Philippe II de Macédoine (359-336 av. J.-C.) envisageait un vaste royaume macédonien et son expansion coloniale aboutit à la formation d'un empire que son fils Alexandre le Grand (r. 336-323 av. J.-C.) allait utiliser comme tremplin pour des projets encore plus importants. Les colonies et garnisons stratégiques et économiquement précieuses de Philippe en Thessalie et en Thrace comprenaient de grandes villes comme Philippes et Philippopolis.
La surpopulation des villes archaïques dans la région de la Grèce moderne fut l'une des principales motivations des premières vagues de colonisation au 8e siècle avant notre ère. La menace de famine était l'une des principales conséquences d'une ville surpeuplée et une solution consistait à envoyer une partie de la population dans une nouvelle colonie. Étant donné la distribution inégale des terres par les élites aristocratiques dans ces villes archaïques, grâce à la colonisation, un citoyen ordinaire avait la possibilité de partir en quête d'un meilleur niveau de vie. Par conséquent, en étudiant le colonialisme macédonien sous Philippe II, les raisons déjà mentionnées pour établir des colonies pourraient hypothétiquement s'appliquer dans ce cas. Cependant, elles ne sont pas les seules raisons de la fondation de nouvelles colonies. Il faut toujours garder à l'esprit que chaque époque et chaque événement historique doit être étudié et analysé comme événement unique. Chaque événement unique a été défini et façonné par une série d'autres événements qui eurent lieu dans la région à ce moment-là. Philippe utilisa les colonies de Thrace et de Thessalie pour soutenir son expansion militaire rapide et féroce. Cet argument, comme nous le verrons, peut être soutenu par la position stratégique, ainsi que par l'utilisation exceptionnelle des colonies par Philippe.
Principales colonies macédoniennes
En Thrace :
- Crénidès - rebaptisée Philippes (Kavála moderne, Grèce)
- Philippopolis (aujourd'hui Plovdiv, Bulgarie)
- Cabyle (aujourd'hui Yambol, Bulgarie)
En Thessalie :
- Gomphoi - rebaptisée Philippopolis (aujourd'hui Karditsa, Grèce)
- Thèbes en Phthiotis - rebaptisée Philippes (aujourd'hui en Magnésie, Grèce).
Le protagoniste
Perdiccas III de Macédoine (r. de 365 à 360 av. J.-C.), le frère de Philippe, avait choisi de poursuivre la tradition des massacres sans fin entre les Macédoniens et les tribus illyriennes voisines au nord. En 360 avant Jésus-Christ, Perdiccas fut tué et ses unités militaires détruites par le roi illyrien rival Bardylis. Selon l'historien du 1er siècle avant J.-C. Diodore de Sicile, Philippe II, descendant de la dynastie des Argéades, succéda par élection en tant que basileus de Macédoine. En l'espace de 23 ans, le roi soumit et annexa de vastes territoires périphériques autour de Pella, la capitale du royaume, et réussit à surmonter les raids continuels des tribus environnantes, les Thraces à l'est et les Paeoniens et Illyriens au nord. Le roi mena de nombreuses campagnes pour atteindre ses objectifs stratégiques, et il établit des colonies qui non seulement fortifièrent ses annexions mais lui permirent de développer des activités minières, agricoles et commerciales. Une part considérable de l'efficacité de l'expansion territoriale macédonienne ultérieure sous le fils de Philippe, Alexandre le Grand (r. de 336 à 323 av. J.-C.) doit être attribuée aux colonies de Philippe.
Selon certains auteurs antiques, notamment Démosthène (c. 384 - 322 av. J.-C.), Philippe II était un sacré personnage. Philippe avait dû accumuler une force corporelle incryable par rapport aux normes modernes. Il subit plusieurs terribles blessures au combat qui le marquèrent à vie. Démosthène décrit une fracture de la clavicule et la mutilation de sa main et de sa jambe, et, bien sûr, sa blessure la plus célèbre, la perte d'un œil. En outre, il convient de considérer que des auteurs tels que Démosthène ont tendance à être outrageusement contre Philippe et leurs textes et discours contiennent des éléments de persuasion plus intenses. Si les récits du fier auteur athénien rsont proches de la vérité, on peut remarquer certaines qualités fondamentales de la nature de Philippe. Ces caractéristiques dépeignent certaines valeurs fondamentales du leadership macédonien, ce qui indique ce que la société macédonienne attendait de ses dirigeants. En particulier, la royauté pouvait être attribuée ou perdue par le consensus de l'armée. Cette idée illustre l'importance des conquêtes militaires du dirigeant. Chaque roi macédonien devait prouver ses capacités militaires et gagner le respect de l'armée pour prétendre au trône et surtout le conserver. En isolant uniquement la mention de Démosthène de ses caractéristiques physiques, nous pouvons supposer que le roi Argéade fut capable de se faire respecter des hommes de troupe.
La motivation
L'une des motivations de Philippe pour fonder des colonies était les avantages territoriaux. Alors qu'il subjugua rapidement les tribus voisines d'Illyrie, de Paeonia et de Thrace, il devait trouver un moyen de conserver ces récentes annexions. Du point de vue de Philippe, la fondation de colonies dans ces régions apportait une série de facteurs stabilisants au territoire. Premièrement, il y avait le placement de garnisons macédoniennes pour la répression des révoltes indigènes. Deuxièmement, les ressources naturelles régionales, telles que les vastes zones de bois et de mines, furent exploitées. Troisièmement, les colonies macédoniennes contribuaient à la sécurité nécessaire à l'essor des routes commerciales terrestres régionales. Enfin, les colonies constituaient une barrière défensive pour chaque région, car elles étaient généralement établies dans des positions stratégiques. Cependant, ce qui distinguait Philippe des autres rois colonisateurs était l'utilisation exceptionnelle de ses colonies. Il exerça ses droits royaux d'une manière qui lui permit de déplacer les populations à l'intérieur de son royaume comme bon lui semblait. En outre, il installa ses sujets en fonction des besoins de l'expansion. Cette stratégie permit à Philippe d'administrer plus efficacement ses territoires. Lorsque le roi macédonien se heurta à des troubles civils, il transféra les auteurs suspects vers différents territoires ou colonies nouvellement annexés, où la main-d'œuvre était disponible ou nécessaire.
Les colonies thraces
Grâce aux divers débats contemporains et aux preuves archéologiques sur les origines des colonies macédoniennes, nous pouvons distinguer quelques-uns de leurs noms. Comme prétexte aux efforts de Philippe pour une expansion vers l'est en Thrace, il exploita les appels à l'aide des habitants de Crénidès. Les Thasiens (de l'île de Thassos) déjà installés, parmi d'autres colons, étaient probablement très affectés par les raids continus des tribus thraces locales et leur anéantissement semblait imminent. Une série d'événements conduisit à la fondation de l'une des premières colonies macédoniennes. En 360 avant Jésus-Christ, l'assassinat de Cotys, le roi odrysien de Thrace, permit à ses trois fils de se partager le royaume. Vers 356 avant Jésus-Christ, le parent de Cotys, Kétriporis, qui gouvernait la région occidentale de la Thrace, se joignit à une coalition aux côtés des Illyriens et des Péoniens contre Philippe. Mais les colons de Crénidès avaient également eu vent de la rapide prise de pouvoir de Philippe. Ainsi, comme les Thasiens ou leurs alliés, les Athéniens, furent trop lents à réagir, ils furent contraints de demander l'aide de la Macédoine ou de périr aux mains des pillards thraces. Vers 355 avant J.-C., après le triomphe de Philippe sur ces tribus concurrentes, il renforça Crénidès avec des colons macédoniens et donna son nom à la colonie.
Le ville de Philippes nous offre un exemple exceptionnel pour imaginer le haut-lieu macédonien idéal. Le roi fortifia la colonie contre d'éventuels envahisseurs thraces et péoniens et ordonna le drainage des marécages afin que la région puisse être cultivée. Ainsi, les colons pouvaient tirer le maximum de ressources du sol. Philippe exploita également les mines d'or et d'argent de la colonie qui fournirent au roi macédonien un rendement annuel de 1 000 talents. La colonie fournissait à Philippe un vaste revenu annuel ainsi que la possibilité de frapper ses propres pièces. En outre, la situation méridionale, presque côtière, de la colonie permit au roi de rassembler une flotte navale. Par conséquent, l'existence d'un soutien côtier aurait perturbé toute intention d'occupation étrangère. La position géographique avantageuse de la colonie peut être attestée par l'accessibilité régionale. Philippe pouvait à tout moment envahir les tribus thraces de Triballes ou de Gètes. De plus, la colonie n'était qu'à dix jours de marche de Pella.
D'autres invasions auraient pu avoir lieu, avec Philippes comme point de départ opérationnel. D'une part, les Scythes nomades étaient à 320 km (198 miles), d'autre part, Byzance, avec son passage crucial du grain athénien en provenance du Pont, était distante de 387 km (240 miles). Toutes deux se trouvaient à portée stratégique de l'armée. Il est certain qu'après la refondation de la colonie, les possibilités d'expansion de Philippe s'étaient considérablement accrues. En outre, l'importance de la colonie de Philippes est évidente si l'on considère la construction ultérieure de la grande route romaine Via Egnatia, qui passait par Philippes. Cette route reliait le sud de la mer Adriatique aux Dardanelles, traversant la Macédoine et la Thrace, aaujourd'hui, la Grèce du Nord moderne. La région est devenue l'unité régionale de Kavála, en Macédoine orientale, en Grèce. En 2016, l'UNESCO a inscrit le site archéologique de Philippes au patrimoine mondial de l'humanité.
14 ans plus tard, alors que Philippe II contrôlait déjà les mines du mont Pangaion, grâce à la colonie de Philippes, il avança de nouveau vers l'est en Thrace et annexa la vallée de la rivière Hèbre (Maritsa moderne). Comme pour tout événement historique, les raisons de cette expansion étaient multilatérales. Alors que l'ambitieux souverain thrace, Cersobleptès, renforçait ses relations diplomatiques avec les Athéniens, Philippe II y voyait la menace d'une éventuelle expansion. Le roi Argéade avait compris qu'en s'emparant de la Thrace, il obtiendrait un important bastion territorial contre l'Empire achéménide et Athènes. D'une part, une Thrace macédonienne bloquerait toute invasion perse éventuelle - et les Achéménides avaient attaché une grande importance à la région lors de leurs précédentes invasions. En fait, les Perses, en traversant l'Hellespont, avaient déployé leur armée en Thrace orientale à trois reprises au cours des 150 dernières années. Ainsi, bloquer l'itinéraire le plus évident de l'un des plus grands empires de l'époque était une action significative.
D'autre part, les concurrents grecs de Philippe II au-delà de ses frontières méridionales, les Athéniens, auraient certainement été dépeuplés par la prise de Byzance par les Macédoniens, puisqu'il s'agissait d'une route pour leurs importations de céréales en provenance du Pont. Compte tenu des qualités stratégiques de la Thrace, on peut comprendre la nécessité pour Philippe de faire campagne contre Cersobleptès avec de grandes armées, comme le nota Diodore de Sicile. Par conséquent, Philippe fonda deux colonies près des frontières de ses ennemis pour assurer la sécurité de ses conquêtes.
Cabyle était située à dix kilomètres de Yambol, dans ce qui est aujourd'hui le sud-est de la Bulgarie. Philippopolis, fondée en 342 avant J.-C., portait également le nom du roi et visait à contrôler les routes thraces vers la vallée de la rivière Axios (alias Vardar), en Haute-Macédoine. L'ancienne colonie est devenue la ville de Plovdiv, dérivée de l'ancien nom thrace Pulpudeva, située dans l'actuelle Bulgarie. Ces colonies permirent à Philippe II non seulement de contrôler la côte de la mer Égée du Nord mais aussi de créer des alliances avec les cités-États grecques de la mer Noire. En outre, le roi avait choisi ou du moins prévu d'installer des colons venus d'ailleurs qui perturbaient directement ou indirectement ses affaires et ses intérêts. Ainsi, l'historien Théopompe, du IVe siècle avant J.-C., nous informe que 2 000 colons furent envoyés à Philippopolis. Les preuves sont très limitées pour la plupart des colonies de Philippe II mais on peut supposer que Cabyle avait une population similaire à celle de Philippopolis.
Les colonies de Thessalie
De nombreux auteurs anciens font référence à la nature spectaculaire de la région de Thessalie. Déjà Xénophon (430-c. 354 av. J.-C.), dans son livre Hellenica, commentait le comportement hospitalier et magnifique des Thessaliens. Au-delà de ces perceptions, Plutarque (c. 45-50 à c. 120-125 de notre ère), dans sa Vie d'Alexandre, fait l'éloge de la cavalerie thessalienne sous Alexandre le Grand. Hérodote raconte également que la cavalerie thessalienne était "la meilleure de l'Hellas"(Histoires, 7.196). Certainement, Philippe II, en raison de son éducation aristocratique, et comme les auteurs anciens, était conscient de ces avantages militaires de la région. Il savait que s'il contrôlait la Thessalie, non seulement il serait en mesure de rassembler l'une des meilleures cavaleries de la région méditerranéenne, mais il sécuriserait également ses frontières sud macédoniennes. Par conséquent, Philippe II assurerait la prospérité de sa patrie et fournirait une notion de sécurité et de prospérité à ses sujets. Par conséquent, en 358 av. J.-C., il profita de l'occasion pour intervenir dans les affaires thessaliennes, lorsqu'il répondit à l'appel à l'aide de ses voisins.
Les raisons de l'intervention de Philippe commencèrent en 370 av. J.-C. lorsque Jason de Phères, qui avait déjà rassemblé une armée importante pour l'époque, fut assassiné et que son neveu, Alexandre II, beaucoup plus autoritaire, accéda au pouvoir. Ensuite, la partie occidentale de la Thessalie forma la Ligue thessalienne comme contre-mesure aux détenteurs de la partie côtière orientale de la Thessalie. En 358 avant Jésus-Christ, le neveu connut le même sort que son oncle. Cinéas de Larissa, en tant que représentant de la Ligue, appela alors les Macédoniens à l'aide, qui, du moins au début, se limita à des mesures diplomatiques avant de passer à des moyens plus agressifs. Il faut souligner que la situation financière de la ligue, en raison des conflits incessants, était exceptionnellement mauvaise. Vers 353 av. J.-C., Philippe II, après avoir traité avec les descendants ambitieux de Jason et les alliés phocéens, mit à sac et soumis le reste de la Thessalie. Parmi les villes saccagées, il rebaptisa la ville de Gomphoi en Philippopolis et changea la Thèbes de Phthiotide en Philippes. La première colonie se trouve aujourd'hui dans la région de Karditsa, dans le centre de la Grèce moderne, tandis que la seconde remonte au petit village grec de Mikrothivai, dans l'unité régionale de Magnésie. Par la suite, Philippe vendit une partie des populations décimées en esclavage, tirant un grand profit de cette vente.
Les événements et la réorganisation de la Thessalie sous l'implication de Philippe II conduisirent à une occasion remarquable, l'élection par la ligue thessalienne d'un roi étranger pour être archonte à vie. Cela indique une grande admiration et une soumission des aristocrates thessaliens au pouvoir de la Macédoine. Le roi de Macédoine et archonte réussit à mettre à sa disposition la population et les ressources d'une région qui étaient au moins égales à la population et aux ressources du royaume macédonien en 359 avant Jésus-Christ. Ainsi, les deux provinces purent rassembler au moins 3 000 superbes unités de cavalerie et 30 000 unités d'infanterie lourde. En outre, la fondation des colonies thessaliennes indique l'intention de Philippe d'améliorer sa cavalerie en ayant accès à la race apparemment unique des pâturages thessaliens. Enfin, il sécurisait son royaume méridional contre les attaques ou les raids attendus des autres cités-États grecques.
Les garnisons macédoniennes
Selon Diodore de Sicile, Philippe II renforça la colonie de Philippopolis en Thrace avec une garnison. L'établissement de garnisons dans des lieux clés de Thrace naquit de la nécessité de "les garder sous contrôle". L'imposition des garnisons s'accompagna d'un impôt sur la dîme. L'introduction des taxes annuelles et la réorganisation des fortifications macédoniennes suggèrent une tendance à la création d'une structure administrative en Thrace. Cette implication fut rendue plus claire lorsque Philippe créa le poste administratif du strategos pour administrer la région. Une autre démonstration d'un plan d'administration accompagnant l'imposition de garnisons peut être retracée quelques années plus tôt en Thessalie, en 344 avant notre ère. Philippe restaura les anciennes tétrarchies, les quatre districts administratifs de Thessalie, et établit une décadarchie, une assemblée administrative, qu'il fit respecter par des garnisons. En outre, il attribua un gouverneur à chaque district. Ainsi, Philippe envisageait les garnisons comme un outil pour imposer son autorité administrative et offrir une protection au statu quo régional. En outre, il existe des preuves que Philippe installa également des garnisons dans les territoires nouvellement conquis.
Environ deux ans avant le système d'administration interne de la Thessalie, Philippe avait déjà installé une garnison à Nicée, située à l'est du col des Thermopyles. Le maintien du fameux col était crucial pour son accès futur au cœur des territoires des cités-États grecques. Enfin, un autre exemple de l'utilisation de la garnison par Philippe peut être vérifié à partir de ses actions après la bataille de Chéronée en 338 avant Jésus-Christ. La dernière grande bataille de Philippe avec son fils Alexandre (avant qu'il ne devienne "Grand") à ses côtés fut caractérisée par un triomphe sur les Thébains et les Athéniens, conduisant à la dépendance des cités-états grecques sous le roi macédonien. Philippe, afin de sécuriser les territoires "gagnés à la lance" et d'éviter tout conflit futur avec les locaux, abolit leurs hégémonies et installa des oligarchies pro-macédoniennes et des garnisons permanentes à Ambracie, Thèbes, Corinthe, Chalcis, et probablement Mégare. Ainsi, comme caractéristique générale des garnisons macédoniennes sous Philippe, on peut remarquer qu'il les utilisait comme un outil d'application de son pouvoir.
En résumé, les colonies que Philippe fonda fournissaient une vaste structure étendue dans ses territoires nouvellement conquis, permettant au roi d'engranger une multitude d'avantages sociaux, militaires et économiques. Le roi macédonien réalisa ce qu'aucun autre de ses ancêtres argéades n'avait jamais accompli, et ce, au cours des 18 premières années de son règne. En près de deux décennies, il doubla la taille du royaume auparavant diminué. Il rassembla à la fois une flotte navale et une armée d'infanterie capables de semer le chaos et le désespoir dans l'un des plus grands empires du monde connu, l'empire achéménide.