Mulan ("magnolia") est un personnage légendaire de la littérature chinoise qui est surtout connu de nos jours grâce aux adaptations cinématographiques de Disney (1998, 2020). Cependant, son histoire, celle d'une jeune fille qui prend la place de son père dans l'armée pour aider à sauver son pays, est vieille de plusieurs centaines d'années.
Le conte vit très probablement le jour à l'époque des Wei du Nord (386-535 de notre ère) en Chine avant d'être développé par des auteurs successifs. Les spécialistes s'accordent à dire que Mulan est un personnage fictif, probablement créé dans le nord de la Chine en réponse à la plus grande indépendance dont jouissaient les femmes dans cette région, et dont la légende fut ensuite révisée au cours des époques suivantes pour refléter les valeurs et les défis contemporains.
L'œuvre originale, le Poème de Mulan (Mùlán shí), date du VIe siècle de notre ère et reflète les influences des peuples turco-mongols sur la région, l'accent étant mis sur la piété filiale, vertu centrale et morale du conte. La plus récente Ballade de Mulan (de la dynastie Tang, 618-907) conserve ce thème tout en changeant de période et de sujet. La légende fut ensuite incluse dans une compilation réalisée par Guo Maoqian, de la dynastie des Song (960-1279), qui fournit à d'autres auteurs le matériel de base pour leurs propres versions.
La pièce de théâtre La femme Mulan remplace son père à la guerre (XVIe siècle) modifia les thèmes antérieurs, ramena l'action à l'époque des Wei du Nord et introduisit la fin heureuse du motif du mariage. Les versions suivantes se concluaient par le suicide de Mulan pour éviter la honte de devoir devenir la concubine de l'empereur, jusqu'à ce que l'histoire n'en revienne à la conclusion de la joyeuse réunion de famille et du mariage. Lorsque le personnage entra dans l'ère moderne, par le biais du film Mulan rejoint l'armée (1939), elle était une nationaliste convaincue, chassant les envahisseurs étrangers, et son ancienne vertu de piété filiale avait été remplacée par un amour inébranlable pour son pays.
Depuis la sortie du film d'animation Disney de 1998, l'histoire de Mulan a gagné en popularité et a attiré l'attention sur les autres femmes, toutes attestées historiquement, qui prirent les armes pour une cause à laquelle elles croyaient tout au long de l'histoire de la Chine. L'héroïne fictive a ainsi mis en lumière des héroïnes réelles et encouragé davantage l'autonomisation des femmes, l'autodétermination et la reconnaissance de la force féminine, ce à quoi contribuera sans doute le plus récent Mulan (2020).
Résumé et Période Temporelle
L'histoire, telle qu'elle est connue aujourd'hui grâce aux films récents, situe Mulan à une époque non identifiée de la Chine impériale (221 av. JC - 1912 de notre ère), mais le poème original se déroule pendant la période des Wei du Nord. Les versions moderne et ancienne suivent fondamentalement la même intrigue: une jeune fille prend la place de son père âgé dans l'armée lorsqu'il est appelé à servir, accomplit admirablement son devoir, sauve son pays et rentre chez elle où elle est reçue avec tous les honneurs.
Dans les films de Disney, on apprend qu'elle est une femme, mais elle persévère contre l'interdiction faite aux femmes de servir dans l'armée et va au-delà de ce qu'on attend d'elle pour vaincre les ennemis de la Chine; dans la version originale, où elle sert pendant 12 ans, son sexe n'est jamais remis en question et elle ne se révèle qu'à la fin, à la grande surprise des hommes qui ont servi avec elle.
Le poème original se déroule pendant l'ère chaotique entre la chute de la dynastie Han (202 av. JC - 220 ap. JC) et l'avènement de la dynastie Sui (589-618 ap. JC), au cours de laquelle la Chine se divisa d'abord en une période de trois royaumes (220-280 ap. JC), puis fut gouvernée par des dynasties successives de courte durée, dont les Wei, qui s'établirent pendant la période des dynasties du Nord et du Sud (386-589 ap. JC). Le royaume des Wei du Nord fut fondé par le clan Tuoba (également appelé Tabgach) des Xianbei de Mongolie, d'origine turque, qui adopta la culture et les coutumes chinoises tout comme les Chinois de la région assimilèrent celles des Tuoba. L'expert Harold M. Tanner commente:
Au fur et à mesure que [les Xianbei] se sont fondus dans la population chinoise Han, ces non-Han ont modifié la culture chinoise. Les changements ont été particulièrement visibles dans le nord, où le mélange des élites turques et chinoises a donné naissance à une nouvelle société aristocratique... Les instruments de musique d'Asie centrale, notamment le pipa (un instrument à cordes pincées ressemblant à un luth) et le huqin (un violon à deux cordes) sont entrés dans le courant dominant de la culture musicale chinoise. La musique et la poésie du Nord ont absorbé les cadences de la musique folklorique d'Asie centrale, et les femmes du Nord étaient plus indépendantes et jouaient un plus grand rôle en public que leurs sœurs du Sud. Un poète inconnu du cinquième ou du sixième siècle a célébré, ou peut-être exagéré, cette indépendance féminine dans la "Ballade de Mulan", que les auteurs ont ensuite adaptée en pièce de théâtre et, finalement, en film Disney. (162-163)
Tanner confond ici la "Ballade de Mulan" avec le "Poème de Mulan" qui avait pour toile de fond une invasion des Rourans dans le Wei du Nord. Les Rourans étaient un peuple nomade de l'ouest qui mena des invasions répétées de la Chine au cours des siècles. Pour s'en protéger, les Wei du Nord ajoutèrent et étendirent la ligne existante de la Grande Muraille de Chine.
Le poème commence avec Mulan assise à son métier à tisser, qui tisse et soupire. Lorsqu'on lui demande de qui elle est amoureuse et qui provoque de tels soupirs, elle explique qu'elle a vu les convocations du gouvernement, comment le Khan mobilise les troupes et comment le nom de son père figure sur la liste des conscrits. Son jeune frère n'est qu'un bébé et son père est trop vieux pour servir. Elle dit donc à sa famille qu'elle prendra sa place car elle est déjà très douée pour les arts martiaux, l'équitation et le tir à l'arc. Personne ne s'y oppose, elle achète donc un cheval et de l'équipement et part à la guerre.
Elle sert avec distinction et se voit offrir l'honneur d'un poste gouvernemental important, mais elle le refuse. Elle rentre chez elle avec ses compagnons d'armes, se réfugie à l'intérieur et se rhabille en tenue féminine. Lorsqu'elle ressort, ses camarades lui disent : " Nous avons marché ensemble pendant ces douze longues années, et nous ne savions absolument pas que Mulan était une fille ! ". (Shiamin, Idema, xiv). À la fin du poème, le narrateur compare les gens à des lièvres et explique que, lorsqu'ils courent côte à côte, personne ne peut distinguer le mâle de la femelle, et il en va de même pour les gens.
La Balllade de Mulan, plus tardive et datant de la dynastie Tang, change de lieu pour se situer dans la Chine de l'ère Tang et se concentre sur le danger que représentent pour l'État les récentes rébellions comme celle d'An Lushan (766-779). L'histoire est la même, mais l'accent est davantage mis sur le service de l'État à travers l'idéal confucéen de la piété filiale. La motivation initiale du service de Mulan est toujours de sauver son père, mais le salut du membre de la famille est assimilé à la défense du pays. Ceci, bien sûr, est conforme aux idéaux confucéens dans la mesure où une famille vertueuse, théoriquement, aidera à produire une communauté vertueuse et, par extension, une nation.
La Femme Mulan et Versions Successives
Au cours de la dynastie Song, l'anthologiste Guo Maoqian acheva son ouvrage intitulé Anthologie de Poèmes à Chanter, qui comprend des documents issus de l'ouvrage connu sous le nom de Traité sur la Musique du 6e siècle de notre ère, dont la légende de Mulan. Il n'existe aucune version connue de l'histoire de Mulan entre la dynastie Tang et la pièce de théâtre La femme Mulan remplace son père à la guerre du dramaturge Xu Wei (1521-1593). On suppose donc que Xu Wei s'inspira de l'œuvre de Guo Maoqian pour la rédiger. Xu Wei présente le nom de famille Hua ("fleur") du personnage de Mulan ainsi que son nom d'emprunt masculin, Hua Hu, détaille sa transformation de jeune fille en guerrier masculin et conclut par le motif du mariage, très populaire à son époque.
La pièce se déroule à l'époque des Wei du Nord, lorsque les hommes furent enrôlés pour lutter contre un chef rebelle et bandit notoire qui se faisait appeler Peau de Léopard. Le choix de cette période et de cette menace par l'auteur est intentionnel et vise à attirer l'attention de son public historiquement cultivé. En effet, en 386 de notre ère, les Wei du Nord étaient en proie à des troubles causés par des rebelles et des bandits du sud et le royaume des Wei du Nord lança effectivement un appel aux armes et à la conscription.
La pièce est écrite en deux actes, le premier détaillant sa décision d'aller à la guerre et le second la suivant pendant la bataille et son retour chez elle. Dans le premier acte, elle explique sa situation, sort acheter de l'équipement, puis se détache les pieds (une pratique inconnue à l'époque du Wei du Nord, mais qui aurait été familière au public de Xu Wei), détail le plus révélateur de sa transformation de femme en homme. Elle s'exerce au maniement des armes, puis rejoint les soldats pour débusquer Peau de Léopard et ses hommes. Le deuxième acte s'ouvre sur l'attaque du repaire de Peau de Léopard, sa capture par Hua Hu (Mulan) et les honneurs que le jeune soldat reçoit alors de "son" commandant. Shiamin et Idema décrivent la suite :
Hua Hu se distingue pour son rôle dans la capture et reçoit une casquette et une gaine, symboles d'une promotion à un poste au sein du Secrétariat impérial. Hua Hu est donc renvoyée chez elle, toujours en tant qu'homme, en compagnie de ses deux compagnons d'armes, pour attendre sa nouvelle nomination... Alors qu'elle voyage avec les soldats, ceux-ci font remarquer qu'il est étrange qu'ils n'aient jamais vu Hua Hu utiliser les toilettes [Hua Hu répond par une allusion à la déesse de la lune dont le visage change fréquemment et dont on ne connaît pas la véritable identité]... De retour chez elle, Hua Hu se remaquille d'abord, puis salue sa famille. Elle partage ses succès avec ses parents, leur montre le bonnet et la gaine qui lui ont été accordés, puis confirme qu'elle retourne chez elle "bourgeon de cornouiller", c'est à dire vierge. Après le départ de ses compagnons d'armes émerveillés, un jeune homme entre en scène, lui aussi coiffé d'un bonnet et d'une gaine... L'union des deux jeunes gens a été combinée par leurs parents et ils se marient immédiatement sur scène. (xviii)
Le succès de la pièce de Xu Wei encouragea d'autres versions de la légende de Mulan pendant la dynastie Qing (1644-1912). The Historical Romance of the Sui and Tang, composé à partir de sources antérieures par Chu Renhuo (c. 1630 - c. 1705), fut extrêmement populaire et refondit la légende pendant la période de déclin de la dynastie Sui, lorsque les Turcs orientaux soutinrent des rébellions contre le gouvernement chinois. Dans cette version, Mulan est la fille d'un père turc et d'une mère chinoise et, lorsque le khan turc enrôle son père, Mulan part à sa place.
Elle est capturée par une guerrière, Dou Xianniang, qui admire son courage et l'emploie comme assistante, lui sauvant la vie et l'associant au camp des vainqueurs. À la fin de la guerre, Mulan est graciée et rentre chez elle pour découvrir que son père est mort. Le Khan, qui l'avait remarquée pendant le conflit, lui fait savoir qu'elle doit rejoindre son harem et, plutôt que de se soumettre à cette honte, Mulan se tue.
Cette même histoire est racontée, avec des différences significatives, dans The Complete Account of Extraordinary Mulan, (c. 1800). Dans cette version, le grand-père de Mulan, Zhu Ruoxu, est un maître des arts sombres qu'il a appris d'un plus grand maître, Li Jing. Zhu Ruoxu refuse d'utiliser lui-même ses pouvoirs mais les enseigne à Mulan. Des années plus tard, la guerre est déclarée et le père de Mulan est enrôlé, mais elle y va à sa place, se révèle être un maître de tous les arts martiaux et est acceptée dans l'armée. Li Jing, qui supervise les recrues, la reconnaît mais garde son identité secrète. Elle est rapidement promue au poste de général sous le nom de Wu Zhao. Elle vit de nombreuses aventures dans lesquelles sa maîtrise des arts sombres joue un rôle, notamment une difficile ascension d'une montagne pour délivrer un message à un moine qui lui donne un chameau magique.
Elle utilise ensuite le chameau pour aider à vaincre le général de l'armée adverse. L'empereur Tang Taizong lui offre un poste d'honneur, mais Mulan se révèle être une femme qui ne peut pas occuper ce poste. Au lieu de la punir, l'empereur change son titre en princesse Wu Zhao et lui permet de rentrer chez elle. Cependant, l'empereur change d'avis par la suite et exige qu'elle revienne. Mulan refuse trois fois, sachant que l'empereur a écouté les mensonges sur son complot contre lui et prévoit de l'exécuter ; pour prouver son innocence et sa vertu, elle se tue.
Mulan des temps modernes
Selon Shiamin et Idema, un opéra intitulé Mu Lan rejoint l'armée a été écrit en 1903. L'action se déroule sous la dynastie Han, avec les Xiongnu (une tribu de guerriers souvent associée aux Huns) comme antagonistes. L'histoire suit la même trame de base que les versions précédentes, mais l'accent est mis sur la lâcheté des hommes et la force des femmes. Note de Shiamin et Idema :
Mu Lan saute sur l'occasion de rejoindre l'armée une fois que son cousin, malgré sa dévotion aux arts martiaux, s'avère être trop lâche pour faire son devoir. Sa motivation première n'est plus la piété filiale mais "de faire honte à ces hommes" et de servir de modèle aux femmes. (xxiv)
La pièce ne semble pas avoir été produite mais, à cette époque, la légende de Mulan était bien connue dans toute la Chine et incitait de nombreuses femmes à l'imiter. Son influence inspira la combattante pour la liberté, intellectuelle et poète Qiu Jin (1875-1907) dans ses efforts pour renverser la dynastie corrompue des Qing. Qiu Jin fut arrêtée et exécutée, mais son action incita d'autres femmes à suivre son exemple.
La légende de Mulan fut présentée pour la première fois au cinéma en Chine en 1939 dans Mulan rejoint l'armée, qui la présente comme une ardente nationaliste dont le zèle pour son pays et l'héroïsme font honte à ses camarades masculins tout au long de son service. Après avoir servi honorablement, elle rentre chez elle, révèle à son plus proche camarade qu'elle est une femme, et les deux se marient.
Mulan fut présentée, ou évoquée, dans d'autres films chinois par la suite, mais bénéficia d'une attention internationale en 1998 avec la sortie du long métrage d'animation Mulan de Disney. Cette version raconte la même histoire, mais avec les ajouts typiques de Disney, à savoir un dragon parlant, un grillon intelligent et un cheval apparemment conscient de lui-même, et conserve la fin heureuse des retrouvailles de Mulan avec son père et sa famille et la suggestion qu'elle va épouser le beau commandant avec lequel elle a servi. Le film a été généralement bien accueilli, bien que les nationalistes turcs aient condamné la représentation des envahisseurs Hun comme des barbares sauvages et que le gouvernement chinois se soit opposé au dragon parlant qui, selon eux, se moquait de la grandeur traditionnelle du symbole chinois emblématique. Malgré cela, le film a fait connaître la légende de Mulan à un public plus large et a suscité un intérêt accru pour l'histoire et la littérature chinoises.
Conclusion
Le film le plus récent, Mulan (2020), incorpore un certain nombre de thèmes et de personnages pour raconter l'histoire à une nouvelle génération. Une première scène dans laquelle Mulan fait de l'équitation et remarque deux lièvres qui courent côte à côte est une allusion directe à la version la plus ancienne de la légende, lorsque le narrateur fait remarquer que personne ne remarque la différence de sexe lorsque les lièvres courent l'un à côté de l'autre. La femme guerrière Dou Xianniang apparaît également, combinée à l'aspect "arts sombres" de L'histoire de la loyale, filiale et héroïque Mulan, pour créer un personnage attachant. Le film fonctionne, en s'inspirant de nombreux autres aspects de la légende, pour offrir au public une nouvelle vision de l'histoire plutôt qu'un simple remake d'un film à succès antérieur. Cette dernière version, qui n'est pas sortie en salles mais diffusée en streaming par Disney-Plus dans les pays qui la diffusent, a reçu des critiques majoritairement positives et a déjà relancé un intérêt significatif pour la légende.
La popularité de Mulan depuis 1998 a suscité un intérêt pour les héroïnes historiques chinoises qui étaient auparavant inconnues en Occident et le dernier film fera sans doute de même. Parmi ces femmes figure Xun Guan, de la dynastie des Jin occidentaux (265-316 de notre ère), la fille de 13 ans du gouverneur Xun Song, qui mena une équipe de soldats triés sur le volet pour briser les lignes des forces ennemies encerclant la ville de son père et ramena une force de secours pour lever le siège. La princesse Pingyang de la dynastie Tang forma sa propre armée (connue sous le nom de l'armée de Lady Li) et la mena dans un certain nombre d'engagements victorieux contre les forces de la dynastie Sui, alors corrompue. Elle est la seule femme de l'histoire de la Chine impériale à recevoir des honneurs militaires lors de son enterrement. La guerrière Wong Cong'er (c. 1777-1798) commandait la secte du Lotus blanc dans la rébellion contre la dynastie Qing, dirigeant une armée d'hommes et utilisant des tactiques de guérilla pour remporter un certain nombre de victoires importantes. Finalement encerclée et confrontée à la défaite, elle se jeta du haut d'une falaise plutôt que de se laisser capturer.
L'histoire et le nom de Mulan ont également influencé la création de l'art martial Mulan Quan (également Mulan Hua Ja Quan), qui associe le tai chi à la danse, au kung fu et à d'autres arts pour créer une forme unique d'autodéfense et d'amélioration personnelle. Cette discipline vise à encourager la confiance, la force et la grâce de Mulan chez les pratiquants d'aujourd'hui et n'est qu'un des nombreux exemples de la façon dont la légende de Mulan continue d'inspirer les gens d'aujourd'hui, en particulier les femmes, tout comme elle l'a fait dans le passé.