Le Speedwell était le navire de passagers anglais qui devait transporter la congrégation de Leyde (plus tard connue sous le nom de pèlerins) vers le Nouveau Monde en 1620, en compagnie du navire de charge Mayflower. Le Speedwell avait 43 ans à l'époque et, sous le nom de Swiftsure, avait participé à la bataille navale de 1588 contre l'Armada espagnole. En 1620, le navire avait été désarmé, rebaptisé Speedwell, et était utilisé pour de courtes missions commerciales au départ du port de Delfthaven, aux Pays-Bas, lorsqu'il fut acheté par le capitaine Blossom, un ami ou un membre de la congrégation de Leyde, pour les emmener en Amérique du Nord.
Cependant, une fois le voyage entamé, le Speedwell s'avéra inapte au voyage, avec des fuites si importantes que l'expédition dut être retardée à deux reprises pour être réparée, et après la troisième fois, le Speedwell fut abandonné. Cette histoire est toujours incluse dans tout récit du voyage du Mayflower, et comme le Speedwell ne joua plus aucun rôle dans l'histoire des pèlerins, il n'en est plus fait mention. L'histoire ne s'arrête cependant pas là, et l'une des principales sources sur le voyage, Of Plymouth Plantation de William Bradford, raconte clairement la suite.
Bradford (1590-1657) rapporte que les fuites avaient été causées par le capitaine, un certain M. Reynolds, qui avait volontairement surmâté le navire afin de se soustraire à son contrat. Reynolds et son équipage avaient été engagés par Thomas Weston (1584 - c. 1647), le marchand aventurier qui avait orchestré le financement de l'expédition, pour rester dans la colonie pendant un an afin qu'ils puissent utiliser le navire. Reynolds cependant sabota le Speedwell volontairement afin de pouvoir conserver son salaire - en affirmant que ce n'était pas de sa faute si le navire avait pris l'eau - puis de le faire réparer et de le vendre à son profit.
La perte du Speedwell, qui transportait environ 70 passagers lorsqu'il quitta Southampton avec le Mayflower au milieu de l'été 1620, nécessita le transfert de 20 d'entre eux sur le Mayflower, déjà à l'étroit, tandis que de nombreux passagers qui auraient dû faire le voyage restèrent sur place. Cet événement eut manifestement un impact négatif sur la traversée de l'Atlantique par les passagers, mais il obligea également les séparatistes de Leyde à se rapprocher d'autres personnes qu'ils appelaient des étrangers et avec lesquels ils fureent obligés d'interagir au lieu de s'en tenir à l'écart. Le voyage, qui ne devait être effectué que par la congrégation à bord de deux navires, devint une sorte de creuset à bord du Mayflower et, sans la perte du Speedwell, il n'y aurait peut-être jamais eu de Mayflower Compact (Pacte du Mayflower), qui établit le gouvernement démocratique de la première colonie prospère de Nouvelle-Angleterre.
Négociations et départ
La congrégation de séparatistes qui serait plus tard connue sous le nom de pèlerins était originaire de Scrooby, en Angleterre, mais avait fui à Leyde, aux Pays-Bas, pour échapper aux persécutions religieuses de Jacques Ier d'Angleterre (r. de 1603 à 1625) qui, en tant que chef de l'Église anglicane, avait interdit toute dissension. Les séparatistes étaient des puritains - ceux qui souhaitaient purifier l'Église des croyances et pratiques non bibliques - qui avaient conclu que l'Église était trop corrompue pour être rachetée et avaient donc fondé leurs propres congrégations séparées avec leurs propres règles qui reflétaient celles de la communauté chrétienne primitive décrite dans le livre biblique des Actes des Apôtres.
Une fois la congrégation installée à Leyde, où le gouvernement pratiquait une politique de tolérance religieuse, elle constata que, bien qu'elle soit désormais libre de pratiquer son culte sans craindre d'amende, d'arrestation ou d'emprisonnement, elle ne pouvait pas gagner décemment sa vie. Les emplois bien rémunérés aux Pays-Bas étaient contrôlés par des guildes auxquelles les séparatistes, en tant qu'étrangers, n'avaient pas le droit d'adhérer. En outre, au fil des années passées à Leyde, ils constatèrent que leurs enfants s'assimilaient à la culture néerlandaise, abandonnant progressivement la leur, et ils jugèrent plus prudent d'aller s'installer dans le Nouveau Monde, où ils fonderaient leur propre colonie, hors de portée de ceux qui n'étaient pas de leur foi, qu'ils appelaient les étrangers.
L'Angleterre avait établi une colonie à Jamestown en 1607, financée par la Virginia Company de Londres, et en 1617, des groupes étaient encouragés à demander des chartes pour fonder leur propre colonie dans la région de la Virginie, dans ce que l'on appelait le Nouveau Monde, qui serait rentable, comme l'avait été Jamestown, pour les investisseurs. La congrégation de Leyde envoya deux de ses membres, Robert Cushman (1577-1625) et John Carver (1584-1621) en Angleterre pour négocier avec Weston et leur assurer un passage; Carver travailla à cet objectif à Southampton et Cushman traita directement avec Weston à Londres.
En 1618, l'un des principaux membres de la congrégation, William Brewster (1568-1644), publia un tract incendiaire critiquant l'Église anglicane, et des ordres furent émis pour son arrestation. La congrégation le cacha, mais la nouvelle fut transmise à Cushman et Carver qu'il était urgent qu'ils partent tous au plus tôt. En juillet 1620, un capitaine Blossom - peut-être un membre de la congrégation - leur avait acheté le Speedwell et Weston avait loué le cargo Mayflower, avec son équipage, pour transporter des provisions et quelques passagers.
Weston et Cushman conclurent un accord concernant le programme de travail dans la colonie (quatre jours pour la compagnie, deux jours pour les colons) et le transport des séparatistes lorsque Weston modifia les termes de l'accord. Il stipula qu'ils devraient travailler six jours par semaine pour la compagnie et, ce qui était plus dérangeant pour eux, emmener avec eux un certain nombre d'étrangers qui les aideraient à établir la colonie et à faire des bénéfices. La plupart de ces étrangers voyageraient à bord du Mayflower, tandis qu'environ 70 membres de la congrégation de Leyde voyageraient sur le Speedwell et tenteraient tant bien que mal de rester entre eux.
Passagers et voyage en Angleterre
Parmi les passagers du Speedwell, certains devinrent des figures de proue de la colonie de Plymouth:
- Isaac Allerton et sa famille
- William et Dorothy Bradford
- William et Mary Brewster et leurs enfants
- John et Katharine Carver et leurs domestiques
- Robert Cushman et sa famille
- Samuel Fuller (médecin du navire)
- Capitaine Myles Standish (conseiller militaire de la colonie)
- Edward et Elisabeth Winslow
Il y avait bien sûr beaucoup d'autres personnes qui étaient parties du port de Delfthaven, aux Pays-Bas, pour Southampton en juillet 1620. Bradford décrit le navire et l'usage qu'ils espéraient en faire dans leur nouvelle patrie:
Un petit navire [le Speedwell] a été acheté et aménagé en Hollande, afin d'aider à leur transport, puis de rester dans le pays pour pêcher et s'adonner à d'autres activités qui pourraient être bénéfiques à la colonie. Un autre navire [le Mayflower] fut loué à Londres, d'environ 180 tonnes... Le moment du départ étant venu, ils furent accompagnés par la plupart de leurs frères hors de la ville jusqu'à une ville située à plusieurs miles de là, appelée Delfthaven, où le navire était prêt à les emmener. (Livre I. ch. 7)
En arrivant à Southampton, ils apprirent les nouveaux détails du contrat avec Weston que Cushman avait signé en leur nom sans même les consulter. Weston lui-même était présent au port pour les accueillir et, apprenant qu'ils n'honoreraient pas le nouveau contrat, les abandonna à leur sort. Ils durent vendre une partie de leurs provisions pour le voyage afin de régler les dettes en cours - qu'ils pensaient être gérées par Weston - avant de pouvoir partir. Une fois ces détails réglés, les deux navires partirent ensemble vers le large.
Sabotage et abandon
Il était important que l'expédition prenne le large au début ou au milieu de l'été afin d'éviter les bourrasques de l'océan Atlantique pendant les mois d'automne et aussi pour débarquer les passagers dans leur nouvelle maison bien avant l'hiver afin qu'ils puissent s'acclimater à leur environnement, construire des abris et planter les cultures qu'ils pourraient. Ce fut donc un grave problème lorsque l'on découvrit que le Speedwell fuyait et que les deux navires durent entrer au port pour être réparés. Bradford décrit la situation:
Après avoir pris la mer, ils n'étaient pas loin lorsque M. Reynolds, le capitaine du plus petit navire, se plaignit qu'il trouvait que le navire fuyait tellement qu'il n'osait pas aller plus loin tant qu'il n'était pas réparé. Le capitaine du plus grand navire, M. Jones, ayant été consulté, ils décidèrent tous deux de se rendre à Dartmouth et de le faire réparer, ce qui fut fait, à grands frais et au prix d'une perte de temps et d'un vent favorable. Le navire fut fouillé de fond en comble, quelques fuites furent découvertes et réparées, et l'on crut alors qu'il pouvait naviguer sans danger. C'est donc avec beaucoup d'espoir qu'ils reprirent la mer, pensant qu'ils allaient avancer confortablement, ne cherchant plus à se heurter à ce genre d'obstacles. Mais après avoir fait cent lieues au-delà de Land's End, tout en restant groupés, le capitaine du petit navire se plaignit à nouveau que son navire avait tellement de fuites qu'il devait tenir bon ou couler en mer, car ils pouvaient à peine le maintenir à flot en pompant. Ils se consultèrent à nouveau et les deux navires décidèrent de remonter et d'entrer à Plymouth, ce qui fut fait. Aucune fuite particulière ne put être trouvée, mais on jugea qu'il s'agissait d'une faiblesse générale du navire et qu'il ne serait pas à la hauteur du voyage. Il fut donc décidé de l'abandonner, ainsi qu'une partie de l'équipage, et de poursuivre avec l'autre navire; cette décision, bien que très décourageante, fut mise à exécution. (Livre I. ch. 8)
Robert Cushman, dans une lettre à son ami Edward Southworth, écrite de Dartmouth le 17 août 1620, décrit plus en détail le problème du Speedwell:
[Le Speedwell] ne cesse pas de fuir, sinon je pense que nous serions à mi-chemin de la Virginie. Notre voyage jusqu'ici a été aussi plein de croix que nous l'avons été de courbatures. On a tout fait pour le réparer, et je pense, comme d'autres, que si nous étions restés en mer trois ou quatre heures de plus, il aurait coulé à pic. Et bien qu'il ait été réparé deux fois à Hampton, il est maintenant aussi ouvert et fuyant qu'une passoire; il y avait une planche de deux pieds de long qu'un homme aurait pu arracher avec ses doigts, là où l'eau entrait comme dans un trou de taupe. Nous sommes restés sept jours à Hampton, par beau temps, à l'attendre, et maintenant nous restons ici à l'attendre par un vent aussi bon que possible, ce qui fut le cas ces quatre derniers jours, et nous allons rester quatre jours de plus, et d'ici là le vent tournera heureusement comme il l'a fait à Hampton. Nos provisions seront à moitié épuisées, je pense, avant que nous ne quittions la côte anglaise, et si notre voyage dure longtemps, nous n'aurons pas un mois de provisions lorsque nous arriverons dans le pays. (Lettre, 1)
Plus ils étaient retardés, plus ils épuisaient leurs provisions et, ce qui est tout aussi important, plus ils perdaient de temps pour la traversée. Selon Bradford, M. Reynolds déclara n'avoir aucune idée de ce qui avait pu arriver au navire et semblait aussi confus que n'importe qui d'autre quant à la raison pour laquelle il fuyait autant. On découvrit plus tard, comme le note Bradford, que les fuites avaient en fait été provoquées par M. Reynolds en personne dans le but d'escroquer la congrégation et de s'enrichir. Le spécialiste Nathaniel Philbrick commente:
On apprit plus tard que le capitaine du Speedwell, M. Reynolds, avait secrètement travaillé contre eux. En Hollande, le navire avait été équipé de nouveaux mâts plus grands - une erreur fatale qui avait probablement été commise avec l'approbation de Reynolds, voire à sa suggestion. Comme tout marin le sait, un mât surchargé de voiles ne fait pas que déplacer un navire sur l'eau, il agit comme un levier qui applique un couple à la coque. Lorsque les mâts d'un navire sont trop grands, l'excès de tension ouvre les coutures entre les planches, ce qui provoque des fuites dans la coque. En surmâtant le Speedwell, Reynolds s'était donné un moyen facile de tromper ce groupe de marins d'eau douce fanatiques. Il pouvait hausser les épaules et se gratter la tête lorsque le navire commençait à prendre l'eau, mais il lui aurait suffit de réduire la voilure pour que le Speedwell cesse de fuir. (28)
Personne à bord ne le savait, cependant, et l'on pensait qu'ils avaient simplement acheté un navire défectueux. Le Speedwell fut remis à Reynolds, les passagers, les effets personnels et les provisions furent transférés sur le Mayflower et, une fois que le vent fut favorable, ils quittèrent le port de Plymouth; le voyage recommença avec un seul navire. Le Mayflower n'avait jamais été construit pour transporter des passagers et les 102 personnes à bord (sans compter le capitaine et l'équipage) étaient donc serrées dans l'entrepont, entre la cale principale supérieure et la cale à marchandises inférieure. Pendant deux mois, ils voyageraient dans la pénombre, sans intimité, avec peu d'air frais, et la plupart d'entre eux souffriraient presque constamment du mal de mer.
Conclusion
Le fait que le Speedwell était bel et bien en état de naviguer et de traverser l'Atlantique fut établi en 1635, lorsque le capitaine John Thomas Chappell le ramena d'Angleterre pour approvisionner les colonies de Virginie au-dessus de Jamestown. Ce serait cependant son dernier voyage, car le navire avait alors plus de 50 ans. Il serait ensuite réaménagé, vendu et perdu dans l'histoire, ne devenant plus qu'une note de bas de page sur le voyage du Mayflower depuis 400 ans.
Le voyage difficile du Mayflower en 1620, au cours duquel la poutre principale se fissura, deux personnes perdirent la vie et tout le monde souffri terriblement à bord, fait partie de l'histoire légendaire de la fondation de la colonie de Plymouth mais, sans la cupidité et l'égoïsme de M. Reynolds, la situation serait peut-être tout à fait différente. Le Speedwell était un navire à passagers disposant de suffisamment d'espace pour tous les passagers, et ceux qui voyagèrent sur le Mayflower auraient eu amplement de place pour eux-mêmes sur l'entrepont. En fait, le Speedwell ne présentait aucun problème, comme l'explique Bradford:
On s'aperçut par la suite que l'étanchéité du navire était en partie due au fait qu'il était trop mâté et trop chargé de voiles; en effet, après avoir été vendu et mis en état de naviguer, il effectua de nombreux voyages, au profit de ses propriétaires. Mais c'était aussi due à la ruse et à la tromperie du capitaine et de son équipage, qui avaient été engagés pour rester une année entière dans la colonie et qui, craignant de manquer de vivres, avaient élaboré ce stratagème pour se libérer, comme certains d'entre eux l'ont avoué par la suite. Cependant, pour encourager le capitaine, la plupart de ceux qui étaient venus de Leyde avaient été mis à bord de ce navire, afin de le satisfaire. Mais l'amour-propre était si fort qu'il oublia tout devoir et toute bonté antérieure, et qu'il les traita ainsi faussement, bien qu'il prétendît le contraire. (Livre I, chapitre 8)
La perte du Speedwell signifiait qu'un seul navire faisait désormais la traversée, avec ceux qui s'appelaient les Saints et ceux qu'ils appelaient les Étrangers, contraints d'interagir quotidiennement. Le Mayflower fut finalement détourné de sa route par les bourrasques d'automne et atterrit sur la côte du Massachusetts au lieu de la Virginie, où la loi et le gouvernement anglais étaient déjà établis. Sur cette terre nouvelle et étrangère, les passagers furent contraints de créer une forme de gouvernement et des lois qu'ils pourraient tous respecter.
Le 11 novembre 1620, avant de jeter l'ancre et de débarquer pour la première fois, un accord fut conclu, connu sous le nom de Mayflower Compact, établissant une forme démocratique de gouvernement dans laquelle chaque homme avait une voix et un vote. Le Mayflower Compact allait non seulement guider et orienter la création et le développement de la colonie de Plymouth, mais aussi influencer la vision ultérieure des pères fondateurs des États-Unis d'Amérique lors de l'élaboration de leur Constitution.
Il est peu probable qu'un tel accord aurait été composé si les deux navires étaient partis au milieu de l'été comme ils étaient censés le faire et avaient accosté en Virginie comme prévu. Les fuites et la perte du Speedwell ont forcé les deux groupes différents à se cotoyer entre les ponts du Mayflower pendant plus de deux mois et ont forgé le type de relation qui a rendu le pacte nécessaire, car ils devaient désormais trouver un moyen de vivre ensemble en dépit de leurs différences. Bradford fait souvent référence à la volonté de Dieu dans On Plymouth Plantation et à la façon dont tout, aussi difficile que cela puisse paraître, arrive pour une raison. Il est intéressant de noter qu'il ne tient pas compte du Speedwell, le navire qui, une fois perdu, a forcé ses passagers à reconnaître tout ce qu'ils avaient en commun, à mettre de côté ce qui les divisait et à établir une démocratie pour le bien de tous.