La majorité des grandes œuvres d'art de la Renaissance furent produites dans de grands ateliers très fréquentés, dirigés par un maître artiste prospère et son équipe d'assistants et d'apprentis. C'est également là que les œuvres d'art plus ordinaires étaient produites en grandes quantités pour répondre à la demande de clients disposant d'un budget plus modeste que celui des souverains et des papes. Les ateliers étaient également des lieux de formation pour les jeunes artistes qui apprenaient leur métier pendant plusieurs années, en commençant par copier des croquis et en terminant éventuellement par la production d'œuvres en leur propre nom. Bien que les ateliers aient eu souvent un "style" bien défini, ils étaient aussi des lieux d'expérimentation des idées et d'étude, de discussion et d'utilisation des nouvelles tendances dans des œuvres d'art allant des fresques massives aux figurines votives.
La création des ateliers
Les personnes qui produisaient des objets d'art et de décoration, celles que nous appelons aujourd'hui "artistes", étaient, à la Renaissance, appelées "artisans" et appartenaient donc à la même catégorie générale que les cordonniers, les boulangers, les charpentiers et les forgerons. Comme tous ces autres artisans, les artistes disposaient d'ateliers dotés de l'équipement spécialisé, des matériaux et de l'espace nécessaires à leur travail. À mesure que la Renaissance progressait, il est vrai que les artistes commencèrent à se distinguer des autres artisans, car leur travail comportait un élément intellectuel évident - ils étudiaient le passé et se penchaient sur des théories telles que la perspective mathématique, par exemple. Jusqu'alors, le titre d'artiste était réservé à ceux qui avaient étudié les sept arts libéraux (rhétorique, grammaire, dialectique, géométrie, arithmétique, musique et astronomie). Ce développement et cette élévation de l'artiste par rapport aux autres artisans indiquent également que l'art était devenu un élément essentiel et important de la perception qu'une ville ou un État avait de soi.
Pendant la Renaissance, la réalisation de nombreux projets civiques, mais aussi de certains projets privés comme les cycles de fresques, pouvait prendre plusieurs années. Certains projets nécessitaient de grandes quantités de matériaux et une équipe d'artistes, travaillant généralement sous la supervision de l'artiste en chef ou de son contremaître, pour être achevés dans les temps. Par conséquent, lorsque des maîtres artistes étaient chargés de projets spécifiques, ils se voyaient souvent attribuer un espace dédié pour créer un atelier s'ils n'en avaient pas déjà un ou s'il était plus pratique de travailler sur place. Donatello (v. 1386-1466), par exemple, fut chargé de créer des sculptures pour l'extérieur de la cathédrale de Florence et obtint un espace pour son atelier dans l'une des chapelles de la cathédrale. La gestion d'un atelier exigeait toutes sortes de compétences, en plus des compétences artistiques. Un maître devait faire preuve de discernement dans l'acquisition des contrats, gérer et former le personnel, évaluer la qualité des matières premières, établir un budget, investir les bénéfices et, bien sûr, ne jamais cesser de produire de grandes œuvres.
Certains artistes à succès avaient même des ateliers dans deux villes ou plus en même temps. Tout comme aujourd'hui, une carrière artistique pouvait être précaire et certains artistes réduisaient la charge financière et les risques en partageant un atelier. Donatello et Michelozzo di Bartolomeo (1396-1472), par exemple, partageaient des ateliers à Pise et à Florence, ce qui leur permettait d'économiser des fonds en partageant deux bateaux et une mule pour le transport du marbre nécessaire à leur travail.
Les clients
À la Renaissance, en général, l'art n'était pas produit d'abord et vendu ensuite, comme c'est souvent le cas aujourd'hui, mais les artistes étaient chargés de produire des pièces spécifiques. Les œuvres d'art étant coûteuses, les clients d'un atelier étaient généralement des souverains, des aristocrates (hommes et femmes), des banquiers, des marchands prospères, des notaires, des membres supérieurs du clergé, des ordres religieux, des autorités civiques et des organisations comme les guildes. Des clients plus modestes pouvaient commander des œuvres pour des occasions très spéciales comme un mariage ou l'emménagement dans une nouvelle maison. Une autre demande populaire d'œuvres d'art concernait les ex-voto, c'est-à-dire des objets tels que des plaques et des petits reliefs que les croyants souhaitaient laisser dans leur église locale en remerciement d'événements propices survenus dans leur vie quotidienne. Ces ex-voto faisaient partie de la minorité d'œuvres qu'un atelier produisait sans avoir identifié au préalable un acheteur spécifique et ils étaient donc probablement disponibles "au comptoir" pour qu'un client puisse faire son choix.
Mais quel que fût le client, il était généralement pointilleux, et le travail de l'artiste consistait à produire exactement ce qu'il voulait. Il ne s'agissait pas d'un simple caprice de la part des mécènes, car à cette époque, l'art n'était pas simplement destiné à être esthétiquement plaisant. Les œuvres d'art avaient plutôt des fonctions spécifiques, comme inspirer la dévotion, raconter une histoire biblique ou représenter l'histoire et les capacités d'une certaine ville ou d'une famille dirigeante. Pour cette raison, l'artiste devait respecter certaines conventions afin que les spectateurs puissent facilement reconnaître les figures religieuses, mythologiques et historiques.
Les mécènes et les clients n'hésitaient donc souvent pas à stipuler exactement ce qu'ils voulaient voir dans l'œuvre achevée. Les artistes qui s'écartaient de ces stipulations risquaient de ne pas voir leur œuvre acceptée ou remplacée (dans le cas d'une fresque, par exemple). Les marchandages sur le projet et les honoraires de l'artiste retardèrent de nombreux projets, qu'il s'agisse du tombeau d'un pape ou de la statue d'un chef militaire. Les contrats stipulaient souvent une date précise de fin des travaux, ce qui pouvait être une autre source de friction entre le mécène et l'artiste. Le contrat pouvait inclure une clause sur la quantité de matériaux précieux - de l'or aux couleurs coûteuses - utilisés dans la commande. Dans le cas d'œuvres publiques, l'œuvre achevée pouvait être soumise à une évaluation par un organisme d'artistes indépendants afin de garantir sa qualité. Toutefois, certains artistes étaient suffisamment célèbres pour revendiquer le contrôle total d'un projet donné, même s'il y avait parfois un tollé de la part des traditionalistes lorsque l'œuvre était finalement révélée au public. Les fresques de la chapelle Sixtine de Michel-Ange en sont un bon exemple, lorsque certains membres du clergé s'opposèrent à la quantité de nudité dans son œuvre. Le fait que la destruction des fresques ait été sérieusement envisagée montre à quel point il était dangereux pour un artiste de s'écarter des conventions, même un artiste aussi renommé que Michel-Ange.
Il existait une grande rivalité entre les villes italiennes telles que Florence, Venise, Mantoue et Sienne et il n'était pas rare que les souverains et les autorités civiles tentent de débaucher un artiste d'une ville pour établir un nouvel atelier ailleurs. Ces autorités espéraient que le nouvel art produit renforcerait le prestige de leur ville et le leur. En outre, certains artistes étaient tellement demandés qu'ils acceptaient plus de commandes qu'ils ne pouvaient en traiter, si bien que des œuvres restaient inachevées ou devaient être achevées par un assistant. Léonard de Vinci (1452-1519) était connu pour ne pas terminer ses projets, et les mécènes s'écrivaient même entre eux pour mettre en garde contre ce défaut.
Les apprentis
Les ateliers n'étaient pas seulement des lieux de production artistique, mais aussi des écoles de formation pour la prochaine génération d'artistes. Les apprentis suivaient généralement, mais pas toujours, leur père dans la profession artistique, comme c'était le cas dans d'autres métiers. D'autres garçons qui montraient des talents artistiques étaient envoyés dans l'atelier d'un artiste célèbre. Lorenzo Ghiberti (1378-1455), le célèbre sculpteur qui travailla pendant des décennies sur les portes du baptistère de Florence, avait un grand atelier dans cette ville. De nombreux artistes étudièrent sous la direction de Ghiberti ou travaillèrent en tant qu'assistants, notamment le sculpteur Donatello et le peintre Paolo Uccello (1397-1475). Autre exemple, l'artiste florentin Andrea del Verrocchio (c. 1435-1488) forma Pietro Perugino (alias Le Pérugin c. 1450-1523), Sandro Botticelli (1445-1510) et Léonard de Vinci. Le Pérugin formera lui-même Raphaël (1483-1520) dans son atelier de Pérouse. Le monde de l'art de la Renaissance était vraiment très restreint et les artistes célèbres étaient certainement au courant de ce que leurs rivaux produisaient, que ce soit dans la pièce voisine de l'atelier ou dans une autre ville.
Les apprentis étaient presque tous des garçons (il arrivait qu'un artiste mette sa propre fille en apprentissage), et ils pouvaient être engagés dès l'âge de onze ans ou au début de l'adolescence. La formation durait généralement de trois à cinq ans, mais pouvait être plus ou moins longue, en fonction des capacités et des progrès de l'apprenti. L'apprenti était nourri, logé et habillé, et recevait parfois un petit salaire. Il commençait par effectuer les travaux simples nécessaires au fonctionnement quotidien de l'atelier, puis progressait dans la fabrication de pinceaux en poils de sanglier, la préparation de colles et le broyage de pigments dans des bassins en marbre. Venaient ensuite des tâches telles que le mélange de gesso, la création de plâtre et la préparation des toiles.
Les compétences artistiques proprement dites commençaient généralement par le dessin (au fusain ou à l'encre), auquel on accordait une grande importance à la Renaissance. Les apprentis copiaient sans cesse les dessins réalisés par d'autres, puis passaient à la création de nouveaux dessins à partir de moulages tridimensionnels. L'étape finale consistait à dessiner d'après des modèles vivants, souvent des compagnons d'apprentissage habillés en bergers et en anges, nus ou portant des vêtements qui permettaient à l'artiste de perfectionner sa représentation de draperies pliées. Une autre source de réalité était le dessin de cadavres et de membres disséqués, acquis auprès des médecins locaux et considérés comme un moyen utile pour les peintres et les sculpteurs de mieux comprendre la musculature humaine afin de pouvoir ensuite la représenter plus fidèlement dans l'art. Des sorties en ville étaient organisées pour dessiner des bâtiments, des arbres et des oiseaux. Comme le recommanda un jour Léonard de Vinci, tout artiste qui se respecte doit toujours avoir un carnet de croquis sur lui pour être prêt à saisir un nouveau sujet intéressant.
À la Renaissance, il était courant que les stagiaires acquièrent des compétences dans différents domaines, tels que la fresque, la peinture sur panneau à la tempera ou à l'huile, la sculpture à grande échelle en pierre et en métal, la gravure, la mosaïque et les secrets de l'orfèvre. Les jeunes artistes acquéraient des compétences pratiques telles que le moulage de sculptures dans des métaux comme le bronze et l'assemblage de ces pièces. Ils apprenaient les techniques de "ciselage" (finition et polissage) et de dorure des œuvres finies et à mélanger les couleurs et étudiaient des techniques telles que le clair-obscur (l'utilisation contrastée de la lumière et de l'ombre), le sfumato (la transition des couleurs claires vers les couleurs foncées) et la manière d'obtenir un sens de la perspective dans une scène. Enfin, et surtout, l'apprenti apprenait à reproduire les méthodes artistiques propres au maître de l'atelier, le "style" de la maison.
Les assistants
Après avoir acquis toutes les compétences susmentionnées, l'apprenti devenait assistant. Il recevait alors un salaire complet et pouvait travailler pour le compte de l'artiste en chef de l'atelier, qui pouvait alors signer de son nom l'œuvre d'art finie (bien que certains contrats stipulent que les éléments importants d'une œuvre devaient être créés par le maître lui-même). On faisait confiance à un assistant doué pour remplir les parties moins importantes d'une œuvre que le maître était en train de créer, par exemple les mains d'un personnage, une scène d'arrière-plan ou l'application de zones de feuilles d'or. On peut imaginer que les assistants moins doués se voyaient confier des tâches encore plus mineures, comme l'ajout d'inscriptions et d'étiquettes sur les œuvres d'art, une pratique assez courante à l'époque de la Renaissance.
Un assistant pouvait également rejoindre une guilde de sa ville et ainsi produire des œuvres à part entière, même s'il restait dans l'atelier plutôt que de s'installer à son compte, comme ce fut le cas pour Léonard de Vinci au début de sa carrière. S'ils souhaitaient créer leur propre atelier, ils devaient d'abord soumettre un "chef-d'œuvre" à l'approbation de leur guilde locale, qui leur délivrait ensuite le droit de le faire (moyennant le paiement d'une taxe). Un autre groupe au sein de l'équipe de l'atelier, rarement mentionné mais dont l'existence est parfois documentée, était celui des esclaves. Contrairement à l'apprenti ou à l'assistant, ils ne recevaient pas de salaire, mais un esclave pouvait, en plus d'effectuer des tâches évidentes comme le ramassage, le transport et le nettoyage, être formé à des arts spécifiques et produire ses propres œuvres.
Outre la production d'objets physiques, les idées étaient étudiées et discutées dans l'atelier entre le maître et ses assistants. De nombreux artistes de renom constituèrent leurs propres collections d'antiquités ou leurs portefeuilles de dessins d'art ancien afin que leur étude puisse aider l'atelier à reproduire correctement les détails anatomiques, les proportions ou les motifs classiques. Il existait également des textes écrits traitant de l'art et des techniques. Leon Battista Alberti (1404-1472) écrivit l'un de ces traités influents, De pictura (De la peinture), en 1435. Le maître pouvait également avoir des contacts avec d'autres artistes dans d'autres villes ou à l'étranger, ce qui permettait aux idées et aux tendances de se transmettre aux artistes à venir. Comme nous l'avons mentionné, ces études théoriques étaient un élément essentiel de la progression des artistes vers un statut plus intellectuel et plus élevé dans la société de la Renaissance.
Production de masse et contrefaçons
Malgré toute cette attention portée à l'apprentissage et à la théorie artistiques, de nombreux ateliers devinrent des usines d'art et la plupart de leurs productions n'étaient pas les chefs-d'œuvre que nous voyons aujourd'hui dans les musées du monde entier, mais des pièces plus banales destinées à la décoration d'églises mineures et de maisons moins prestigieuses. L'atelier du Pérugin, par exemple, était connu pour produire d'interminables retables dont les figures combinaient des poses, des têtes et des membres tirés d'un catalogue standard de dessins. Ces œuvres étaient faites à la main et individualisées par la combinaison unique d'éléments standard, mais elles constituaient l'art de masse de l'époque et étaient critiquées comme telles par les amateurs d'art plus raffiné. C'est sur ces œuvres plus modestes que la plupart des apprentis apprirent leur métier.
Une autre méthode pour augmenter les revenus et asseoir la réputation d'un atelier était de produire des gravures sur cuivre. Celles-ci devinrent de plus en plus populaires à partir des années 1470 et non seulement permirent aux personnes de condition modeste de posséder une œuvre d'art, mais elles contribuèrent également à la diffusion des idées artistiques à travers l'Europe. Des artistes tels qu'Albrecht Dürer (1471-1528), parmi beaucoup d'autres, compilèrent des portefeuilles de gravures et de croquis d'œuvres d'art intéressantes réalisées par d'autres artistes. Le niveau d'artisanat employé pour produire des gravures pouvait être très élevé, et les gravures de qualité commencèrent même à être collectionnées par des connaisseurs.
Enfin, la production de fausses antiquités constituait une activité secondaire lucrative - ou, pour certains ateliers plus douteux, bien plus que cela. La demande de pièces égyptiennes, étrusques, grecques et romaines était telle que certains ateliers produisaient des versions modernes et les faisaient passer pour des œuvres antiques, allant même parfois jusqu'à mettre en scène une "découverte" archéologique sur un site à potentiel. D'autre part, de nouvelles inscriptions étaient ajoutées aux pièces antiques authentiques afin de les rendre plus vendables. Pour la même raison, les ateliers ajoutaient souvent des membres et des nez manquants aux statues antiques ou relookaient des pièces plus anciennes, brouillant encore davantage les frontières entre l'art ancien et l'art nouveau, une pratique qui n'a cessé d'interpeller les historiens de l'art.