La mutinerie de l'Hyphase fut un conflit entre Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) et son armée à la suite de leur victoire sur le fleuve Hydaspe en 326 av. Alexandre envisageait de poursuivre ses conquêtes dans le sous-continent indien, mais lorsque ses hommes atteignirent le fleuve Hyphase une révolte ouverte se produisit. La mutinerie se termina par le fait qu'Alexandre céda aux souhaits de ses hommes et fit demi-tour; il ne s'aventura pas plus loin dans le sous-continent indien comme il en avait eu l'intention. Au fil des ans, les historiens se sont penchés sur l'importance de ce moment de tension entre un roi et son armée. Il s'agit notamment de savoir si le terme "mutinerie" peut réellement s'appliquer à cet incident.
La campagne indienne
Lorsqu'Alexandre traversa l'Hindou Kouch en direction de l'Inde en 327 av. J.-C., les habitants de Bazira, craignant pour leur vie, se réfugièrent sur la roche d'Aornos, réputée imprenable au point que même Héraclès n'avait pu s'en emparer. Alexandre eut du mal à atteindre la place forte et commença à construire un monticule, puis prit pied sur une colline. Lorsque les Indiens s'aperçurent que les Macédoniens s'approchaient, ils se rendirent. Alexandre installa une garnison sur la partie abandonnée de la roche d'Aornos.
La ville de Nysa demanda à Alexandre de reconnaître sa liberté et son indépendance, ce qu'Alexandre accorda et il s'en fit des alliés, acquérant 300 cavaliers. Il disposait également d'une base à Taxila, après avoir promis d'aider Taxilès contre son ennemi, le roi Poros. Alexandre fit face à Poros à la bataille de l'Hydaspe en 326 avant notre ère, au cours de laquelle des éléphants de guerre furent utilisés. Après la bataille, Poros fut autorisé à continuer à gouverner son royaume et devint un allié d'Alexandre, et Alexandre continua son avancée en Inde.
La mutinerie
Après la victoire d'Alexandre au siège de Sangala, il atteignit avec ses hommes le fleuve Hyphase, également connu sous le nom de Beas. Selon Arrien:
Le pays au-delà de l'Hyphase était réputé prospère et ses habitants étaient de bons agriculteurs et de braves combattants. ... Ces Indiens possédaient également beaucoup plus d'éléphants que n'importe quel autre de leurs compatriotes, et qui plus est, des éléphants d'une taille et d'un courage exceptionnels. Ces récits attisaient le désir d'Alexandre d'aller plus loin. Mais les Macédoniens s'étaient maintenant lassés des projets de leur roi, le voyant aller de labeur en labeur, de danger en danger. (227)
Les hommes parvinrent à un consensus: ils ne voulaient pas suivre Alexandre plus loin dans le territoire indien. Diodore de Sicile ajoute aux sentiments des soldats:
Alexandre constata que ses soldats étaient épuisés par leurs campagnes incessantes. Ils avaient passé près de huit ans au milieu des fatigues et des dangers, et il était nécessaire de leur remonter le moral par un appel efficace s'ils voulaient entreprendre l'expédition contre les Gandaridae. Les soldats avaient subi de nombreuses pertes et aucun répit n'était en vue. Les sabots des chevaux étaient usés par les marches incessantes. Les armes et les armures s'usaient et les vêtements grecs avaient disparu. Ils devaient se vêtir d'étoffes étrangères, en recoupant les vêtements des Indiens. Comme par hasard, c'était aussi la saison des pluies diluviennes. Celles-ci duraient depuis soixante-dix jours, accompagnées d'un tonnerre et d'éclairs continus. (391)
Alexandre prononça un discours résumant tous leurs exploits au cours de la campagne de Perse et expliqua qu'une fois les conquêtes achevées, leur empire s'étendrait de l'Inde aux piliers d'Héraclès. Un empire universel était à leur portée. Il ajouta que trop de peuples guerriers resteraient invaincus entre la mer de l'Est et l'Hyphase s'ils faisaient demi-tour. Il mit en garde contre la rébellion et l'instabilité au sein de l'empire si elles n'étaient pas contrôlées. Il espérait surpasser Héraclès et Dionysos ou atteindre une gloire comparable à celle de ces figures mythiques. Alexandre rappela ensuite à ses troupes que, sur un pied d'égalité, il avait combattu à leurs côtés et qu'il était prêt à partager le butin de guerre avec elles. Si l'un d'entre eux partait maintenant, il ne participerait pas à la richesse.
Coenus, fils de Polemocrates, s'avança ensuite et parla au nom des troupes. Coenus rappela à Alexandre les Grecs et les Macédoniens qui avaient été blessés, tués ou abandonnés dans les colonies asiatiques. Il déclara que beaucoup d'entre eux s'étaient lassés et avaient le mal du pays. Coenus exhorta Alexandre à rentrer chez lui et à renouveler l'armée avec de nouvelles recrues. Il avertit également Alexandre "de ne pas compter sur un succès continu, car l'armée serait perdue s'il rencontrait le malheur" (Arrien, 230-231).
Voyant ses officiers acclamer Coenus, Alexandre menaça de continuer et de laisser derrière lui ceux qui ne voulaient pas s'aventurer avec lui. Cependant, il se retira dans sa tente pendant trois jours et sentit un changement d'attitude au sein de son armée. Alexandre déclara que les présages étaient défavorables à la poursuite de l'avancée vers l'Inde et mit donc fin à sa marche. L'armée se réjouit de cette nouvelle. Alexandre fit construire douze grands autels aux dieux de l'Olympe et laissa au roi Poros la responsabilité de ce territoire le plus à l'est.
La discipline dans l'armée macédonienne
Dans l'armée macédonienne, les soldats prêtaient serment à leur roi-commandant, mais ce serment mettait l'accent sur l'allégeance générale des troupes à leurs commandants respectifs plutôt que sur l'obéissance à certains ordres. Si les serments n'étaient pas un aspect important de la discipline de l'armée, l'entraînement et les exercices l'étaient indubitablement. Le père d'Alexandre, Philippe II de Macédoine (r. de 359 à 336 av. J.-C.), exigeait un niveau d'entraînement sans précédent dans le monde hellénique, une politique que son fils allait poursuivre. Selon Elizabeth Carney, Philippe II demandait à ses hommes "de porter sur leur dos une ration de farine de trente jours, de s'entraîner par des marches forcées avec des rations et un équipement complets". Il interdisait également le transport sur roues et limitait considérablement le nombre de personnes chargées de soutenir l'infanterie et la cavalerie" (30).
En outre, Philippe et Alexandre utilisaient un système de punitions et de récompenses. Les troupes conservaient une grande partie du butin et le roi offrait des cadeaux en argent et en terres, souvent déterminés par le rang, après les victoires et lorsque les troupes avaient été renvoyées chez elles. Parmi les autres avantages offerts par Alexandre, citons les couronnes d'or, les congés pour les soldats nouvellement mariés, les rations mensuelles pour les femmes et les enfants voyageant avec son armée, le paiement des dettes, des impôts et d'autres obligations pour les survivants des morts. Le pillage et le butin permettaient de payer ces avantages. Ils étaient importants pour maintenir la discipline et le moral des troupes. Cependant, l'adoption par Alexandre des coutumes perses et son empressement à conquérir tout le monde connu provoquèrent des frictions entre le roi et son armée. C'est ce qui s'était produit lors de la mutinerie de l'Hyphase. Ses hommes, fatigués et épuisés par les combats, ne voulaient pas s'aventurer plus loin en Inde.
La mutinerie d'Opis
La mutinerie d'Opis fut une autre mutinerie qui se déroula plus tard dans la carrière d'Alexandre. À Opis, en 324 avant notre ère, Alexandre avait tenté décommissionner ses vétérans macédoniens vieillissants et inaptes, mais les Macédoniens n'avaient pas apprécié. Selon Arrien, le caractère du roi avait été compromis par l'obséquiosité déversée par ses sujets asiatiques, et les Macédoniens avaient cru qu'ils avaient été remplacés par des troupes étrangères. Alexandre s'immisça "dans la foule rebelle et ordonna l'arrestation immédiate et l'exécution de treize de ses chefs" (Arrien, 283). Alexandre prononça ensuite un discours dans lequel il explique à quel point lui et ses hommes ont progressé ensemble depuis la direction de son père jusqu'à l'établissement d'un empire mondial. Trois jours plus tard, il nomma ses commandants perses à des postes de commandement élevés. Les officiers macédoniens se précipitèrent au palais pour demander au roi de les réadmettre. Alexandre se réconcilia peu après avec ses hommes et organisa un banquet pour célébrer l'harmonie entre les Macédoniens et les Asiatiques.
Conclusion
Bien que les raisons des deux mutineries soient différentes, "ces deux événements ont causé des problèmes à Alexandre, à la fois en tant que roi et commandant....car il s'agissait de querelles qui empoisonnaient les relations entre le roi/commandant et ses troupes... et menaçaient donc de compromettre le futur contrôle de l'armée" (Carney, 42). Cependant, les spécialistes ont beaucoup débattu de la question de savoir si l'incident d'Hyphase pouvait vraiment être considéré comme une mutinerie ou une révolte. Selon Elizabeth Carney, "le concept de mutinerie suppose que la discipline militaire est centrée sur l'obéissance aux ordres; c'est pourquoi la désobéissance à un ordre spécifique est considérée comme une action si grave" (20). L'application de ce terme, avec ses associations modernes, au monde macédonien et grec pose des difficultés. La mutinerie suppose deux choses absentes dans les affaires militaires macédoniennes: une insistance considérable et constante sur l'obéissance absolue aux ordres, même en temps de paix, et une distinction claire entre le comportement et les droits des soldats et des sujets macédoniens. En effet, aucune des sources primaires n'utilise un terme qui se traduise par "mutinerie".
Dans son livre A King and His Army, Waldemar Heckel souligne également que les compétences d'Alexandre en tant que général étaient insuffisantes lors de l'incident d'Hyphase. De plus, il affirme que les hommes d'Alexandre étaient toujours loyaux envers leur roi, que leurs paroles n'étaient pas celles de mutins mais d'hommes qui suppliaient leur roi de prendre en compte leur situation difficile. Néanmoins, la mutinerie de l'Hyphase reste un événement important dans les campagnes d'Alexandre, car elle démontre clairement les frictions entre le roi et son armée. Alexandre avait perdu au bras de fer contre sa propre armée à l'Hyphase, et c'est à contrecœur qu'il mit un "terminus oriental" à sa campagne de conquête (Arrien, 139). Cette décision mit un terme à l'expansion vers l'Inde et changea le cours des campagnes d'Alexandre.