Mythe de la licorne

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Article

Hillary Smith
de , traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 23 octobre 2020
Disponible dans ces autres langues: anglais, italien, espagnol, Turc
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La licorne, créature mythique popularisée dans le folklore européen, captive l'imagination humaine depuis plus de 2 000 ans. Pendant une grande partie de cette période, jusqu'au milieu du Moyen Âge, les gens croyaient aussi qu'elles étaient réelles. Les racines du mythe de la licorne remontent au moins à 400 AEC, lorsque l'historien grec Ctésias documenta pour la première fois un animal semblable à une licorne dans ses écrits sur la région de l'Inde. Les descriptions de licornes peuvent être retracées tout au long des siècles suivants dans les écrits d'autres personnalités historiques importantes, comme Aristote, Pline l'Ancien, et même Jules César, qui affirmait que l'on pouvait trouver de tels animaux dans l'ancienne et vaste forêt hercynienne en Allemagne.

Unicorn from the Rochester Bestiary
Licorne du Bestiaire de Rochester
The British Library (Public Domain)

Ces premiers récits décrivent la licorne comme un animal féroce, rapide et impossible à capturer, avec une corne magique capable de guérir de nombreuses affections. Au fil du temps, la licorne acquit une signification supplémentaire en tant que symbole de pureté, de protection et de chevalerie médiévale. Elle développa même des connotations religieuses, parfois employée comme allégorie pour le Christ. Au Moyen Âge, les images et les descriptions de licornes étaient couramment incluses dans les bestiaires médiévaux, et la licorne devint un motif populaire dans l'art médiéval. Peut-être l'exemple le plus célèbre est -il « La chasse à la licorne», une série de tapisseries actuellement à The Cloisters du Metropolitan Museum of Art de New York. Aujourd'hui, on trouve des licornes un peu partout (et nulle part) : elles restent un symbole omniprésent qui imprègne la culture populaire, des films pour enfants au jargon de la Silicon Valley pour décrire des start-ups d'une valeur de plus d'un milliard de dollars. Bien que nous ne croyions plus en l'existence des licornes, le mythe de la licorne, quant à lui, se porte très bien.

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Les premières descriptions d'une bête à une corne

La définition de Ctésias influença les futurs historiens et devint la base sur laquelle le mythe de la licorne fut construit.

La description écrite de licorne la plus ancienne est attribuée à Ctésias en 400 AEC. Médecin et historien grec qui servit à la cour de Darius II (r. 424-404 AEC) et d'Artaxerxès II (r. 404-358 AEC) de l'Empire achéménide, Ctésias écrivit Indica, le premier livre en grec sur les régions de l'Inde, du Tibet et de l'Himalaya. Ne s'étant jamais rendu dans cette région en personne, il s'appuya sur les informations que lui avaient fournies les voyageurs le long de la Route de la Soie. Indica fut à la fois largement lu et cité; il fut aussi ridiculisé pour certaines de ses descriptions les plus fantaisistes. Il ne survit aujourd'hui que dans le travail des autres, y compris des fragments résumés par Photios au 9e siècle EC. La première mention d'un animal ressemblant à une licorne apparaît dans le 25ème fragment :

Il y a en Inde certains ânes sauvages qui sont aussi grands que des chevaux et même plus grands encore. Leurs corps sont blancs, leurs têtes rouge foncé, et leurs yeux bleu foncé. Ils ont au milieu du front une corne d'une coudée [environ un pied et demi] de longueur; la base de cette corne est d'une blancheur pure... la partie supérieure est tranchante et d'un cramoisi vif, et la partie centrale est noire. Ceux qui boivent de ces cornes, transformées en récipients à boire, ne souffriront, disent-ils, ni de convulsions, ni de grand mal. En effet, ils sont même immunisés contre les poisons si, avant ou après en avoir avalé, ils boivent du vin, de l'eau ou autre chose de ces béchers... (Freeman, 14)

Cet animal coloré décrit par Ctésias est probablement une interprétation fantaisiste des rhinocéros indiens. En Inde, la corne de rhinocéros était considérée comme ayant des propriétés curatives et était parfois transformée en récipients à boire décorés de trois bandes de couleur. Malgré cela, la croyance aux pouvoirs magiques de guérison de la corne de licorne devait devenir une composante intégrante du mythe de la licorne. Ctésias continua :

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Cet animal est extrêmement rapide et puissant, de sorte qu'aucune créature, ni cheval ni autre, ne peut le dépasser... Il n'y a pas d'autre moyen de les capturer dans la chasse que celui-ci: quand elles conduisent leurs jeunes au pâturage, si elles sont entourées de nombreux cavaliers, elles refusent de fuir et d'abandonner leur progéniture. elles se battent avec des coups de corne; elles bottent, mordent et frappent de force blessante les chevaux et les chasseurs; mais elles meurent sous les coups des flèches et des javelots, car elles ne peuvent être prises en vie. La chair de cet animal est si amère qu'elle n'est pas comestible; elle est chassée pour sa corne et son astragale. (Freeman, 14)

Ctésias, connu pour être un grand fan du fantasmagorique, avait décrit une créature captivante comme aucune autre. C'est cette définition qui influença les futurs historiens et devint la base sur laquelle le mythe de la licorne fut construit. Moins d'un siècle plus tard, Aristote critiqua l'œuvre de Ctésias pour ses évidentes fioritures, mais il ne contesta pas la description de Ctésias de cette bête à corne unique. Dans Histoire des animaux, Aristote confirma l'existence de l'«âne indien», un animal qu'il décrivit comme ayant une seule corne saillante au centre de sa tête, et ajouta que, contrairement à la plupart des animaux à cornes, l'âne indien était «à sabot unique», plutôt qu'à «sabots fendus».

The Unicorn Rests in a Garden
La licorne repose dans un jardin
The Metropolitan Museum of Art (Copyright)

Jules César, dans des écrits de 50 AEC environ, nota l'existence d'un cerf avec une seule corne, beaucoup « plus grande et plus droite » que toutes les autres, vivant dans l'ancienne et dense forêt hercynienne en Allemagne. L'historien romain, Aelian, du IIe siècle EC, décrivit les licornes plus ou moins comme l'avait fait Ctésias, notant qu'on pouvait les trouver en Inde. Aelian, cependant, décrit leurs manteaux comme de couleur rougeâtre et non blanche. Leurs cornes sont noires, dit-il, et montent en flèche jusqu'à un point très pointu. Elles sont douces avec les autres animaux mais préfèrent la solitude, et ne se mêlent aux autres de leur espèce que pendant la saison des accouplements. Il nota qu'elles ne pouvaient pas être capturées, du moins pas une fois adultes, et que boire de leurs cornes guérissait les maux.

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Ces récits de personnalités historiques éminentes, jugées dignes de confiance et de réputation à leur époque, contribuèrent à perpétuer le mythe des licornes à travers les siècles. C'est Pline l'Ancien qui, au Ier siècle EC, donna enfin à cet animal mono-corne le nom par lequel nous le connaissons aujourd'hui : le monocèros, ou licorne. Bien qu'il le décrive comme un cheval avec une seule corne, Pline dit qu'il a les pieds d'un éléphant et la queue d'un sanglier. Le monocèros est extrêmement puissant et, bien sûr, ne peut pas être capturé vivant. Bien que les descriptions physiques de la licorne continuent de varier dans ces premiers écrits, le caractère de l'animal demeure constant. Ces premiers récits décrivent les qualités qui sont arrivées à être associées à la licorne mythologique: vitesse, férocité, invincibilité, pouvoirs de guérison et insaisissabilité.

La licorne comme symbole religieux

Au cours des siècles qui suivirent, la licorne acquit des connotations religieuses au sein de l'Église chrétienne comme symbole de pureté et de grâce, parfois utilisée comme allégorie pour le Christ. Au 3e siècle EC, les intellectuels alexandrins qui traduisaient l'Ancien Testament de l'hébreu au grec emplacèrent le mot hébreu re êm, signifiant bœuf sauvage, par le mot grec monoceros. En raison de cette traduction, le mot «licorne» apparaît dans certaines traductions anglaises de la Bible, y compris la Bible du roi Jacques, souvent avec des références à la force et à la férocité.

The Unicorn Purifies Water
La licorne purifie l'eau
The Metropolitan Museum of Art (Copyright)

Tertullien, l'auteur carthaginois (c. 190 EC) croyait que la licorne était un symbole du Christ, et la corne de la licorne une représentation de la croix. Saint Basile affirma au 3e siècle EC que la corne représentait «gloire, puissance et salut» et que Jésus devait être appelé Fils des licornes puisque la licorne était «irrésistible en puissance et insoumise à l'homme» (Freeman, 17). Au Moyen Âge, la licorne était bien établie en tant que symbole religieux et devint un motif commun dans l'art médiéval. À cette époque, la licorne en arriva également à être associée à des vertus morales, avec un accent particulier sur la chevalerie, l'héraldique, ainsi que la chasteté et la pureté.

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La licorne dans l'art médiéval et du début de la Renaissance

Les bestiaires étaient des livres illustrés du monde naturel contenant des descriptions de toutes sortes d'animaux, de plantes et de roches, certains réels et d'autres seulement imaginés mais croyaient exister.

La fascination médiévale pour les licornes était si grande que les commerçants faisaient souvent passer des défenses de narval pour des cornes de licorne et elles étaient vendues à très grand prix. La popularité de la licorne fut également favorisée par la prolifération du bestiaire médiéval. Précédés par les Physiologus grec, les bestiaires étaient des livres illustrés du monde naturel contenant des descriptions de toutes sortes d'animaux, de plantes et de roches, certains réels et d'autres seulement imaginés mais les lecteurs de l'époque croyaient qu'ils existaient vraiment dans le milieu naturel. La licorne se trouve le plus souvent dans les bestiaires et autres manuscrits enluminés des 12e et 13e siècles EC et est souvent représentée à côté d'une jeune femme. Dérivant de son association avec la pureté et la chasteté, la licorne médiévale était censée avoir une affection pour les jeunes filles. Alors que Ctésias et d'autres écrivains précédents décrivaient la licorne comme étant pratiquement impossible à capturer en vie, on pensa plus tard que les jeunes femmes, en particulier les vierges, étaient capables d'apprivoiser les licornes et d'aider à leur capture. Certains historiens de l'art soulignèrent la nature phallique de la corne de la licorne en commentant sur cette association. Cette relation peut être observée sur de nombreuses images de bestiaires survivants.

The Unicorn Surrenders to a Maiden
La licorne se rend à une jeune fille
The Metropolitan Museum of Art (Copyright)

Les caractéristiques qui avaient été associées à la licorne à la fin du Moyen Âge sont évidentes dans «La chasse à la licorne», une série de sept tapisseries se trouvant au Cloisters du Met de New York qui représentent une chasse à la licorne. Probablement tissées sur une période de dix ans de 1495 à 1505 EC elles furent découvertes dans la collection personnelle de François VI de La Rochefoucauld en 1680 EC. Bien que chaque tapisserie soit parfois appelée par des noms différents, le Met les désigne actuellement comme suit :

  • Les chasseurs entrent dans le bois
  • La licorne purifie l'eau
  • La licorne traverse un ruisseau
  • La licorne se défend
  • La licorne se rend à une jeune fille
  • Les chasseurs rentrent au château
  • La licorne repose dans un jardin

Dans cette série de tapisseries, nous pouvons voir les pouvoirs curatifs de la licorne lorsqu'elle nettoie l'eau potable pour les autres animaux, sa férocité quand elle se défend des chasseurs, et sa sensibilité aux pouvoirs d'une jeune fille. Bien que cette tapisserie spécifique ne survit qu'en fragments, on voit encore que la licorne est docile en présence de la jeune jeune fille, ignorant le chasseur à la trompe qui se cache dans les bois, prêt à alerter ses compagnons de chasse. Il y a quelques spéculations quant à savoir si la septième tapisserie, La licorne repose dans le jardin, faisait partie de cette série à l'origine, mais ces tapisseries, telles qu'elles sont actuellement présentées, démontrent le pouvoir de vie éternelle de la licorne, puisque nous voyons la licorne tuée, mais plus tard, bel et bien vivante.

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The Unicorn Defends Himself
La licorne se défend
The Metropolitan Museum of Art (Copyright)

Une deuxième série de tapisseries de licornes, tissées vers 1500 EC pour la famille La Viste, se trouve au Musée de Cluny à Paris. Connue collectivement sous le nom de La Dame à la Licorne, la série se compose de cinq tapisseries représentant chacune l'un des cinq sens (toucher, ouïe, odorat, vue, goût) et une mystérieuse sixième tapisserie appelée «Mon Seul Désir», qui selon certains savants pourrait représenter l'amour ou le libre arbitre. La licorne était devenue un choix populaire pour les emblèmes familiaux en Europe, notamment en raison de sa capacité à guérir les effets du poison, un danger étonnamment commun au Moyen Âge. Dans la tapisserie symbolisant le goût, on voit la licorne et un lion portant les armoiries de la famille La Viste.

The Lady and the Unicorn: Taste
La Dame à la Licorne : Goût
Jan van der Crabben (CC BY-NC-SA)

La recherche de l'ancienne licorne

Comme dans les temps anciens, il y en a peu, voire aucun, qui prétendraient sérieusement avoir vu une licorne, mais cela ne nous a pas empêché de chercher. Il y a eu une certaine envie de la part des chercheurs modernes de chercher des preuves de l'énigmatique licorne dans des images beaucoup plus anciennes que les bestiaires médiévaux. La peinture rupestre appelée «licorne» trouvée dans la salle des taureaux de la grotte paléolithique de Lascaux remonte à 17 000 AEC par exemple. Il y a aussi la «licorne» qui apparaît sur de nombreux sceaux en saponite appartenant à la civilisation de la vallée de l'Indus (environ 7000 - environ 600 AEC), récupérés dans des sites archéologiques en Asie du Sud.

Unicorn Seal - Indus Script
Sceau licorne - écriture de la vallée de l'Indus
Mukul Banerjee (Copyright)

Peut-être que ces animaux se réfèrent initialement à une créature semblable à une licorne, ce qui signifierait que les racines du mythe de la licorne remontent beaucoup, beaucoup plus loin que les preuves actuelles ne le suggèrent. De nombreux historiens afirment cependant que de telles représentations ne sont rien de plus que des animaux à deux cornes rendues en profil. De plus, le qilin chinois a parfois été comparé à la licorne du folklore médiéval européen, bien que traditionnellement le qilin soit représenté comme ayant deux cornes, et il serait difficile de trouver de nombreuses similitudes entre les deux créatures. De toute façon, ce n'est pas le seul fait d'avoir une seule corne qui rend la licorne mythique si fascinante, mais les caractéristiques qui sont venues à être associées à cette créature insaisissable, redoutable et magique. La licorne attire notre attention depuis des siècles, mais ce n'est qu'à travers l'art et les histoires que nous avons, à notre tour, failli capturer une licorne.

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Bibliographie

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

Auteur

Hillary Smith
Hillary Smith possède une maîtrise en Histoire de l'Art (Collège Universitaire de Dublin) et en Politique Publique (UCLA). Intéressée par le lien entre l'art et la politique, elle est une fervente croyance dans le potentiel de l'héritage culturel comme soft power pour transformer et connecter notre monde.

Citer cette ressource

Style APA

Smith, H. (2020, octobre 23). Mythe de la licorne [The Unicorn Myth]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1629/mythe-de-la-licorne/

Style Chicago

Smith, Hillary. "Mythe de la licorne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le octobre 23, 2020. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1629/mythe-de-la-licorne/.

Style MLA

Smith, Hillary. "Mythe de la licorne." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 23 oct. 2020. Web. 21 déc. 2024.

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