La Compagnie anglaise des Indes orientales (EIC) fut fondée en 1600 et finit par contrôler à la fois le commerce et les territoires en Inde, ainsi qu'un monopole commercial avec la Chine. Les marchandises commercialisées par l'EIC comprenaient des épices, des tissus en coton, du thé et de l'opium, le tout en quantités si importantes que ses investisseurs s'enrichirent énormément, qu'elle provoqua des guerres avec ses concurrents et modifia les pratiques culturelles dans le monde entier.
Le commerce triangulaire
La Compagnie britannique des Indes orientales fut fondée pour devenir le représentant commercial de la Couronne britannique partout à l'est du Cap de Bonne Espérance. La Compagnie néerlandaise des Indes orientales (VOC) ayant le monopole du commerce des épices en Indonésie, l'EIC se concentra plutôt sur l'Inde, puis sur la Chine. Au début du XVIIe siècle, la compagnie établit un centre de commerce ou "comptoir" à Surat, en accord avec l'empereur moghol. D'autres centres suivirent au fil du siècle : Masulipatam (Machilipatnam) et Madras (1640), Hugli (1658), Calcutta (Kolkata, 1690) et Bombay (Mumbai, 1668).
Le réseau de centres permit à l'EIC de s'impliquer dans ce que l'on a appelé le "commerce triangulaire". Il s'agissait d'échanger des métaux précieux (or ou argent) contre des produits fabriqués en Inde (notamment des textiles), puis de les revendre aux Indes orientales en échange d'épices. Les épices (en particulier le poivre qui était cultivé à la fois en Indonésie et en Inde) étaient ensuite expédiées à Londres, où elles atteignaient des prix suffisamment élevés pour rentabiliser l'investissement initial dans les métaux. L'EIC étendit ensuite ses intérêts à la Chine, où l'exportation d'opium indien était très demandée (bien qu'interdite par les autorités chinoises). L'opium était échangé contre du thé qui était envoyé à la Grande-Bretagne et à ses colonies d'Amérique du Nord, mais de nombreuses autres marchandises étaient transportées dans le monde entier à bord des navires de l'EIC, les East Indiamen.
L'EIC bénéficia d'un monopole commercial avec l'Inde jusqu'en 1813 et avec la Chine jusqu'en 1833. La période faste de l'EIC dura jusqu'en 1858, date à laquelle la Couronne britannique prit pleine possession de ses territoires en Inde et institua ainsi ce que l'on appelle communément le Raj (règne) britannique.
Les principales marchandises commercialisées par l'EIC étaient les suivantes :
- les textiles de coton indiens
- le thé chinois
- l'opium indien
- les épices (par exemple, le poivre, les clous de girofle, la noix de muscade, la cannelle et le macis)
- l'or
- l'argent
- les métaux non précieux (par exemple, l'étain, le cuivre, le plomb et le fer)
- la soie perse et chinoise
- l'indigo
- le café
- le sel
- le salpêtre (pour la poudre à canon)
- la porcelaine chinoise
- la laine anglaise
- les textiles en coton britannique
- les tapis
- le sucre
- les esclaves
Épices, indigo et coton
La compagnie faisait le commerce des épices quand elle pouvait les obtenir, mais le monopole néerlandais de ce commerce et l'origine indonésienne des épices faisaient que les opportunités étaient limitées jusqu'à ce que les plantations ne s'étendent au sous-continent indien. Le poivre cultivé en Inde fut la première source d'argent importante pour l'EIC. Environ 90 000 livres (40 000 kg) de poivre étaient exportées chaque année à la fin du XVIIe siècle.
L'indigo était un autre produit commercial lucratif. Acquis auprès de plantations et de teinturiers établis de longue date dans des endroits comme Sarkhej et Bayana, dans le nord de l'Inde, cette teinture nécessitait un traitement long et exigeant en main-d'œuvre. La teinture finie était expédiée en Angleterre sous la forme de rondelles séchées pressées dans des barils où elle était utilisée pour colorer les textiles.
Au XVIIIe siècle, l'entreprise s'orienta vers les textiles finis, en utilisant à nouveau des centres de fabrication établis et en reprenant et en développant leur production. Parfois, des artisans étaient amenés d'Angleterre pour moderniser la production. Les textiles représentaient environ 70 % des exportations totales de l'EIC en 1850. La plupart des textiles étaient du calicot, un type de tissu de coton bon marché qui se déclinait en de nombreuses variétés. Au début, les classes inférieures portaient le calicot, en particulier le chintz (tissu de coton imprimé), mais ces vêtements légers et faciles à laver conquirent très vite tout le monde. Un autre type de tissu de coton, la mousseline du Bengale, était particulièrement populaire. Au cours du XVIIe siècle, le nombre de pièces de coton échangées par l'EIC passa d'environ 5 000 en 1613 à 1,4 million en 1694. Au XVIIIe siècle, le tissu de coton était utilisé non seulement pour les vêtements, mais aussi pour les draps, les rideaux et les couvertures de lit. Un autre grand marché pour les textiles indiens était l'Afrique de l'Ouest, où ils étaient échangés contre des esclaves, qui étaient expédiés dans les plantations britanniques des Antilles. Une autre voie de trafic humain était celle des travailleurs sous contrat et des condamnés de l'Inde qui étaient expédiés vers les territoires de l'EIC en Malaisie, notamment à Singapour.
Le thé
Les exportations de thé de la Compagnie augmentèrent régulièrement, passant de 0,03 % du total des marchandises échangées en 1670 à 1,13 % en 1700 et à 10,22 % en 1740. Les marchandises en provenance d'Inde dominaient au 18ème siècle, mais les marchandises chinoises commencèrent à se développer et atteignirent plus de 12% du commerce total de la compagnie au milieu du 18ème siècle. Dans les années 1830, l'EIC importait en Grande-Bretagne 30 millions de livres (13,6 millions de kilos) de thé par an. Le grand problème de l'EIC, comme pour toute marchandise très populaire, était de trouver le moyen d'en acheter davantage. Le thé n'était disponible qu'en Chine (les premières plantations de thé indiennes ne furent établies à Assam qu'en 1840). Les Chinois n'étaient pas intéressés par les produits européens (à l'exception de petites quantités de corail, d'ivoire et de mercure, ou de produits manufacturés complexes comme les horloges) et n'acceptaient que les lingots d'argent pour les achats en gros. La solution consista à faire correspondre deux énormes marchés et à payer le thé chinois avec de l'opium indien.
Opium
Malheureusement pour l'EIC, les autorités chinoises de Canton (Guangzhou), la principale présence de la compagnie en Chine, interdirent l'importation d'opium en décembre 1799. La raison en était les terribles effets physiques sur les consommateurs d'opium qui devenaient rapidement des toxicomanes, puis des voleurs pour financer leurs besoins. L'EIC ne se souciait guère des victimes ni des autorités et faisait donc entrer clandestinement en Chine de grandes quantités d'opium de première qualité en provenance de Patna et Bénarès, dans le nord de l'Inde (et plus tard aussi de Malva, dans l'ouest de l'Inde). Les chiffres augmentèrent de façon impressionnante, passant de 4 000 coffres d'opium en 1800 à plus de 40 000 par an en 1839. L'opium était une affaire importante et les chiffres des exportations ne cessèrent de grimper. L'EIC ne faisait pas directement entrer l'opium en Chine, mais délivrait des licences aux marchands pour qu'ils l'expédient à Canton où ils étaient payés en argent pour leur cargaison illicite. Les quantités d'argent requises pour ces transactions étaient une grande source d'inquiétude en Grande-Bretagne. Beaucoup pensaient que l'EIC saignait la nation à blanc en argent pour ensuite remplir ses veines de thé, un échange qui, en termes économiques, ne profitait à personne, sauf aux actionnaires monopolistiques de l'EIC. La poursuite de ce sombre commerce par l'EIC finit par conduire à une guerre entre la Grande-Bretagne et la Chine, la première guerre de l'opium de 1839.
Conséquences : Guerres, moulins et tasses de thé
La conséquence immédiate de tout ce commerce fut d'énormes profits pour les actionnaires de l'EIC. Les petits et grands investisseurs, britanniques et étrangers, en vinrent à considérer l'EIC comme un endroit sûr pour placer leur argent, un fait confirmé par le grand nombre de veuves qui placèrent leurs économies dans la société afin de recevoir un revenu régulier de leurs actions. Le commerce mené par l'EIC, en particulier l'argent qu'elle transférait d'Europe en Asie, aida les dirigeants de l'Empire moghol et des États princiers indiens à maintenir leur domination. L'EIC est également à l'origine de l'essor de ports commerciaux tels que Mumbai, Singapour et Canton, qui sont encore aujourd'hui des centres clés du commerce mondial. Les opportunités offertes aux artisans et aux travailleurs par le commerce de l'EIC entraînèrent une migration massive de populations vers la côte depuis les régions intérieures qui restaient peu touchées par le commerce qui traversait les océans du monde.
Une deuxième conséquence de ce commerce est que l'EIC devint suffisamment riche pour payer ses propres armées. Les armées de la Compagnie des Indes orientales en vinrent à employer bien plus de 200 000 combattants, ce qui en faisait la plus grande armée d'Asie du Sud et du Sud-Est. Ces forces permirent à la compagnie d'étendre non seulement son réseau commercial mais aussi les territoires qu'elle contrôlait à partir du milieu du 18e siècle. Grâce à des conquêtes militaires, des traités et des subterfuges, l'EIC devint rapidement un État à part entière. Les coffres de la compagnie se remplirent grâce à un soigneux contrôle du commerce grâce à ses monopoles, mais ils s'enrichirent davantage encore par l'extraction de rentes foncières, ce qui permit au cycle d'expansion de se poursuivre toujours plus loin. Les États princiers indiens étaient désormais engloutis et de nouveaux territoires furent gagnés lors d'épisodes tels que la victoire de Robert Clive en juin 1757 à la bataille de Plassey contre les forces du Nawab du Bengale. Les quatre guerres de Mysore (1767-99) et les deux guerres anglo-sikhs (1845-49) permirent de gagner encore plus de territoires. La nécessité pour la compagnie de défendre ses intérêts incluait la protection des Indes orientales et des ports contre les Européens rivaux, à savoir, entre autres, la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, fondée en 1602, et la Compagnie française des Indes orientales, fondée en 1664. Avec une telle concurrence, il n'est pas surprenant que l'EIC ait dépensé la moitié de ses revenus en personnel et matériel militaires à la fin du 18e siècle.
Une troisième conséquence était l'impact sur les industries traditionnelles. L'EIC importa tellement de coton indien et de soie chinoise en Grande-Bretagne que l'industrie séculaire de la laine commença à souffrir de la concurrence. Les gens de toutes les classes commencèrent à porter davantage de coton. Hélas, personne ne voulait de laine en Inde, et l'industrie lainière britannique connut donc un tel déclin que des lois furent adoptées pour la protéger, comme l'interdiction d'enterrer les cadavres avec autre chose que des vêtements en laine par exemple. L'augmentation des droits d'importation et l'interdiction totale de tout tissu fini ne furent que des mesures partiellement efficaces. La mode du coton était là pour rester, et pour répondre à la demande, les entrepreneurs britanniques créèrent leurs propres usines pour fabriquer des vêtements en coton qui furent finalement exportés en Inde, ce qui endommagea gravement l'industrie textile de ce pays. Les paysages furent également touchés en Inde, pas seulement le bien-être. Les plantations de thé, de café et d'opium provoquèrent une déforestation importante dans des régions qui ne se sont jamais rétablies par la suite.
Une autre conséquence du succès commercial de l'EIC fut un changement des pratiques culturelles tant en Angleterre qu'en Inde. En Inde, la compagnie ne tenta guère d'encourager la christianisation de la population (comme l'avaient fait les Espagnols et les Portugais dans leurs colonies), mais il y eut parfois des démarches pour mettre fin à certaines pratiques culturelles. Lord William Bentinck (1774-1839), gouverneur général de l'EIC à partir de 1828, décida de manière controversée d'abolir le sati, la coutume pour une veuve hindoue de se sacrifier sur le bûcher funéraire de son défunt mari. En Angleterre, pendant ce temps, les importations massives de thé rendirent cette boisson moins chère que la bière, et elle se répandit donc rapidement. Le sucre, facilement disponible dans les grandes plantations d'esclaves des Amériques, s'associa au thé pour en faire une boisson extrêmement populaire. Les classes inférieures l'appréciaient parce qu'il était bon marché, légèrement stimulant et pouvait être facilement infusé sur le lieu de travail. Les riches aimaient le thé parce qu'il était devenu un centre et un prétexte de conversation où l'on pouvait montrer sa porcelaine fine en le préparant et en le buvant. Même les colonies britanniques adoptèrent cette habitude. En 1773, les manifestants de la Boston Tea Party, en Amérique du Nord, furent scandalisés par le fait que le thé devait être taxé alors que les taxes douanières sur le thé avaient été supprimées, et ils jetèrent donc des coffres à thé de l'EIC dans le port.
La porcelaine chinoise et d'autres produits, allant des meubles aux écrans de soie, furent importés en si grandes quantités qu'au XIXe siècle, la Grande-Bretagne fut prise d'un véritable engouement pour tout ce qui était chinois, ce qui conduisit au développement d'un style distinctif dans l'art, le mobilier et l'architecture. Enfin, un autre type d'"importation" lié aux activités de l'EIC est le vocabulaire qui enrichit la langue anglaise. Des termes tels que "loot" (argot hindoustani désignant le pillage ou le butin de guerre), "cash" (du mot tamoul désignant l'argent) et "thug" (du mot hindi et marathi désignant un tricheur et utilisé pour les gangs qui volaient les voyageurs) sont tous devenus des termes courants et le sont encore aujourd'hui.