Dans les anciennes cultures celtiques, les torques étaient une forme courante de bijou, ils étaient fabriqués en bronze, en cuivre, en argent et en or. Ce n'étaient pas seulement des œuvres d'art celtiques exquises, ils identifiaient également le statut du porteur et ils étaient peut-être dotés de propriétés spirituelles. Les représentations des dieux et des guerriers celtes dans l'art ancien montrent souvent ces personnages portant un torque autour du cou. De nombreux torques ont été retrouvés dans des fosses peu profondes, ils furent probablement placés là dans le cadre de rituels, en guise d'offrandes votives ou simplement pour les mettre en sécurité. Avec certains d'entre eux, en or massif, pesant plus d'un kilo, ils étaient certainement une forme pratique et parfois très décorative de richesse portable.
Le design des torques
Les torques étaient destinés à être portés autour du cou et du poignet. Ils ont été retrouvés dans toute l'Europe celtique, de la péninsule Ibérique à la Bohême. Ils n'étaient toutefois pas propres aux cultures celtiques, malgré leur forte association avec cette forme de bijou. Ils étaient portés par les hommes, les femmes et probablement aussi par les enfants.
Les torques celtiques étaient fabriqués à partir de métaux tels que l'or, l'argent, le cuivre, le fer et le bronze. Ils sont formés de tiges lisses, creuses ou torsadées. Plusieurs bandes pouvaient être torsadées sur elles-mêmes ou s'enrouler en spirale autour d'un noyau de fer ou même de bois. Certains torques reçurent un éclat supplémentaire grâce à la technique de la dorure au mercure qui laisse une surface d'or pur après l'évaporation du mercure à la chaleur.
De nombreux torques celtiques ont des extrémités en forme de gros anneaux, mais il en existe d'autres types, par exemple en forme de tête de serpent, un animal associé à la force et à l'abondance. Les exemples provenant d'Espagne et du Portugal présentent parfois une bande très fine et des extrémités lourdes en forme de sablier. En revanche, le torque en or du trésor de Vix, en Bourgogne (France), datant du 5e siècle av. JC, présente des extrémités sphériques et un petit cheval ailé à la jonction de l'extrémité et de la tige. Le trésor de Niederzier, découvert près de Düren en Allemagne (1er siècle av. JC), contient des bracelets en or qui semblent être des torques avec des terminaisons proéminentes, mais ce sont en fait des anneaux complets. Il y a ensuite un exemple inhabituel de torque avec une forme torsadée comme un tire-bouchon et avec des terminaisons en forme de disque, qui a été trouvé dans le Stirling Hoard du Stirlingshire, en Écosse (300-100 av. JC). Enfin, en Grande-Bretagne romaine, aux 1er et 2e siècles ap. JC, une nouvelle forme de torque fut créée, avec une barre plate et une ligne de perles multiples aux extrémités. Un bel exemple de ce type est le torque Lochar Moss en alliage de cuivre provenant d'Écosse, qui se trouve maintenant au British Museum de Londres.
Offrandes rituelles ou dépôts sûrs ?
Le trésor de Stirling et beaucoup d'autres comme lui étaient constitués de plusieurs torques enterrés ensemble dans des fosses peu profondes, mais il est difficile de déterminer s'il s'agissait d'une offrande votive ou d'un simple dépôt sécurisé. La présence de pièces de monnaie avec des torques pourrait suggérer ce dernier objectif, mais la quantité d'or contenue dans certains trésors suggère qu'ils étaient trop précieux pour être détenus par une seule personne ou une seule famille, et qu'il s'agissait peut-être de zones importantes de rituel auxquels des générations de personnes avaient consacré des objets de valeur pendant de nombreuses années. L'idée d'une zone sacrée est étayée par des trésors comme celui de Snettisham, en Angleterre (voir ci-dessous), qui se composait de 12 dépôts distincts. La raison pour laquelle un paysage aussi plat, sans aucune caractéristique géographique notable, était considéré comme sacré reste un mystère. Un autre indice d'un enterrement rituel est le fait que dans certains trésors où plusieurs torques ont été trouvés, chaque bracelet avait été enfilé dans un autre pour former une chaîne. Bien entendu, les deux idées peuvent aller de pair : les dépôts étaient effectués à la fois à des fins rituelles et pour mettre en sécurité ces objets, protégés comme ils l'étaient par le caractère sacré du site. Ce qui est plus sûr, c'est que les torques sont étonnamment rares dans les sépultures masculines et plus fréquents dans les tombes de femmes et de jeunes filles, où ils sont le plus souvent en bronze.
Les dieux et les torques
Les torques avaient probablement un symbolisme spirituel, et c'est peut-être pour cette raison que les représentations artistiques des dieux celtes les montrent souvent portant ou tenant des torques. L'exemple le plus célèbre est sans doute le chaudron de Gundestrup, un récipient en argent et partiellement doré datant d'environ 100 av. JC, richement décoré en relief. Un panneau intérieur du chaudron montre un personnage divin avec des bois de cerf, assis les jambes croisées et portant un torque autour du cou. Le personnage tient également une torque dans sa main droite. En outre, plusieurs des figures divines à l'extérieur du chaudron portent aussi des torques autour du cou. En plus, la figure à cornes identifiée comme étant Cernunnos sur le monument gallo-romain Nautae Parisiaci du Ier siècle ap. JC possède un torque suspendu à chacune de ses cornes. Une autre représentation possible de Cernunnos, cette fois sous la forme d'une figure en bronze du Ier siècle av. JC, trouvée à Bouray près de Paris, porte un torque autour du cou. Enfin, une autre sculpture célèbre, la tête en grès de Mšecké Žehrovice en République tchèque, qui date d'environ le 2e siècle av. JC, porte également un épais torque autour du cou.
Cependant, malgré les nombreuses représentations dans l'art à travers l'Europe celtique, la signification symbolique précise des torques pour les anciens Celtes n'est pas connue. Comme d'autres objets précieux tels que les boucliers celtiques en bronze, les torques étaient donnés en offrandes votives aux dieux. L'historien Gnaeus Pompeius Trogus, écrivant au 1er siècle av. JC, rapporte qu'un torque en or avait été dédié à la déesse Minerve à Massilia par Catamandus, un prince gaulois.
Les guerriers et les torques
Les guerriers celtes de haut rang portaient fréquemment des bijoux en or, en bronze ou en fer autour du cou et du poignet pour marquer leur rang dans la société. De nombreux guerriers celtes portaient un torque, comme le montrent les représentations artistiques, l'exemple le plus célèbre étant la statue du Gaulois Mourant du musée du Capitole à Rome. La figure en marbre date d'environ 230-220 av. JC et elle avait été commandée par Attalos de Pergame (r. de 241 à 197 av. JC) en l'honneur de sa victoire sur les Galates. L'historien grec Polybe (vers 208-125 av. JC) nota que les Gaulois qui envahirent l'Italie en 225 av. JC portaient des colliers et des bracelets en or. Lorsque cette armée celte fut vaincue, ses torques et ses étendards furent suspendus pour être exposés en public dans le Capitole de Rome. L'écrivain romain Dion Cassius (c. 164 - 229/235 ap. JC) décrit Boadicée (morte en 61 ap. JC), chef des Iceni, comme portant un collier d'or torsadé au combat. Enfin, Diodore de Sicile, écrivant au 1er siècle av. JC, note à propos des guerriers celtes :
Ils amassent une grande quantité d'or qui sert d'ornement non seulement aux femmes mais aussi aux hommes. Ils portent des bracelets aux poignets et aux bras, de lourds colliers en or massif, des bagues de grande valeur et même des corsets en or.
(dans Allen, 21)
On pensait peut-être que les torques protégeaient d'une certaine manière celui qui les portait, tout comme les totems d’animaux étaient portés sur les boucliers et les épées. Dans ce cas, ils n'étaient pas toujours efficaces, et les ennemis des Celtes étaient certainement heureux de collecter des torques comme trophées de guerre. En 361 avant JC, un général romain, Titus Manlius, reçut même le surnom de Torquatus après avoir vaincu et tué un chef guerrier gaulois en combat singulier et avoir emporté son torque comme prix de la victoire. Un butin bien plus spectaculaire fut réalisé en 191 av. JC, lorsqu'une armée romaine vainquit une armée celte à Bologne et amassa un butin de guerre de 1 500 torques en or.
Il est fort possible que les Celtes eux-mêmes aient considéré les torques, sinon comme une monnaie à proprement parler, du moins comme une forme pratique de richesse transportable, surtout lorsqu'une armée était en mouvement. Néanmoins, cette forme particulière de bijou avait une signification autre que la valeur de son matériau, comme en témoigne le cadeau offert par les Gaulois à l'empereur romain Auguste (r. de 27 av. JC à 14 ap. JC), un torque en or massif bien trop lourd pour être porté. Les Romains continuèrent certainement à apprécier les torques longtemps après avoir conquis les tribus celtes. Les soldats romains portaient souvent des torques miniatures qui leur avaient été remis en signe de bravoure sur leur armure de poitrine. À partir de ces torques miniaturisés, une forme populaire de bijou se développa : la broche pénannulaire.
Le grand torque de Snettisham
Le grand torque de Snettisham faisait partie du trésor funéraire celtique de Snettisham, découvert près du village de Snettisham dans le Norfolk, en Angleterre. Il a été découvert par hasard par un fermier qui labourait son champ en 1950. Il est aujourd'hui exposé au British Museum. Fabriqué à partir d'un alliage d'or (les autres métaux sont l'argent et le cuivre), il pèse un peu plus d'un kilo et était destiné à être porté autour du cou. Il mesure 56 cm de diamètre et date de 150 à 50 ans av. JC. Il fut probablement enterré vers 50 av. JC, une date suggérée par la présence chanceuse d'une pièce de monnaie qui était coincée dans l'une de ses terminaisons et par les données de radiocarbone provenant d'objets en bois trouvés à proximité. Les autres objets enterrés avec le torque dans une petite fosse étaient un bracelet en feuille d'or et plusieurs autres torques en or, dont un qui était cassé. Au-dessus des torques en or se trouvait une couche de terre, puis un autre groupe de torques en argent. L'ensemble de ces objets est connu sous le nom de trésor funéraire de Snettisham.
Le corps du grand torque est composé de 64 brins qui sont tordus en huit cordelettes, chacune comprenant huit brins. Chaque brin a une épaisseur de 1,9 mm. Les deux terminaisons sont très décoratives. Elles sont creuses et ont été coulées dans des moules puis soudées aux cordelettes. Les terminaisons sont des mélanges des zones en relief avec des motils en " tressage de paniers " ciselés, l'artisan utilisant des outils très fins pour obtenir ce résultat et pour peaufiner le travail du moulage et éliminer toute imperfection.
Le torque de Belstead Brook
Le torque de Belstead Brook faisait partie d'un trésor de cinq torques en or trouvés près de Belstead Brook, à Ipswich, en Angleterre, en 1968. Les torques ont été trouvés par accident par des ouvriers du bâtiment. Un autre torque a été découvert plus tard à proximité. Les torques furent probablement déposés tous ensemble vers 75 av. JC, bien que les torques eux-mêmes datent de la période du milieu du 2e siècle av. JC. Le torque de Belstead Brook est maintenant exposé au British Museum.
Les terminaisons en boucle du torque présentent des motifs en relief de bosses et de volutes, typiques de la fin de l'âge du fer en Grande-Bretagne. Les terminaisons ont ensuite été coulées sur les deux tiges solides torsadées selon la technique « à la cire perdue ». Les deux tiges du collier sont cannelées. Le torque mesure 18,6 cm de diamètre et pèse 867 grammes.
Le torque de Trichtingen
Le torque de Trichtingen a été découvert près de la ville de ce nom en Allemagne. Datant peut-être du 2e siècle av. JC, il s'agit d'une autre trouvaille miraculeuse, découverte par hasard alors que des ouvriers nettoyaient des canaux de drainage. Le torque est maintenant exposé au Landesmuseum Württemberg, à Stuttgart. Il mesure 29,5 cm de diamètre et pèse 6,7 kilos. Il était donc trop lourd pour être porté. Il fut donc fabriqué comme offrande votive ou il ornait autrefois une statue.
Le torque est en fer argenté et fait preuve d'un talent artistique exceptionnel, tant dans les détails que dans la technique de placage. Les extrémités représentent des têtes de bovins se faisant face, chaque animal portant son propre torque. Le torque est peut-être originaire de Thrace ou de Perse ou il fut fabriqué en imitant le style artistique prévalant dans ces endroits où les têtes de bovins étaient un motif populaire. Les détails décoratifs et les trouvailles comparatives, quant à eux, suggèrent qu'il fut sans doute fabriqué en Gaule. Le torque peut avoir voyagé en tant que cadeau diplomatique ou avoir été un objet de commerce interrégional. Cet objet, comme beaucoup d'autres, illustre la nature interconnectée de l'Europe celtique, les idées artistiques et les techniques artisanales se propageant d'un bout à l'autre du continent.