La quantité stupéfiante d'or que les conquistadores ont prélevée des Amériques permit à l'Espagne de devenir le pays le plus riche du monde. La soif d'or pour payer les armées et s'enrichir personnellement entraîna des vagues d'expéditions de découverte et de conquête à partir de 1492. Au cours du premier demi-siècle de la conquête espagnole des Amériques environ, plus de 100 tonnes d'or furent extraites du continent.
En fondant ce métal étincelant, les conquistadores laissèrent derrière eux une traînée de mort, de torture et de destruction. Les conquistadores réduisirent considérablement le nombre d'artefacts qui auraient pu survivre jusqu'à aujourd'hui, artefacts qui auraient pu témoigner de la signification religieuse, culturelle et artistique que leurs créateurs leur avaient donnée. Ils avaient espéré que le choix de l'or incorruptible permettrait à ces objets de perdurer pendant des générations, mais au lieu de cela, il scella leur destin et furent perdus à tout jamais.
La soif d'or
Lorsque Christophe Colomb (1451-1506) arriva aux Amériques en 1492, la seule marchandise dont tous les monarques européens avaient envie était l'or. Grâce à ce précieux métal jaune, ils pouvaient payer leurs armées, leurs mercenaires et leurs armes à poudre, et défendre et étendre leurs royaumes. L'or a toujours été rare, mais à la fin du 15e siècle, il l'était tout particulièrement en Europe. Il est peut-être surprenant de constater que si tout l'or de l'Europe de l'époque avait été rassemblé en un seul endroit, il aurait occupé le volume d'un simple cube de 2 m de côté. Cela aurait tout de même pesé 88 tonnes, mais l'or que les conquistadores étaient sur le point de trouver dans le Nouveau Monde allait éclipser cette somme dérisoire et enrichir la Couronne espagnole au-delà de ses rêves les plus fous.
Les conquistadores trouvèrent de l'or pour la première fois sur l'île d'Hispaniola (l'actuelle République dominicaine/Haïti) en 1494. Les tentacules de l'empire s'étendirent ensuite à Porto Rico en 1508, à la Jamaïque en 1509 et à Cuba en 1511, jusque-là, la meilleure source d'or. Au printemps 1513, Juan Ponce de León (1474-1521) fut le premier Européen, selon les documents existants, à débarquer en Floride. Toujours en 1513, Vasco Núñez de Balboa (1475-1519) traversa l'isthme de Panama et devint ainsi le premier Européen à voir l'océan Pacifique. Dans les années 1520, le processus de colonisation espagnole passa à la vitesse supérieure. Diego Velázquez de Cuéllar (1465-1524), gouverneur de Cuba, envoya Hernán Cortés (1485-1547) explorer le Mexique où il rencontra puis conquit les Aztèques à partir de 1521. Puis Pedro de Alvarado (c. 1485-1541) mena la conquête brutale des Mayas au Guatemala en 1524. Vinrent ensuite Francisco Pizarro (vers 1478-1541), qui pilla le Pérou inca à partir de 1532, puis Hernando de Soto (c. 1500-1542), qui commença à explorer l'Amérique du Nord jusqu'au Mississippi en 1539-42. Tous ces hommes recherchaient des richesses de toutes sortes, des émeraudes aux peaux exotiques, mais la matière la plus convoitée de toutes était l'or.
Les Amériques se révélèrent être un excellent endroit pour trouver de l'or. Bien que ce métal n'ait pas été apprécié pour sa rareté ou comme moyen de paiement par les peuples indigènes des Amériques, il était tenu en haute estime pour son éclat, son incorruptibilité, ses associations spirituelles (en particulier concernant le soleil) et sa maniabilité entre les mains des artisans. Pour ces raisons, elle était extraite, échangée et donnée en tribut sur tout le continent. Lorsque les visiteurs de l'Ancien Monde arrivèrent et virent de tels trésors suspendus aux corps des personnes qu'ils rencontraient et observèrent les artefacts scintillants sur les murs de leurs temples, ils furent fous de joie. Cette exaltation déconcerta les autochtones qui, eux, accordaient généralement plus de valeur à d'autres matériaux, comme le jade, la turquoise, les plumes exotiques et les tissus bien tissés.
L'or aztèque
Lorsque Cortés commença la conquête du Mexique en 1519, la recherche de l'or était sa principale motivation et celle de ses compagnons de conquête. La supériorité des armes des conquistadores, leur tactique de guerre agressive et totale, et l'utilisation brillante d'alliés locaux, tout cela conspira pour apporter aux Espagnols victoire après victoire et le contrôle ultime du dernier grand empire de la longue histoire de la Mésoamérique.
Lorsque Cortés avait rencontré le souverain aztèque Motecuhzoma (alias Montezuma, r. de 1502 à 1520) en novembre 1519, les choses avaient bien commencé lorsque le conquistador s'était vu offrir un magnifique collier de crabes en or. Avec la chute de la capitale aztèque Tenochtitlan en août 1521, les temples, les palais, les entrepôts et les maisons privées furent pillés pour leurs objets de valeur. Les peuples indigènes étaient souvent capturés et torturés pour qu'ils révèlent l'emplacement de leurs objets de valeur, en particulier tout ce qui était en or. Les conquistadores étaient insatiables dans leur avidité pour tout ce qui allait du pince-nez en or aux idoles secrètes. Comme le cite une source indigène contemporaine : "Les Espagnols prenaient les choses des gens par la force. Ils cherchaient de l'or ; ils ne se souciaient pas de la pierre verte, des plumes précieuses ou de la turquoise" (cité dans Carballo, 226).
Pour obtenir un flux d'or plus régulier, les tribus soumises furent bientôt obligées de payer un tribut annuel aux Espagnols, souvent sous la forme de petits disques d'or. Naturellement, les Espagnols voulaient aussi savoir d'où venait l'or, et c'est ainsi qu'ils s'emparèrent des mines aztèques de Taxco et de Pachuco. De nouvelles mines d'or et d'argent furent créées à Taxco (1536), Zacatecas (1546), Guanajuato (1550), Pachuco (1552) et San Luis Potosí (1592), et le flux régulier de métaux précieux continua à affluer vers l'Espagne.
L'or des Incas
Au Pérou, le conquistador Francisco Pizarro attaqua l'empire inca en 1532 et captura son souverain, Atahualpa. La civilisation inca considérait l'or comme la sueur de leur dieu du soleil Inti, et il était donc utilisé pour fabriquer toutes sortes d'objets ayant une signification religieuse, notamment des masques et des disques solaires. Le temple du soleil de Coricancha, à Cuzco, était recouvert de plus de 700 feuilles d'or battu d'un demi-mètre de côté, chacune pesant 2 kg (4,4 lbs). Il y avait même un jardin dédié à Inti. Tout ce qui s'y trouvait était fait d'or et d'argent. Il y avait un grand champ de maïs et des modèles grandeur nature de bergers, de lamas, de jaguars, de cochons d'Inde, de singes, d'oiseaux et même de papillons et d'insectes, tous fabriqués en métal précieux.
Les conquistadores ne tardèrent pas à remarquer ces magnifiques ornements des temples incas. On promit au chef sa liberté si une rançon massive était versée, suffisante pour remplir une pièce mesurant environ 6,2 x 4,8 m (20 x 15,5 ft). La rançon d'Atahualpa fut dûment payée, puis fondue dans neuf grandes forges et répartie entre les 217 Espagnols. La partie en or de cette rançon, d'une pureté de 22,5 carats et pesant plus de 6 000 kg, a été évaluée à plus de 1,3 million de pesos d'or, soit plus de 300 millions de dollars aujourd'hui. Un simple soldat recevait la somme énorme de 20 kilos (44 lbs) d'or, tandis qu'un cavalier en recevait 41 kilos (90 lbs) ; Pizarro s'octroya sept fois la somme d'un cavalier, et la Couronne se vit attribuer son cinquième comme promis. En plus de cette somme, Pizarro était obligé, selon les termes de son contrat de conquête et de son statut d'adelantado , de payer à la Couronne un impôt de 10 % sur tout l'or qu'il acquérait au Pérou, un chiffre qui passa à 20 % après les six premières années.
L'ancien empire inca est également devenu une source massive d'argent qui provenait à la fois du pillage et de l'exploitation minière. Les Incas utilisaient depuis longtemps les mines comme moyen de soutirer du travail et le tribut de certaines régions. Les gisements d'or étaient exploités au moyen de puits étroits qui suivaient les veines du métal. Il existait également des mines à ciel ouvert, et l'or était récupéré par le lavage de l'or à la batée dans les rivières. Des mines de métaux précieux furent ouvertes et exploitées par les Espagnols dans toute l'Amérique du Sud. Parmi les principales mines, citons celles de la vallée du Cauca en Colombie (ouvertes en 1540), celles de Potosí (1545) et d'Oruro (1595) en Bolivie, et celles de Castrovirreyna (1555) et de Cerco de Pasco (1630) au Pérou.
L'extraction de l'argent des Amériques prit rapidement de l'ampleur; en 1540, elle représentait plus de 85 % des expéditions de métaux précieux vers l'Espagne. Au cours du 16e siècle et au début du 17e siècle, l'or et l'argent représentaient toujours au moins 80 % de la valeur totale des cargaisons envoyées en Europe. La main-d'œuvre qui extrayait l'or et l'argent était contrainte par le système de licence encomienda qui donnait à son détenteur le droit d'utiliser gratuitement la main-d'œuvre locale en échange d'un degré nominal de sécurité et la possibilité d'être éduqué dans la religion chrétienne. Les maladies et les mauvaises conditions de travail ayant fait payer un lourd tribut aux populations locales, le système de l'encomienda fut finalement remplacé par un système de faible rémunération, le système du repartimiento.
L'or d'El Dorado
Dans la Colombie ancienne, l'or était également vénéré pour son éclat et son association avec le soleil. Sous forme de poudre, l'or était utilisé pour recouvrir le corps du futur roi Muisca (Chibcha) lors d'une somptueuse cérémonie de couronnement, ce qui donna naissance à la légende de l'El Dorado ("Homme doré"). Le monarque une fois recouvert d'or sautait ensuite dans le lac Guatavita dans un acte rituel de purification. Pendant ce temps, les spectateurs jetaient des objets précieux dans le lac en guise d'offrandes pour recevoir la faveur des dieux. Lorsque les conquistadores eurent vent des rumeurs de cette cérémonie dans les années 1530, l'histoire avait été enjolivée et l'Eldorado n'était plus un homme mais une grande cité pavée d'or.
La ville d'or ne fut jamais découverte car elle n'existait pas, mais des tentatives furent faites pour découvrir ce qui se trouvait au fond du lac Guatavita. Dans les années 1580, Antonio de Sepúlveda conçut peut-être le projet le plus ambitieux en découpant une tranche du bord du cratère du lac afin de le drainer et de trouver le trésor qui devait certainement s'être accumulé au fond du lac. Quelques objets en or furent effectivement trouvés, mais avant que le lac ne puisse s'assécher complètement, un glissement de terrain bloqua l'entaille, et le niveau de l'eau recommença à monter. Depuis, une longue série d'aventuriers déçus ont tenté d'extraire de l'or du lac Guatavita, sans succès jusqu'à présent.
Trésors perdus
Comme les conquistadores ne s'intéressaient qu'à l'or et non à sa forme, ils firent fondre sans relâche les artefacts pour en faire des pièces et des lingots plus faciles à transporter vers l'Europe et à partager entre eux. Les statues sacrées, malgré tous les efforts des habitants pour les cacher, étaient débusquées et fondues. Des objets en or tels que des bracelets, des colliers, des boucles d'oreille, de nez, des couteaux de cérémonie, des figurines, des gobelets et des assiettes furent jetés dans les creusets. Bien que quelques pièces choisies aient été envoyées pour la satisfaction du monarque espagnol, il n'y avait pratiquement aucun interêt pour la signification religieuse, culturelle et artistique des innombrables pièces qui ont été perdues. Tout ce qui subsiste du magnifique jardin doré d'Inti à Cuzco, par exemple, est une seule tige de blé en or.
En 1560, les conquistadores avaient ramené plus de 100 tonnes d'or en Espagne, faisant ainsi plus que doubler la quantité de métal précieux présente en Europe. La quantité augmenta dans la seconde moitié du XVIe siècle grâce à l'exploitation minière et à de nouvelles sources dans ce qui devint la vice-royauté de Grenade (la Colombie, l'Équateur et le Venezuela modernes), les navires livrant environ 4 tonnes d'or par an à Séville.
La quête de l'or avait son prix, non seulement sur les cultures locales mais aussi sur les conquistadores eux-mêmes. De nombreuses expéditions à la recherche du métal étincelant furent des échecs cuisants, comme l'expédition de 1523-4 au Honduras dirigée par Cristóbal de Olid (né en 1492). Diego de Almagro (c. 1475-1538) mena une grande et coûteuse expédition au Chili en 1535 mais ne trouva pas d'or. La plus infâme de toutes était l'expédition menée par Francisco Vásquez de Coronado (c. 1510-1554) en 1540 pour explorer l'Amérique du Nord à la recherche de Cibola, un groupe légendaire de villes dont la rumeur disait qu'elles étaient pavées d'or. Coronado ne trouva rien de tel. Même ceux qui trouvaient de l'or étaient souvent malmenés par les autres conquistadores. Cortés fut sans cesse impliqué dans des litiges juridiques sur la façon dont il avait partagé son butin d'or et s'il avait donné à la Couronne sa juste part.
Même les Espagnols en Europe souffrirent de cet afflux massif d'or et d'argent car il provoqua une hyperinflation, un concept qui n'était pas bien compris. Les prix des produits de base augmentèrent de 400 % au cours du 16e siècle, et les exportations espagnoles en souffrirent lorsque les salaires augmentèrent en conséquence. En outre, la Couronne dilapida ses métaux précieux, généralement pour obtenir des prêts auprès des banquiers bien avant que les flottes annuelles du trésor espagnol ne soient arrivées en Europe. Et puis il y avait la menace des pirates et des corsaires qui voulaient intercepter les galions espagnols lorsqu'ils traversaient l'Atlantique. En 1579, par exemple, Francis Drake captura le Nuestra Señora de la Concepción au large des côtes du Pérou, alors qu'il transportait un trésor comprenant 26 tonnes de lingots d'argent et 36 kg (80 lbs) d'or. Les tempêtes représentaient une menace encore plus grande et étaient à l'origine de nombreux naufrages, comme celui du Nuestra Señora de Atocha, qui transportait une cargaison d'une valeur de 400 millions de dollars lorsqu'il fut coulé par une tempête en 1622 au large des Keys de Floride.
Même la grande richesse des "Indes" ne pouvait pas couvrir les coûts énormes de l'entretien des armées pour sauvegarder et étendre l'empire espagnol en Ibérie, dans les Pays-Bas, en France, en Allemagne, en Italie, en Afrique du Nord et en haute mer. Il est peut-être juste que l'âge d'or espagnol ait été à la fois aussi remarquable et éphémère que les jeunes empires des Amériques détruits dans cette quête incessante de l'or.