La vie des esclaves africains dans les colonies anglaises d'Amérique était bien pire que l'esclavage pratiqué dans les Amériques avant l'arrivée des Européens. Les tribus indigènes prenaient des gens comme esclaves lors de raids, réduisaient en esclavage les personnes reconnues coupables de crimes et échangeaient des esclaves entre tribus, mais on pensait que les esclaves avaient fait quelque chose pour mériter leur sort.
L'esclavage racial et institutionnalisé pratiqué par les colons anglais d'Amérique du Nord s'écartait de ce paradigme en réduisant en esclavage des personnes qui n'avaient absolument rien à voir avec les Anglais, en les forçant à travailler pour le reste de leur vie comme esclaves et en revendiquant leurs enfants comme une propriété pouvant être vendue.
La vie d'un esclave dans l'Amérique coloniale différait d'une colonie à l'autre mais avait un aspect en commun : l'esclave n'avait aucun droit en tant qu'être humain et était considéré comme la propriété du maître au même titre qu'un chariot, une pierre de moulin ou une hache. Le maître blanc pouvait traiter l'esclave comme une possession de plus à utiliser et dont on se débarrassait lorsqu'elle ne fonctionnait plus comme prévu, et il ne se privait pas de le faire.
Les Africains étaient souvent réduits en esclavage par des membres d'autres tribus, puis vendus à des marchands d'esclaves européens ou enlevés directement par des Européens. Souvent, ceux qui réduisaient d'autres Africains en esclavage se retrouvaient drogués, menottés et expédiés avec ceux qu'ils avaient amenés sur le marché des esclaves. Une fois arrivé en Amérique du Nord, l'esclave travaillait, dans les colonies du Sud du moins, de l'aube au crépuscule, six jours par semaine, vivant dans les pires conditions et pouvant être vendu par son propriétaire comme n'importe quel râteau, houe ou marteau. La vie d'esclave en Amérique coloniale se poursuivit selon ce modèle de 1660 environ jusqu'à l'abolition de l'esclavage par le 13e amendement de la Constitution des États-Unis en 1865.
La Virginie et les premiers esclaves
Les premiers Africains d'Amérique du Nord arrivèrent à Jamestown, en Virginie, en 1619 à bord d'un navire hollandais qui avait besoin de provisions. Ces 20 ou 21 individus furent acquis en échanges des provisions nécessaires par le gouverneur de l'époque, Yeardley (1587-1627), qui les fit travailler sur sa plantation. À ce moment-là, les Anglais n'avaient aucun concept d'esclavage racial et, en fait, l'esclavage avait été aboli en Angleterre des siècles auparavant, de sorte que ces premiers Africains furent traités comme des serviteurs sous contrat, avec une durée de service déterminée se terminant par la liberté et la récompense de la terre. L'expert David A. Price commente :
Bien qu'il soit tentant de supposer que ces premiers Africains enregistrés dans l'Amérique anglaise étaient également les premiers esclaves, il existe des preuves qui suggèrent qu'ils ne l'étaient pas. Il est possible qu'ils aient eu la position légale de serviteurs sous contrat, comme beaucoup de nouveaux arrivants blancs, et qu'ils aient eu droit à la liberté après avoir accompli une période de service. (197)
Ce paradigme changea en 1640 avec la mise en esclavage d'un serviteur noir sous contrat nommé John Punch. Punch quitta le service de son maître avant la fin de son contrat en invoquant un mauvais traitement, en même temps que deux serviteurs blancs. Lorsque les trois hommes furent attrapés et renvoyés chez eux, les serviteurs blancs furent punis et se virent ajouter quatre ans à leur servitude, mais Punch fut condamné à l'esclavage à vie. Après cet événement, la Virginie commença à adopter des lois restreignant les droits de la population noire, institua des lois sur l'esclavage dans les années 1660, et devint un participant actif de la traite transatlantique des esclaves rendue possible par la route du commerce triangulaire.
Kidnapping et passage du milieu
Le commerce triangulaire était un système d'échange de biens et de personnes entre l'Europe, l'Afrique de l'Ouest et les Amériques. L'Europe expédiait des articles en Afrique de l'Ouest (le "premier passage"), qui envoyait ensuite des humains réduits en esclavage aux Amériques (le "passage du milieu"). Les Amériques envoyaient ensuite d'autres articles en Europe (le "troisième passage") et tout le circuit recommençait dans un cycle continu.
L'un des articles les plus précieux importés d'Europe en Afrique de l'Ouest était les fusils, la grenaille et la poudre à canon que les tribus africaines pouvaient acheter en échangeant des êtres humains. Une tribu qui possédait des fusils pouvait en soumettre une autre, la vendre comme esclave pour obtenir d'autres fusils et étendre son territoire. Cet arrangement, qui semblait donner du pouvoir aux Africains, ne profita en fait qu'aux esclavagistes européens qui recevaient de plus en plus de personnes comme esclaves.
Les gens étaient enlevés individuellement ou, le plus souvent, en grands groupes dans un village. Une tribu encerclait un village endormi pendant la nuit, y mettait le feu, puis capturait les habitants en fuite et les emmenait sous la menace des armes vers les marchés d'esclaves de la côte. Là, ils étaient emprisonnés jusqu'à ce qu'ils soient inspectés pour être vendus. Ceux qui étaient considérés comme les plus précieux étaient séparés des vieux, des faibles ou des infirmes et étaient marqués au fer rouge pour ne pas être repris et échangés contre une "marchandise plus faible" par ceux qui les avaient apportés ; ceux qui n'étaient pas choisis pour la vente étaient tués pour réduire les coûts de nourriture et faire plus de place pour l'afflux d'autres personnes. Ceux qui apportaient les esclaves au marché se retrouvaient souvent eux-mêmes réduits en esclavage, comme l'a décrit le spécialiste Oscar Reiss :
Les esclavagistes n'hésitaient pas à "ramasser une prime". Un chef de tribu apportait une caravane d'esclaves noirs enchaînés pris à la guerre. Après avoir conclu ses affaires, il était invité à bord du navire pour le dîner. Il était drogué et se réveillait en mer - maintenant lui-même membre de la caravane. (33)
Les esclaves étaient serrés dans la cale du navire, les hommes enchaînés et séparés des femmes, les garçons séparés des autres. Ils étaient forcés de se coucher sur le côté pour gagner de la place et on leur donnait de petits seaux pour faire leurs besoins, que beaucoup ne pouvaient atteindre et qui étaient de toute façon trop petits pour être de quelque utilité que ce soit au nombre d'esclaves sous le pont. Lorsqu'ils traversaient l'Atlantique par le passage du milieu, ils étaient autorisés à monter sur le pont par beau temps, enchaînés pour éviter qu'ils ne sautent par-dessus bord. Une fois que le navire atteignait les Amériques, les esclaves étaient déchargés dans des enclos, nettoyés et habillés (ils avaient été amenés nus, à moins qu'un capitaine n'ait ordonné de les couvrir), et vendus aux colons.
Logement, nourriture et vêtements
La vie d'un esclave différait selon les colonies et, au sein des communautés, selon les maîtres. Les colons de la Nouvelle-Angleterre et des colonies du centre avaient souvent des esclaves vivant dans leur maison ou dans une petite cabane sur le terrain, tandis que ceux des colonies du sud avaient de nombreux bâtiments connus sous le nom de quartiers des esclaves. Une cabane d'esclave typique est décrite par Reiss :
Il s'agissait d'une habitation d'une pièce en charpente avec un sol en terre battue qui mesurait 17 par 20 pieds. La cabane avait au moins une fenêtre vitrée et à volets. Il y avait une porte avec un verrou et une cheminée en brique avec un foyer en brique recouvert de terre. Elle pouvait accueillir sept ou huit adultes, avec peut-être une mezzanine pour les enfants. (47)
D'autres cabanes étaient construites en rondins et n'avaient ni fenêtre ni porte - seulement un tissu ou une fourrure au-dessus de l'entrée - avec un foyer et une cheminée. Il n'y avait pas de meubles, peu de lumière, et les espaces entre les rondins laissaient passer la pluie ou la neige.
En Nouvelle-Angleterre, les puritains prenaient mieux soin de leurs esclaves que les propriétaires de plantations du sud, car ils adhéraient davantage à l'exemple biblique des esclaves de l'Ancien Testament qui mangeaient et dormaient avec la famille. Dans les Colonies du centre, les esclaves étaient nourris principalement de maïs et de patates douces qui étaient distribués le dimanche alors que, dans le sud, le riz était la nourriture de base.
Les esclaves étaient parfois autorisés à planter et à entretenir des jardins privés qu'ils devaient travailler sur leur propre temps libre, qui était uniquement le dimanche ; le reste de la semaine était considéré comme le temps du maître. Les esclaves n'étaient bien sûr pas autorisés à posséder d'armes à feu ou toute autre forme d'armement et ne pouvaient donc pas chasser pour se nourrir. Ils recevaient rarement de la viande, et toujours à la discrétion du maître.
Les vêtements étaient également fournis par le maître et leur qualité variait en fonction de la somme qu'il choisissait de dépenser. Les vêtements des esclaves pouvaient être, mais pas toujours, un signe de la richesse et du statut d'une personne. Les "nègres de maison" qui s'occupaient des enfants, cuisinaient, nettoyaient et servaient de majordomes étaient toujours bien habillés, tout comme les esclaves qui accompagnaient régulièrement leurs maîtres en ville. Dans les colonies du Sud, les esclaves des plantations étaient presque nus pendant la majeure partie de l'année, les hommes comme les femmes ne portant guère plus qu'un pagne.
Mariage et famille
Les esclaves étant considérés comme des biens sans droits, le mariage - comme le logement, la nourriture et les vêtements - était défini par un maître qui pouvait autoriser une union, la dissoudre ou vendre un partenaire et le séparer de l'autre. Reiss commente :
Les mariages d'esclaves avaient tendance à être instables et étaient souvent de courte durée. En tant que groupe, les seuls esclavagistes qui prenaient les mariages d'esclaves au sérieux étaient les puritains. L'adultère était un péché grave et le mariage une institution sanctifiée, même chez les esclaves. Une cérémonie de mariage était célébrée et les participants étaient censés rester ensemble pour la vie. Si des esclaves étaient vendus, le propriétaire essayait de les vendre en tant qu'unité familiale. Parmi les autres groupes, seul un maître profondément religieux essayait de promouvoir la moralité et d'éviter le libertinage parmi ses possessions. (53)
Les esclaves étaient encouragés à épouser ceux de leur propre ferme ou plantation car, sinon, ils perdaient leur temps le dimanche à aller rendre visite à leur conjoint. En outre, les enfants nés de cette union appartenaient au maître de la mère, de sorte que l'esclave qui avait des enfants avec une femme esclave qui appartenait à un autre enrichissait ce dernier et appauvrissait le maitre de l'homme.
Les enfants esclaves étaient pris en charge par des frères et sœurs plus âgés, des enfants plus âgés ou des femmes plus âgées car la mère et le père travaillaient six jours par semaine et, dans le sud, de l'aube au crépuscule. Les maîtres considéraient les mariages d'esclaves comme ayant pour seul but de produire davantage d'esclaves et les couples qui n'avaient pas rapidement d'enfants pouvaient voir leur mariage dissous et étaient alors mariés à d'autres personnes.
Au sein de la communauté des esclaves, les liens familiaux étaient étroits et les gens s'occupaient les uns des autres, d'autant plus que deux familles ou plus partageaient souvent une seule cabane. La communauté dans son ensemble s'occupait souvent des enfants jusqu'à ce qu'ils aient cinq ou six ans et qu'ils ne soient mis au travail par le maître en tant que messagers, porteurs d'eau ou assistants d'écurie.
Travail et loisirs
Comme nous l'avons vu, un esclave travaillait six jours par semaine, 365 jours par an, les congés n'étant accordés qu'à la discrétion du maître. Un esclave pouvait travailler, et le faisait, à n'importe quel poste ne nécessitant ni alphabétisation ni la possession une arme à feu. Un esclave sachant lire et écrire était considéré comme une menace et l'apprentissage de la lecture était interdit dans la plupart des colonies, mais pas dans toutes. En Nouvelle-Angleterre et dans les colonies du centre, les esclaves travaillaient dans les ports, dans les petites exploitations agricoles ou pouvaient être des artisans et des commerçants qualifiés. Dans toutes les colonies, les esclaves travaillaient, entre autres, comme cuisiniers, palefreniers, servantes, majordomes, tonneliers (fabricants de tonneaux), forgerons et fabricants de bougies. Dans le sud, les esclaves étaient principalement utilisés pour le travail agricole dans les champs de tabac et de riz.
Outre les dimanches, les seuls congés accordés aux esclaves étaient la pause estivale - la fin de la période de culture sur les plantations - et Noël. À Noël, les esclaves avaient entre trois et six jours de congé et c'était le seul moment de l'année où, en général, ils pouvaient espérer recevoir de la viande et étaient autorisés à jouer d'un instrument de musique.
Le dimanche, les esclaves assistaient à leur propre service religieux ou à celui des Blancs, ils racontaient des histoires, chantaient et dansaient, et travaillaient leur propre jardin s'ils étaient autorisés à en avoir un. Ils pouvaient également être autorisés à fabriquer leurs propres meubles ou à améliorer leur logement et jouaient également à des jeux. Les dimanches et, surtout, Noël étaient également des moments de loisir au cours desquels les esclaves complotaient pour s'échapper ou planifier une insurrection et les maîtres, surtout dans le sud, maintenaient une sécurité plus stricte à ces moments-là.
Dissidence et rébellion
Les esclaves se "rebellaient" de nombreuses façons tout au long de l'année, que ce soit en simulant une maladie, en cassant des outils ou en prétendant qu'ils n'avaient pas compris les instructions d'un maître ou d'un surveillant. Parfois, cependant, des rébellions d'esclaves éclataient et, comme il s'agissait de l'une des plus grandes craintes des colons, toute révolte de ce type était rapidement réprimée et suivie de punitions sévères, même pour les esclaves qui n'y avaient pas participé.
Le premier soulèvement des colonies anglaises, fomenté et dirigé par des esclaves africains, fut la révolte des esclaves de New York en 1712. La ville de New York avait été sous contrôle hollandais en tant que Nouvelle Amsterdam jusqu'en 1664, date à laquelle les possessions hollandaises furent saisies par les Anglais. Les Hollandais avaient accordé aux esclaves de nombreuses libertés qui leur furent refusées par les Anglais qui décidèrent d'instituer des lois sur l'esclavage plus sévères et des restrictions plus importantes. Dans la nuit du 6 avril 1712, 23 esclaves mirent le feu à un bâtiment de Broadway et, lorsque les Blancs vinrent pour éteindre l'incendie, ils les tuèrent avec des armes qu'ils avaient volées. Ils furent attrapés, arrêtés et exécutés mais plus de 70 autres furent également emprisonnés et punis.
La plus grande révolte d'esclaves dans les colonies fut la rébellion de Stono en 1739 en Caroline du Sud. Un esclave nommé Jemmy conduisit 20 esclaves de la rivière Stono vers la colonie espagnole de St. Augustine, en Floride, où ils trouveraient la liberté. Ils dévalisèrent un entrepôt pour se procurer des armes et se mirent en marche, d'autres les rejoignirent jusqu'à ce qu'ils soient plus de 100, puis ils attaquèrent et tuèrent leurs maîtres blancs et détruisirent des propriétés. Leurs attaques ralentirent leur marche et la milice blanche put les bloquer et les disperser. 25 colons blancs furent tués et 30 noirs ; mais beaucoup d'autres esclaves furent pendus ou brûlés au cours de l'année suivante.
Conclusion
Les esclaves furent autorisés à prendre la place de leur maître dans la milice coloniale puis dans l'armée continentale pendant la guerre d'indépendance américaine (1775-1783) en échange de leur liberté, mais cela ne mit pas fin à l'institution de l'esclavage. Les Noirs libres apparaissent dans les recensements dès les années 1640 et le fait que des esclaves gagnèrent leur liberté pendant la guerre n'étaient donc pas considéré comme quelque chose de très spécial.
Entre 1800 et 1850, la Nouvelle-Angleterre et les colonies du centre abandonnèrent lentement l'esclavage à mesure qu'elles s'industrialisèrent et que les abolitionnistes exercèrent une pression plus forte, mais l'esclavage fut maintenu de manière rigide dans le sud. Bien que la rébellion de Stono soit considérée comme la plus grande révolte en raison de la participation de plus de 100 esclaves, celle qui marqua le plus les esprits fut la rébellion de Nat Turner de 1831 en Virginie qui entraîna la mort de 55 à 60 Blancs. Turner et ses partisans furent exécutés, mais plus de 200 esclaves et Noirs libres furent tués par la suite.
Cet événement terrorisa les colonies du Sud à un tel point que des lois plus sévères sur l'esclavage furent instituées, exacerbant encore plus les tensions entre les États du Sud et du Nord, ce qui finit par déboucher sur la guerre civile américaine (1861-1865). La proclamation d'émancipation de 1863 libérait les esclaves des États du Sud en rébellion, mais ne put être appliquée avant la fin de la guerre. Lorsque le Nord remporta la victoire, le 13e amendement à la Constitution abolit l'esclavage aux États-Unis en 1865, mettant fin à une institution qui existait depuis plus de 200 ans et qui avait réduit des millions de personnes en esclavage dans les pires conditions que l'histoire ait connues.