Impact du christianisme antique sur la société et les rôles de genre

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Rebecca Denova
de , traduit par Julie Zeisser
publié le 04 février 2021
Disponible dans ces autres langues: anglais, arabe, espagnol
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Le christianisme apparut en Judée, au Ier siècle de notre ère, sous la forme d’une secte du judaïsme, puis se diffusa au sein des cités de l’Empire romain d’Orient jusqu’à en dépasser les frontières. Dans ces villes, le mouvement séduisit les non-juifs, les païens que l’on appelait les «gentils» ; et les gentils chrétiens devinrent rapidement plus nombreux que les juifs. Bien que l’évolution des croyances et des principes chrétiens (qui deviendraient plus tard le dogme) ait intégré autant ceux du judaïsme que de la culture dominante, le christianisme introduisit des nouveautés qui métamorphosèrent la pensée traditionnelle en matière de société et de rôles de genre.

The Virgin and Child Mosaic, Hagia Sophia
Mosaïque de la Vierge à l'Enfant, Sainte-Sophie
Hagia Sophia Research Team (CC BY-NC-SA)

Les changements les plus importants concernant la société et les rôles de genre peuvent se résumer ainsi:

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  • le christianisme a éliminé le principe des cultes ethniques grâce à la création d’une religion portable;
  • le mariage est devenu un lien sacré, formé pour la vie;
  • la tradition des saints patrons s’est diffusée;
  • les relations sexuelles sont devenues un péché;
  • les femmes ont été diabolisées.

Les sociétés antiques du bassin méditerranéen

Dans le monde antique, la «religion» ne constituait pas une catégorie à part; elle appartenait à ce que l’on appelait les coutumes ancestrales, lesquelles étaient héritées des dieux et transmises par les aïeux. Tous les aspects de la vie étaient vus comme une relation avec les dieux, ces puissances universelles du ciel et de la terre. Une personne naissait dans son identité ethnique, appartenant à un groupe avec une langue, une histoire, une mythologie, des rites religieux, des traditions culinaires et des mœurs en commun.

Toutes les communautés antiques possédaient des lois ou des règles régissant les mœurs, dans la sphère publique comme privée. Ces lois émanaient des dieux et étaient donc sacrées.

Au cœur des croyances antiques, la fertilité revêtait une importance capitale – la fertilité des semences, des troupeaux et du bétail, ainsi que celle des humains. C’est pourquoi les panthéons antiques contenaient des couples; des dieux (masculins) qui avaient des déesses (féminines) pour compagnes. À ce titre, le Dieu d’Israël, qui n’avait nulle compagne et créait par ses «mots», était une exception.

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Toutes les communautés antiques possédaient des lois ou des règles régissant les mœurs, dans la sphère publique comme privée. Ces lois émanaient des dieux et étaient donc sacrées. Les Juifs suivaient un code de loi divisé en plusieurs livres, appelé loi de Moïse (la Loi mosaïque), et édicté par le Dieu d’Israël. La Loi de Moïse distinguait les Juifs des autres par la pratique de la circoncision, l’obéissance à des lois alimentaires et l’observance du shabbat. Le commandement de ne pas «adorer d’autres dieux» signifiait que les juifs ne pouvaient offrir de sacrifices qu’au seul Dieu d’Israël (dans leur temple de Jérusalem).

L’honneur et la honte étaient le reflet de la réputation d’une personne dans sa vie privée et publique. L’honneur constituait une reconnaissance publique de la valeur ou de l’estime qu’une communauté accordait à quelqu’un. L’un des principes majeurs de l’honneur et de la honte était la notion de contrôle. En effet, la virilité d’un homme se mesurait à sa capacité à contrôler sa propre colère et ses humeurs ainsi que les comportements de chacun des membres de sa famille.

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Les classes sociales dans la Méditerranée antique

Dans le monde antique, une personne naissait dans sa classe socio-économique, même si les mouvements étaient possibles, le plus souvent grâce à des contrats de mariage arrangé. Les classes sociales les plus élevées, c’est-à-dire les aristocrates, occupaient les postes dans la magistrature et les instances officielles. À Rome, tous les patriciens se réclamaient d’ancêtres des premiers temps de la République romaine. Les classes sociales les plus hautes étaient aussi les plus éduquées. Attention toutefois, il s’agit ici d’éducation formelle pas d’alphabétisation, qui est encore une autre question. En effet, les chercheurs estiment que le taux d’éducation concernait entre 1 et 5% de la population environ; tandis qu’une proportion bien plus grande savait tout de même lire et écrire, juste pour pouvoir faire des affaires et effectuer des transactions commerciales.

Quelques siècles plus tard, les plébéiens, la classe sociale immédiatement en dessous, négociaient pour obtenir des postes dans la prêtrise ou la magistrature. Ce que l’on considérerait aujourd’hui comme la classe moyenne incluait alors les equites, l’ordre des chevaliers de la Rome antique, ainsi que les banquiers, les artisans et les commerçants. En dessous des plébéiens se trouvaient les hommes (et seulement les hommes) libres, qui étaient citoyens. La citoyenneté ne conférait pas seulement un statut; elle garantissait des droits juridiques, tels que le respect scrupuleux des procédures au regard de la loi.

Roman Citizen Voting
Un citoyen romain en train de voter
Mark Cartwright (CC BY-NC-SA)

En bas de l’échelle se trouvaient les esclaves. Les esclaves se divisaient en plusieurs catégories, depuis ceux utilisés par l’État jusqu’à ceux de la maison, en passant par ceux qui travaillaient dans les grandes exploitations agricoles, les latifunda. Les esclaves d’État ou de maison touchaient des rémunérations qu’ils pouvaient économiser pour obtenir leur affranchissement, ou liberté (généralement pendant dix à vingt ans). Beaucoup d’aristocrates libéraient leurs esclaves dans leurs testaments.

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Dans la société méditerranéenne, le clientélisme – la relation entre des patrons et des clients – était fondé sur le principe de réciprocité. Les riches se reposaient sur les classes inférieures pour la production alimentaire et le travail tandis que les classes inférieures attendaient des plus riches qu’elles leur fassent bénéficier d’avantages. Ainsi, les classes supérieures avaient une obligation religieuse de faire profiter les classes inférieures de certains avantages, notamment en payant pour les sacrifices effectués dans les fêtes religieuses, durant lesquelles les restes de nourriture étaient distribués au public. Il s’agissait probablement de la seule occasion que les pauvres avaient de manger de la viande. Les fêtes religieuses étaient organisées pour toute la communauté. Chaque cité-État, chaque ville, avait ses propres légendes de fondation par une divinité ou un héro mythologique, et ces divinités protectrices pouvaient jouer un rôle médiateur pour les villes.

Les rôles de genre

Dans la Méditerranée antique, la famille constituait l’unité sociale de base. Il s’agissait de familles étendues, qui comprenaient les parents, les beaux-parents, les esclaves, les affranchis, les clients et les ancêtres décédés. Comme sur terre, le concept de famille était projeté sur les dieux qui avaient père, mère, enfants, beaux-parents et des lignées complexes. Chaque membre de la famille devait accomplir ses propres devoirs religieux. Le père était responsable des rites religieux de la famille, ainsi que de tous les comportements des membres de sa famille. Tous les hommes devaient défendre leur cité-État ou leur ville, mais leur rôle principal résidait dans le mariage et la procréation. On attribuait généralement aux femmes un rôle et une fonction uniques dans la société: la fertilité. Se marier et se reproduire était leur devoir religieux. Leurs rôles sociaux étaient cantonnés à la maternité et à la gestion du foyer.

Pour comprendre le rôle des femmes, il est plus simple de réfléchir en termes de propriété et de droit des contrats. Hormis en Égypte antique, les femmes étaient la propriété des hommes. Quand une fille naissait, elle était la propriété de son père. Ensuite, celui-ci négociait un contrat de mariage (incluant une dot) et elle devenait alors la propriété de son mari. Si elle devenait veuve, soit elle retournait dans la maison de son père (s’il était toujours en vie), soit elle devenait la propriété de ses fils ou de ses frères.

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Fresco, Pompeii
Fresque, Pompéi
Mary Harrsch (Photographed at the Museo Archaeologico Nazionale di Napoli) (CC BY-SA)

En réalité, le terme «adultère» désigne une violation de la propriété d’un autre homme. Dans les Écritures juives (et quelques autres codes de lois), il apportait une sentence de mort pour l’homme comme pour la femme. Les tests ADN pour contrôler la paternité n’existaient pas, et il était essentiel qu’un enfant soit issu de la lignée du mari. Cela a donc encouragé la vieille coutume de voiler les femmes. Lorsqu’une femme se rendait au marché (toujours accompagnée par un homme de la famille ou un esclave de confiance), elle se couvrait la tête et les cheveux pour ne pas attiser la convoitise des autres hommes. En Grèce, les femmes vivaient dans une partie séparée de la maison, de sorte à ne pas voir les hommes venus rendre visite au mari.

À Rome, les femmes étaient des citoyennes mais n’avaient pas le droit de voter ou d’occuper des fonctions publiques. Cependant, elles pouvaient hériter de la propriété et demander le divorce. Mais pour toutes leurs affaires légales et juridiques, les Romaines devaient désigner un proche masculin qui s’exprimerait à leur place. Dans un monde où l’on attendaient de tous les hommes qu’ils servent comme magistrats du gouvernement romain ou dans l’armée romaine, les femmes se retrouvaient souvent en charge des finances de la maison et de leurs grands domaines lorsque les hommes s’absentaient, parfois pour des années. Les femmes des classes inférieures avaient relativement plus de liberté. Elles travaillaient avec leurs maris à la gestion commerciale et la maîtrise des savoir-faire. C’était particulièrement vrai des veuves qui reprenaient les affaires de leur mari lorsqu’il mourait.

Nos connaissances sur les rôles de genre dans l’Antiquité sont très partiales, puisque presque tout ce qui nous est parvenu a été écrit par des hommes instruits de l’aristocratie.

Nos connaissances sur les rôles de genre dans l’Antiquité sont très partiales, puisque presque tout ce qui nous est parvenu a été écrit par des hommes instruits de l’aristocratie. Les connaissances médicales limitées de l’époque tenaient pour acquis que les hommes avaient le sang chaud, ce qui leur conférait de la force et une aptitude à faire la guerre. Les femmes, quant à elles, avaient le sang froid, ce qui en faisait des créatures passives. Il était donc entendu que le sang des hommes finissait par atteindre un point d’ébullition, dont la pression devait être relâchée par une saine éjection de leur semence. Dans la procréation, les femmes n’avaient qu’un rôle d’incubateur pour le fœtus.

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Toutefois, nous pouvons constater que deux points de vue s’opposent dans les textes antiques. En effet, la mythologie grecque mettait en scène beaucoup de femmes puissantes, des déesses qui exerçaient le pouvoir sans compagnon masculin, comme Athéna et Déméter. Alors qu’il existe en parallèle la légende de Zeus ayant créé la première femme, Pandore, pour punir les hommes. Les femmes étaient constamment considérées coupables d’utiliser leur sexualité pour séduire des hommes. Échapper à ces «ruses de femmes» était d’ailleurs un thème récurrent des écoles de philosophie grecque, dans lesquelles les femmes étaient tenues pour responsables des hommes qui perdaient le contrôle de leurs pulsions sexuelles.

Le message chrétien

Paul, un pharisien, se convertit après avoir eu une vision de Jésus lui enjoignant de devenir l’Apôtre des Gentils. Au cours de leurs voyages pour diffuser le message de Jésus – annonçant l’avènement imminent du royaume de Dieu –, les missionnaires rencontrèrent des non-juifs qui se montrèrent intéressés. C’est ainsi qu’il fut décidé, lors d’une réunion qui se tint à Jérusalem vers l’an 49 de notre ère, que ces nouveaux adeptes n’étaient pas obligés de se convertir au judaïsme. Cependant, ils ne pouvaient pas manger de viande contenant du sang, devaient respecter la loi juive qui prohibait l’inceste et, par-dessus tout, devaient cesser leurs idolâtries.

Apostle Paul Mosaic
Mosaïque de l’Apôtre Paul
Edgar Serrano (CC BY-NC-SA)

Pour l’apôtre Paul et sa génération, ce devait être la fin de l’ordre ancien. Jésus reviendrait du paradis, et tous les éléments du royaume de Dieu sur terre seraient alors révélés. Entre-temps, ils devaient vivre de manière proleptique, en faisant comme si le royaume était déjà là. Paul affirmait que plus aucune convention sociale ni identité ethnique n’existeraient après l’avènement du royaume: «Il n'y a plus ni Juif ni païen, il n'y a plus ni esclave ni citoyen libre, il n'y a plus ni homme ni femme ; en effet, vous êtes tous un, unis à Jésus Christ.» (Galates 3:28, Traduction œcuménique de la Bible, 2010.) Mais dans l’attente du royaume, ils devaient rester tels qu’ils étaient quand ils avaient senti l’appel du Christ. Celui qui n’était pas circoncis devait le rester; celui qui était fiancé ne devait pas se marier; celle qui était veuve ne devait pas se remarier.

La cessation de tous les cultes des dieux traditionnels a constitué le changement le plus fondamental du christianisme. Cette nouvelle doctrine allait à l’encontre des coutumes ancestrales et a certainement choqué la majeure partie de la société, de même que ses idées sur les femmes. C’est très probablement la raison pour laquelle Paul écrivit certaines de ses lettres en prison. Il semble en effet que ces enseignements aient provoqué des désordres civils, ce qui devait constituer le moyen de supprimer l’ancien monde pour créer le nouveau.

Dès la fin du Ier siècle apr. J.-C., l’Empire romain persécutait les chrétiens à cause de la prohibition de l’idolâtrie. À cette époque, c’est l’athéisme ou l’incroyance dans les dieux qui constituaient un crime, même s’il faut noter que Jules César avait dispensé les juifs de prendre part au culte impérial. L’athéisme pouvait mettre les dieux en colère et provoquer des catastrophes naturelles. Ainsi, si les dieux n’étaient pas honorés, l’Empire ne pouvait pas prospérer. Par conséquent, l’athéisme équivalait à de la trahison et était puni de la peine de mort.

Les Lettres de Paul et les Pastorales

L’apôtre Paul a copié la hiérarchie dominante de l’administration civile. Il utilisait le terme «ecclesia», qui signifie «assemblée», pour désigner ses communautés. L’assemblée était alors l’organe de gouvernance de la cité, bien que le mot «ecclesia» soit toujours traduit par «église» même s’il n’y avait aucune église pendant les trois premiers siècles. Les fidèles se réunissaient en effet dans les maisons des uns et des autres, et appartenaient à toutes les couches de la société. L’idée que le christianisme n’ait attiré que les pauvres et les esclaves est un mythe.

Paul a loué les mérites de plusieurs femmes officiant comme apôtres, prophétesses, enseignantes, guérisseuses et cheffes de famille qui ouvraient leur maison aux rassemblements de la communauté. Cette mise en valeur des femmes a peut-être fait office de démonstration grandeur nature de ce à quoi ressemblerait le royaume de Dieu. Ce genre de discours était alors considéré comme radical. Probablement à cause de ses origines juives, Paul condamnait l’homosexualité (le «gaspillage du germe de la vie» du Lévitique), tant pour les hommes que pour les femmes, ainsi que la prostitution.

Folio of Early Pauline Espitles
Papyrus des Premières Épîtres de Paul
Heycos (Public Domain)

Les «Pastorales» sont des lettres du Nouveau Testament (1 & 2 Timothée; Tite), rédigées autour de 80 ou 90 apr. J.-C. par des disciples de Paul écrivant en son nom. Elles contiennent les règles d’élection des évêques et des diacres. Ces règles suivent les notions culturelles d’honneur et de honte, et recommandent d’élire uniquement des hommes bons, estimés dans leur communauté pour leur comportement exemplaire et mesuré.

Cependant, ces lettres reflètent aussi les problèmes des communautés. Ainsi, les chrétiens encourageaient les veuves à ne pas se remarier, et de nombreuses païennes se conformèrent rapidement à cette recommandation. En général, elles vivaient alors dans la maison de l’évêque, probablement élu parce qu’il possédait une grande maison. 1 Timothée rapporte le scandale suscité par la présence de ces femmes qui passaient leurs journées à jouer avec leur maquillage et à colporter des ragots. Alors, il fut décidé que, désormais, les veuves ne pourraient se convertir que si elles étaient âgées d’au moins soixante ans (ce qui limitait déjà le nombre de candidates) et n’avaient ni enfants ni famille pour s’occuper d’elles. 1 Timothée contient aussi un passage prétendant que Paul aurait déclaré: «Je ne permets pas à la femme d’enseigner» (1 Timothée 2:12, TOB, 2010). Les femmes ne pouvaient espérer de salut que dans la procréation, leur fonction traditionnelle.

Les adaptations chrétiennes de la société, des rôles de genre et de la sexualité

Au milieu du IIe siècle de notre ère, les chefs spirituels du christianisme venaient uniquement des communautés païennes, même s’ils respectaient les Écritures juives. Ils étaient issus de l’aristocratie et avaient reçu leur éducation dans les écoles de philosophie. Leurs enseignements mélangeaient les Écritures juives à la culture dominante dans l’Empire romain. Ils furent plus tard désignés comme les «Pères de l’Église» pour leurs contributions au dogme chrétien.

Par un procédé appelé «personnification du mal», les Pères de l’Église ont diabolisé toutes les femmes, les faisant passer pour des envoyées du Diable.

Les Pères de l’Église savaient qu’il valait mieux ne pas attaquer la culture dominante frontalement s’ils voulaient faire accepter la formule du christianisme. Il fallait, au contraire, qu’ils s’imprègnent des idées dominantes pour tenter de rendre leurs nouveaux principes compatibles avec les traditions existantes. En règle générale, les chefs chrétiens se conformaient aux enseignements traditionnels concernant les classes sociales et la famille. Les différentes classes sociales restèrent inchangées, tandis que la coutume juive de la charité était associée aux bénéfices des aristocrates. Cependant, ayant créé une religion portable, les chrétiens éliminèrent le principe des cultes ethniques. Les coutumes des ancêtres, qui incluaient la topographie et la langue, n’étaient donc plus des vecteurs d’identité. Les tout premiers chrétiens créèrent également un rituel initiatique, le baptême, probablement emprunté aux cultes à mystères. L’importance de la famille fut renforcée par le rite du mariage qui devint sacré (un sacrement) et liait le couple à vie.

Au cours des IVe et Ve siècles apr. J.-C., les chrétiens commencèrent à se rendre en pèlerinage sur les tombes des premiers martyrs. C’est alors qu’ils empruntèrent le système de «patrons/clients», avec la croyance que ces martyrs se trouvaient au paradis et que l’on pouvait leur demander une intercession individuelle en leur adressant des prières. Ainsi naquit la tradition catholique des saints patrons.

Outre le bannissement de l’idolâtrie, les chrétiens prêchaient des vues novatrices sur le corps et les relations sexuelles. Les écoles de philosophie enseignaient l’ascétisme («discipline» en grec) et les philosophes enseignaient la discipline de l’esprit (âme) sur la matière (le corps physique), d’après laquelle les passions (les pulsions physiques du corps) ne devaient jamais diriger le corps. Quant aux pulsions sexuelles, les philosophes les voyaient comme un moment extrême de perte de contrôle.

Sur la base de ces acquis, les Pères de l’Église se concentrèrent sur les pulsions corporelles, et en particulier les pulsions sexuelles liées aux comportements en public et en privé. Les Pères de l’Église adoptèrent donc le principe du célibat, c’est-à-dire le fait de ne pas contracter de mariage. Il s’agissait d’un sacrifice, puisqu’ils rejetaient une vie normale. Cela leur conférait une aura de sainteté qui les plaçait au-dessus des masses. Les membres les plus faibles, qui ne pouvaient s’astreindre à ce sacrifice, devaient alors suivre les traditions du mariage et des enfants, ce qui permettait de faire grandir l’Église.

Temptation & Expulsion from Paradise, Sistine Chapel
Adam et Ève chassés du paradis, chapelle Sixtine
Michelangelo (Public Domain)

Les relations sexuelles étaient désormais un péché, quoiqu’un mal nécessaire. Dieu a lui-même créé les organes génitaux pour que les hommes «[aient] des enfants, [deviennent] nombreux» (Genèse 1:28, TOB, 2010), mais les Pères de l’Église déclarèrent qu’ils ne devaient servir qu’à la procréation. Quiconque aurait des relations sexuelles pour une autre raison se rendrait coupable du péché de luxure. Se conformant aux opinions médicales de leur époque concernant les femmes, les Pères de l’Église ordonnèrent qu’ un rapport sexuel ne pouvait avoir lieu qu’avec une femme allongée sur le dos. C’est de là que vient le nom de «position du missionnaire», qui était enseignée par les missionnaires chrétiens aux autochtones qu’ils rencontraient, durant la période coloniale. Toute autre position était luxure. Les femmes stériles ainsi que celles ayant passé la ménopause ne devaient plus avoir de rapports sexuels.

Sur la base des enseignements de Paul concernant les couples fiancés et les veuves, les chefs spirituels chrétiens créèrent leur propre concept de la virginité qui devait être suivi du berceau jusqu’au tombeau. Les jeunes filles étaient données (comme des biens que l’on possède) à l’Église pour être éduquées en vierges honorées. Les veuves devaient rester veuves: elles devaient désormais passer leur vie, ainsi que les richesses dont elles avaient hérité, dans leur dévotion à l’Église. Le concept de la virginité fut donc construit sur la croyance que les femmes pouvaient accéder au salut par le sacrifice de leur genre, littéralement. Alors que la prostitution n’était pas considérée comme un péché dans les Écritures juives, les prostituées étaient désormais condamnées comme pécheresses. Au XIXe siècle, pendant les vagues d’épidémie de syphilis à Londres et à New York, c’est encore cette idée qui a influencé la législation sur la prostitution en tant que crime contre l’État.

Par un procédé appelé «personnification du mal», les Pères de l’Église ont diabolisé toutes les femmes, les faisant passer pour des envoyées du Diable. En effet, Ève, puisqu’elle était plus faible, fut séduite par le serpent, une incarnation du Diable, et entraîna Adam dans le péché par la séduction. En tant que descendantes d’Ève, toutes les femmes étaient donc considérées comme des séductrices d’hommes en puissance. Pour cette raison, aucune femme ne pouvait plus avoir de rôle directeur dans les églises. D’après Tertullien, Ève ainsi que l’ensemble des femmes étaient «la porte du démon», et Ève celle ayant «violé la première la loi divine» (De l’ornement des femmes I, trad. E.-A. de Genoude) et à cause de qui «le fils de Dieu lui-même dut mourir» (De l’ornement des femmes I, trad. M. Charpentier). Un fardeau lourd à porter. L’épisode du Jardin d’Éden influença le concept du péché originel pensé par saint Augustin au Ve siècle, lequel a continué à soutenir l’idée que le corps, de même que ce que l’on en fait, est la source de tous les maux.

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Bibliographie

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Traducteur

Julie Zeisser
Traductrice spécialisée en histoire et archéologie, Julie aime découvrir de nouvelles cultures et s’engage pour soutenir la science ouverte. Polyglotte passionnée, elle parle couramment cinq langues et a voyagé de la France au Japon.

Auteur

Rebecca Denova
Rebecca I. Denova est professeure émérite de christianisme primitif au sein du département d'Études des religions de l'université de Pittsburgh. Elle a récemment publié un ouvrage, "The Origins of Christianity and the New Testament" (Wiley-Blackwell)

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Style APA

Denova, R. (2021, février 04). Impact du christianisme antique sur la société et les rôles de genre [Ancient Christianity’s Effect on Society & Gender Roles]. (J. Zeisser, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1670/impact-du-christianisme-antique-sur-la-societe-et/

Style Chicago

Denova, Rebecca. "Impact du christianisme antique sur la société et les rôles de genre." Traduit par Julie Zeisser. World History Encyclopedia. modifié le février 04, 2021. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-1670/impact-du-christianisme-antique-sur-la-societe-et/.

Style MLA

Denova, Rebecca. "Impact du christianisme antique sur la société et les rôles de genre." Traduit par Julie Zeisser. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 04 févr. 2021. Web. 20 janv. 2025.

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