Eusèbe de Pamphile (alias Eusèbe de Césarée, 260-340 de notre ère) était un historien, exégète et polémiste chrétien. Il devint évêque de Césarée Maritime en 314 de notre ère et fut évêque de la cour sous le règne de Constantin Ier (r. de 306 à 337 de notre ère). Eusèbe est connu comme le "père de l'histoire chrétienne" pour ses ouvrages: Préparation évangélique, Questions et réponses sur les évangiles, Histoire ecclésiastique et Vie de Constantin.
Les travaux d'Eusèbe fournissent une grande partie de nos informations sur les débuts du christianisme au IVe siècle de notre ère, même si les sources et les détails sont controversés. Ses histoires se concentrent sur l'Empire romain d'Orient, l'Occident ne faisant l'objet que de détails sporadiques. Le nom "Pamphile" est très probablement une reconnaissance de l'un de ses professeurs, Pamphile de Césarée.
Controverse arienne et premier concile de Nicée (325 de notre ère)
La conversion de Constantin au christianisme le propulsa du même coup à la tête de l'Église chrétienne en 312 de notre ère. Bien qu'il ait encouragé l'unité des croyances dans tout l'Empire romain, une controverse émergea dans la ville d'Alexandrie, qui déboucha sur des émeutes dans d'autres villes (318-321 de notre ère). Arius, un presbytre d'Alexandrie, enseignait que si l'on croyait que Dieu avait tout créé, alors il avait dû créer le Christ à un moment donné. L'évêque d'Alexandrie excommunia Arius, qui se réfugia à Césarée Maritime avec Eusèbe.
Connue à l'origine sous le nom de Tour de Strabon, la ville de Césarée avait été rénovée par Hérode le Grand (vers 75-4 avant notre ère) et un port avait été construit vers 20 avant notre ère. Elle fut un centre commercial important à la fin de la République romaine et servit de capitale à la province de Judée. Dans les Actes des Apôtres, Luc affirme que c'est dans cette ville que Pierre aurait baptisé la famille du centurion Corneille et que le diacre Philippe aurait ouvert sa maison à Paul lors de ses missions parmi les païens (non-Juifs). En raison de son importance commerciale ou des traditions d'une communauté chrétienne primitive, Césarée Maritime était devenue un centre important pour diverses écoles de christianisme, connues sous le nom d'écoles de catéchisme. Un enseignant célèbre de la ville était Origène (180-254 de notre ère), qui avait écrit de nombreux traités et commentaires sur le Nouveau Testament et Eusèbe rassembla plus de 30 000 manuscrits, ce qui faisait de Césarée un incontournable centre d'études. Lorsqu'Arius arriva, Eusèbe se montra réceptif, car Origène avait également enseigné un concept selon lequel le Christ était subordonné à Dieu.
En 325 de notre ère, Constantin convoqua un concile à l'échelle de l'empire dans la ville de Nicée pour résoudre cette question. Le défi pour le concile était d'articuler la manière dont le caractère unique de Dieu se retrouve également dans sa transcendance (par la puissance de l'Esprit) et dans sa nature incarnée (en prenant chair dans le Fils). Le résultat fut le Credo de Nicée, qui affirmait que Dieu et le Christ étaient identiques dans leur essence et que le Christ était une manifestation de Dieu sur terre. L'influence d'Eusèbe sur les différents détails du Credo reste discutable. Quoi qu'il en soit, il fut envoyé en exil. Cependant, Constantin le rappela plus tard pour servir d'évêque à la cour de Constantinople, et c'est Eusèbe qui baptisa Constantin sur son lit de mort.
Un autre historien chrétien, Salaminios Hermias Sozomenos (alias Sozomène, 400-450 de notre ère), affirma que Constantin avait laissé Eusèbe s'en tirer à bon compte en raison des services qu'il rendait à la cour impériale. Selon Sozomène, du vivant de Constantin, personne n'avait osé rejeter ouvertement les décisions du concile de Nicée. Mais à sa mort, le débat se poursuivit dans plusieurs villes, et Eusèbe et Théognis, évêque de Bithynie, "firent tout ce qui était en leur pouvoir pour donner la prépondérance à la doctrine d'Arius" (Histoire ecclésiastique de Sozomène, III.1.).
Le service qu'il avait rendu à Constance, en lui remettant entre les mains le testament de l'Empereur Constantin son père, lui avait acquis beaucoup de crédit, de sorte qu'il avait contracté habitude particulière avec les Eunuques de la Cour, et qu'il avait l'accès libre auprès de l'Impératrice. Comme Eusèbe, grand partisan d'Arius avait alors l'Intendance de la maison de l'Empereur, il ne manqua pas d'attirer l'Impératrice, et un grand nombre de personnes de la Cour à son sentiment. Ainsi on recommença à agiter en public, et en particulier les matières contestées, à vomir des injures atroces, et a entretenir des animosités cruelles, ce qui plaisait fort à Théognis, et à ceux de son parti. (Histoire ecclésiastique, III.1. trad. Cousin, Remacle).
La date exacte de la mort d'Eusèbe est inconnue, mais Sozomène la situe juste avant la mort du fils de Constantin, Constantin II, en 341 de notre ère. Dans un martyrologe syrien rédigé en 411 de notre ère, Eusèbe est considéré comme un saint, dont la fête est fixée au 30 mai. L'iconographie de l'église arménienne le représente avec une auréole.
Apologie pour Origène
Eusèbe affirme qu'une grande partie de cet ouvrage aurait été rédigée en prison par son professeur Pamphile, avec l'aide d'Eusèbe. Dans son Apologie pour Origène, Eusèbe suit le concept d'Origène selon lequel Dieu est le créateur de tous les êtres et de toutes les choses bonnes. Origène avait affirmé que lorsque Dieu avait créé les âmes, il les avait dotées du libre arbitre. Créées à l'origine pour glorifier Dieu, ces âmes utilisèrent leur libre arbitre pour se détourner de lui. Ce faisant, elles commencèrent à s'éloigner de la source de la vie. Dieu, dans sa miséricorde, créa alors l'univers matériel pour accueillir les âmes dans leurs différents voyages. Certaines devinrent des étoiles, d'autres des anges et d'autres encore des êtres humains. Une âme, le Christ, ne s'est pas détournée. Dieu l'a alors envoyé dans le monde pour éclairer les âmes et leur montrer le chemin du retour.
Pour Eusèbe, c'est ce libre arbitre engendré chez l'homme par son âme qui l'a conduit à choisir de pécher et non pas parce qu'il était intrinsèquement mauvais. Par conséquent, la punition pour les péchés est bien méritée, comme un juste jugement pour s'être retourné contre la loi naturelle de Dieu. Cette idée allait à l'encontre d'autres enseignants chrétiens qui affirmaient que le corps était la source du péché (dans ses passions et ses pulsions). Pour Eusèbe, le péché était un choix intellectuel.
Histoire ecclésiastique
Commencé vers 290 de notre ère, Eusèbe a écrit l'histoire du christianisme depuis l'âge apostolique jusqu'à son époque. L'ouvrage était coordonné chronologiquement avec le règne des empereurs romains. Il fournit des détails sur les premiers évêques et enseignants, la succession des évêques sur les principaux sièges, l'histoire des hérésies, l'histoire des Juifs, les relations avec les non-Juifs (païens) et le martyre des premiers chrétiens. Ses détails et ses citations d'autres ouvrages (aujourd'hui perdus) donnent un aperçu précieux des relations entre l'Église et l'État dans l'Antiquité tardive.
Vie de Constantin
La Vie de Constantin d'Eusèbe n'est pas une biographie classique, mais plutôt un panégyrique (discours public ou publication faisant l'éloge de quelqu'un ou de quelque chose), ou peut-être un éloge funèbre après la mort de Constantin. L'un des passages les plus célèbres relate la conversion historique de Constantin.
L'empereur avait raconté à Eusèbe qu'entre la mort de son père Constance en 306 et la bataille du pont Milvius à Rome contre Maxence en 312, il avait eu la vision, avec ses soldats, d'un "trophée en forme de croix formée de lumière" au-dessus du soleil à midi. Le symbole était accompagné des mots "in hoc signo vinces" ("à ce signe, vaincre"). Cette nuit-là, dans un rêve, "le Sauveur lui apparut avec le même signe qu'il lui avait montré en l'air durant le jour, et lui commanda de faire un Etendard de la même forme, et de le porter dans les combats pour se garantir du danger." (Vie de Constantin, I.29.).
Une autre version de cette histoire est rapportée par Lucius Caecilius Firmianus Lactantius (alias Lactance, 250-325 de notre ère), un philosophe chrétien qui conseilla Constantin et servit de tuteur à son fils Crispus. Il écrivit les Institutions divines, un plaidoyer en réponse aux critiques non chrétiennes pour démontrer le bien-fondé et la vérité du christianisme. En 313 de notre ère, Lactance écrivit que Constantin lui avait dit que son rêve avait eu lieu la nuit précédant la bataille du pont Milvius. Il ne parle pas du "symbole dans le ciel", mais affirme que Constantin avait fait peindre le symbole du "chi-rho" sur les boucliers des soldats. "Chi-rho" était les deux premières lettres grecques du Christ, placées l'une sur l'autre. Ce symbole, connu sous le nom de staurogramme (croix en grec), est devenu par la suite le symbole de la papauté à Rome.
Les deux récits font l'objet d'un débat en raison de détails différents. Eusèbe ne situe pas le symbole au pont Milvius et Lactance ne le place pas dans le ciel. Tous deux s'accordent sur le rêve de Constantin et sur le fait qu'il avait été mandaté par le Christ en personne. Eusèbe édita la Vie de Constantin à plusieurs reprises, de sorte que nous ne pouvons pas déterminer la date à laquelle sa version fut ajoutée, mais il n'a pas inclus cet événement dans son Histoire ecclésiastique. Ce qui reste problématique, c'est l'Arc de triomphe de Constantin, construit sur ordre du Sénat romain en 315 de notre ère pour commémorer sa victoire sur Maxence. Comme de nombreux monuments de Rome, il fut construit en enlevant des parties de monuments plus anciens. Dans ce cas, l'arc contient des éléments de monuments antérieurs à Trajan, Hadrien et Marc Aurèle. L'arc de Constantin comporte donc des symboles du passé païen de Rome pour glorifier le pouvoir impérial, et l'iconographie de la conversion de Constantin au christianisme n'y est pas représentée.
Canonisation de la Bible
La Vie de Constantin est notre seule source pour ce qui est devenu la canonisation du Nouveau Testament (avec l'inclusion des Écritures juives). Il faut donc déterminer à quel type de christianisme Constantin s'était converti. Pendant 300 ans, aucune autorité centrale n'était chargée de définir des concepts et des rituels universels. Il semble que Constantin ait suivi les enseignements des Pères de l'Église du IIe siècle de notre ère, des chefs chrétiens qui rédigèrent ce qui est devenu le dogme chrétien. Ces écrivains soutinrent que les évangiles de Marc, Matthieu, Luc et Jean étaient les seuls orthodoxes (corrects), parmi les nombreux autres disponibles à l'époque, qui étaient considérés comme des écrits hérétiques. Selon Eusèbe, Constantin lui aurait écrit:
J'ai jugé bon de charger votre Prudence d'ordonner que cinquante exemplaires des Saintes Écritures, dont vous savez qu'elles sont les plus nécessaires à l'instruction de l'Église, soient écrits sur du parchemin préparé, de manière lisible et sous une forme commode et portable, par des transcripteurs professionnels parfaitement rompus à leur art. Tels furent les ordres de l'empereur, qui furent suivis par l'exécution immédiate de l'ouvrage lui-même, que nous lui envoyâmes dans de magnifiques volumes reliés avec soin, de forme triple et quadruple. (Vie de Constantin, IV.36-37.)
Dans l'Histoire ecclésiastique, Eusèbe examine les arguments des Pères de l'Église pour justifier leur choix d'évangiles orthodoxes. Il observe qu'ils rejettent les contradictions trouvées dans les quatre évangiles comme des variations sur le témoignage direct des événements ainsi que sur les interprétations de chaque évangéliste. Ces détails figurent également dans un traité distinct, intitulé Questions et réponses sur les évangiles. Il contient un long passage sur l'évangile de Jean, qui s'oppose aux opinions selon lesquelles Jean était si différent des trois autres. Eusèbe soutient que Jean avait suivi ces sources, mais qu'il y avait ajouté des idées spirituelles plus tardives sur la véritable compréhension du Christ.
Les érudits débattent des manuscrits ultérieurs connus sous le nom de Codex Sinaiticus et Codex Vaticanus pour savoir s'ils contiennent oui ou non la Bible originale de Constantin. Ils diffèrent par le nombre de folios. Le Sinaiticus fait référence au canon d'Eusèbe, tandis que le Vaticanus fait référence à une version antérieure. Les écrits acceptés par Eusèbe pour le Nouveau Testament comptaient 22 livres à l'époque. La canonisation finale, après des années de débat, en compte 27.
Autres ouvrages
Eusèbe a écrit plusieurs ouvrages supplémentaires, dont certains ont été perdus ou ne survivent que dans des manuscrits ultérieurs basés sur ses livres. Il s'agit notamment d'un recueil séparé d'histoires des premiers martyrs, Polycarpe de Smyrne, Pionios, les martyrs de Vienne et de Lyon, et les martyrs de Palestine, écrit en 311 de notre ère à propos de la persécution de Dioclétien.
Comme tous les premiers Pères de l'Église, Eusèbe, formé à la philosophie, utilisa les concepts et le jargon des écoles philosophiques pour revendiquer la place du christianisme dans ces concepts de l'univers. Il citait souvent Platon, et les spécialistes situent sa Préparation évangélique dans ce que l'on appelle le moyen platonisme. Le concept de logos ("rationalité" ou "parole") de Platon se retrouve dans la préface du quatrième évangile de Jean. Les philosophes avaient proposé l'existence d'un dieu supérieur derrière les gradients de divinités et de pouvoirs. Eusèbe affirmait que le Dieu d'Israël était ce dieu supérieur dont le plan divin était le but ultime du christianisme depuis le début. De nombreux concepts philosophiques sont repris dans un autre traité, Sur la théophanie, où il défend le Christ en tant que logos divin.
Peut-être dans le prolongement de la Préparation évangélique, Eusèbe s'est longuement étendu sur la personne de Jésus-Christ dans sa Démonstration évangélique. Bien que le temps ait passé et qu'aucun royaume de Dieu n'ait été établi sur terre, Eusèbe soutient la doctrine de l'espérance eschatologique, ou le retour du Christ pour inaugurer le royaume. Comme d'autres chrétiens, il déclare que les Juifs sont les ennemis du Christ, qu'ils seront finalement soumis par les chrétiens et que leur ancienne religion sera détruite.
Un autre ouvrage, intitulé Introduction générale élémentaire, présente les textes messianiques des livres des prophètes, qui désignent le Christ. Eusèbe a également rédigé des commentaires sur le livre des Psaumes et le livre d'Isaïe. Ceux-ci ont survécu grâce aux citations faites par les chrétiens byzantins ultérieurs. Il a également rédigé des commentaires sur la lettre de Paul aux Romains et sur 1 Corinthiens. Parmi les commentaires qui ont été perdus, citons Judée, une description de la perte des dix des douze tribus d'Israël, et Un plan de Jérusalem et du temple de Salomon. Deux de ses sermons ont survécu: l'un sur la consécration de l'église de Tyr et l'autre sur le 13e anniversaire du règne de Constantin.
Héritage d'Eusèbe
Dès l'Antiquité tardive, Eusèbe a souvent été critiqué par d'autres historiens. Socrate le Scholastique (historien chrétien du Ve siècle) a rejeté la Vie de Constantin d'Eusèbe, estimant qu'elle se concentrait uniquement sur l'éloge de l'empereur et non sur les faits (Histoire de l'Église, I.1.). Sa méthodologie et sa sélection de matériel continuent d'être critiquées en raison de déclarations telles que la suivante:
...nous n'entendons en effet rien raconter hormis les choses par lesquelles nous pourrons justifier le jugement de Dieu. [3] Nous ne nous laisserons donc pas davantage aller à rappeler la mémoire de ceux qui ont été éprouvés par la persécution, non plus que de ceux qui ont fait un complet naufrage pour le salut, et qui par suite même de cette résolution ont été précipités au fond de l'abîme. (Histoire ecclésiastique, VIII.2.)
Au chapitre XII, il écrit:
comment, au lieu de rester les pasteurs des brebis spirituelles du Christ, qu'ils n'avaient pas gouvernées selon la loi, ils furent préposés par la justice divine comme si elle les avait jugés dignes... comme aussi, en outre, les ambitions d'un grand nombre, les impositions des mains faites sans discernement et en dehors des lois, les schismes entre confesseurs eux-mêmes et tout ce que de jeunes agitateurs ont tramé avec ardeur contre les ruines de l'Église, entassant nouveautés sur nouveautés, ajoutant sans ménagement aux malheurs de la persécution et élevant maux sur maux ; tout cela me paraît devoir être omis. J'estime que le récit de ces choses ne me convient pas ; je m'en excuse et m'en abstiens, ainsi du reste que je l'ai dit en commençant.
En d'autres termes, Eusèbe s'est déjà prononcé contre (et a jugé) tous les points de vue qui n'étaient pas en accord avec lui dans la narration des événements. Et puis il y a ceci dans Préparation évangélique:
S'il en était autrement, il ne craindra pas de mentir à ces jeunes gens, pour leur propre bien. (XII.31.).
Cependant, juger de telles affirmations à travers le prisme de l'historiographie moderne - que nous prétendons objective - revient à ignorer la manière dont tous les historiens antiques ont écrit leurs récits. En racontant ce qui s'est passé, ils ont également inclus la signification de ces événements, leurs interprétations ainsi que des jugements polémiques sur les personnages. Malgré les critiques, tout le monde s'accorde à dire que sans les écrits d'Eusèbe, nous n'aurions que peu d'accès aux événements et aux personnes qui ont marqué les années de formation du christianisme. Ses informations sont inestimables pour les classicistes, les historiens de l'Empire romain tardif et les théologiens.