mauvais traitements infligés respectivement aux Syriens et aux Irakiens avaient incité ces peuples non seulement à faire bon accueil aux nouveaux envahisseurs, mais aussi à les aider. Deuxièmement, les années de lutte l'un contre l'autre avaient considérablement affaibli les deux empires colossaux. Troisièmement, bien que l'équipement des Arabes n'ait pas été comparable à celui de leurs ennemis, leur habileté au combat était inégalée et la contribution de grands généraux comme Khalid ibn al-Walid ne peut pas non plus être sous-estimée.

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Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Syed Muhammad Khan
Muhammad est biologiste, passionné d'Histoire et écrivain indépendant. Il contribue activement à l'Encyclopédie depuis 2019.

Citer cette ressource

Style APA

Khan, S. M. (2020, juin 04). Bataille du Yarmouk [Battle of Yarmouk]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1563/bataille-du-yarmouk/

Style Chicago

Khan, Syed Muhammad. "Bataille du Yarmouk." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le juin 04, 2020. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1563/bataille-du-yarmouk/.

Style MLA

Khan, Syed Muhammad. "Bataille du Yarmouk." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 04 juin 2020. Web. 23 nov. 2024.

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