Le HMS Gloucester fit naufrage en mer du Nord, à environ 30 miles des côtes du Norfolk, en Angleterre, peu après l'aube du 6 mai 1682. C'était un navire de guerre de la marine de Charles II d'Angleterre (r. de 1660 à 1685), et au moment de sa disparition, il était le navire amiral d'une petite flotte de dix navires en route vers l'Écosse pour aller chercher Marie de Modène, l'épouse enceinte de Jacques, duc d'York, le frère de Charles et le futur Jacques II d'Angleterre (r. de 1685 à 1688).
Jacques rappelé d'exil
Jacques et son épouse avaient vécu en quasi exil pendant près de trois ans parce qu'ils étaient catholiques et qu'un sentiment anti-catholique vitriolique s'était répandu dans la nation à la fin des années 1670. Mais Charles, conscient de sa propre santé défaillante et de son absence d'enfant légitime, était de plus en plus soucieux de réhabiliter Jacques, en tant qu'héritier, au centre du gouvernement.
Jacques, quant à lui, maintenant qu'il était autorisé à rentrer à Londres, était impatient de faire un grand spectacle de son retour sur le devant de la scène. Ainsi, au lieu d'un voyage discret à bord d'un seul yacht royal, ce qui aurait été son style de transport habituel, il décida de voyager à bord d'un navire de guerre de troisième classe, accompagné de cinq autres navires de guerre et de quatre yachts royaux. Les navires de troisième classe étaient les préférés pour les longs voyages, plus rapides et plus agiles que leurs consorts plus grands, et plus confortables et plus spacieux que les plus petits. Le désastre qui s'ensuivit, et qui se solda par la perte de plus de 150 vies, provoqua une grande fureur à l'époque, et a fait l'objet de nombreuses conjectures et controverses depuis.
Lors de son dernier voyage, le Gloucester transportait non seulement Jacques, mais aussi une large coterie de ses plus fidèles amis et partisans, des aristocrates comme le comte de Roxburgh, des marchands comme Sir James Dick, qui était Lord Provost d'Edimbourg, le marchand d'esclaves William Freeman, le célèbre scientifique et médecin Sir Charles Scarborough, et des militaires comme John Churchill, qui allait devenir le duc de Marlborough. Outre ces notables, un grand nombre de membres de la famille royale de Jacques étaient à bord, ainsi qu'une sélection de musiciens royaux triés sur le volet pour le divertissement en cours de route, et ses propres chasseurs pour son divertissement à l'arrivée. En plus de tous ces passagers, il y avait près de 200 marins sur le navire.
Mais ce qui rendit cette catastrophe unique, c'est que tout le drame fut observé de près par le grand diariste Samuel Pepys. Pepys suivit le déroulement des événements depuis la dunette d'un yacht qui avait réussi à jeter l'ancre à proximité. L'horreur de la situation fit une grande impression sur lui et il revint dessus à plusieurs reprises, tant dans ses lettres que dans ses minutes navales.
Départ
Tôt le matin du 4 mai, les yachts royaux Mary, Charlotte, Katherine et Kitchin, ainsi que le petit Lark de sixième classe, quittèrent l'estuaire de la Tamise, où ils furent rejoints par les grands navires de guerre Gloucester, Happy Return, Pearl, Ruby et Dartmouth, venus de Portsmouth. Jacques, son entourage et les bagages royaux furent alors transférés du yacht Mary au Gloucester. Il s'ensuivit les habituels tirs de canons pour marquer l'importance de l'événement et la flotte fit route vers Édimbourg vers 11 heures, le vent soufflant du sud.
Dès le début, le voyage fut vraiment chaotique. À 20 heures, ils n'avaient réussi à parcourir qu'environ 25 milles, et comme le temps était sombre et humide, la décision fut prise de s'amarrer pour la nuit. Le Gloucester tira un coup de canon dans le but de signaler que la flotte devait s'arrêter et jeter l'ancre. Trois des dix navires interprétèrent ce signal comme un ordre de virer immédiatement au large. En conséquence, ils s'éloignèrent de la flotte principale et ne la rejoignirent jamais. L'un d'entre eux, le Ruby du capitaine Allin, fonça dans l'obscurité sur les Galloper, de dangereux bancs de sables, mais heureusement, le navire s'en sortit sans dommages sérieux.
Le Gloucester et les six navires qui étaient encore présents ne levèrent pas l'ancre avant 8 heures le lendemain matin, alors qu'il faisait jour depuis au moins quatre heures. On a beaucoup spéculé sur les raisons d'un départ aussi tardif. L'explication la plus évidente est qu'il y avait eu tellement de fêtes la veille qu'il y avait un grand nombre de gueules de bois.
À 20 h ce soir-là, peu après le crépuscule, le capitaine Gunman, responsable du yacht Mary qui naviguait à l'avant, se précipita sous la poupe du Gloucester. Gunman hurla que la flotte se dirigeait beaucoup trop près des bancs de sable au large de Yarmouth et que "le pilote était fou s'il ne virait pas vers le large". C'était la deuxième intervention de ce type que Gunman faisait le soir même. Il raconterait plus tard à sa femme, dans une lettre, qu'il était tellement en colère qu'il en trépigna et jeta son chapeau par terre. Une énorme dispute éclata. Finalement, le pilote à bord du Gloucester, appelé capitaine Ayres, qui était l'homme censé être responsable de la trajectoire qu'ils suivaient tous, fut suspendu. C'est Jacques en personne qui prit la décision fatale, et la flotte vira de bord plus loin en mer. Assez curieusement, le capitaine du Gloucester, Sir John Berry, n'avait pas donné son avis.
Des sables dangereux
Alors que la nuit tombait à la fin de cette deuxième journée de navigation, le Gloucester ne s'amarra pas. Le temps était houleux, mais les vents soufflaient dans une direction favorable. La flotte réduite à sept navires continua à naviguer à une vitesse d'environ 6 nœuds dans l'obscurité. Il s'agissait d'une vitesse très rapide pour de grands voiliers voguant de nuit, ce qui contrastait fortement avec le manque d'activité de la nuit précédente. Mais aucun des divers journaux, lettres, carnets de bord ou journaux intimes ne fournit d'explication à cette urgence soudaine.
À 4 heures du matin le lendemain, alors que le jour commençait à se lever, le pilote, le capitaine Ayres, quitta son poste. Le yacht Mary du capitaine Gunman naviguait toujours devant. Gunman quitta également son poste à 4 heures du matin. Les deux navires pensaient qu'ils avaient déjà dépassé tous les sables dangereux, y compris les fameux Leman et Ower. À 5 h, le Mary entra soudainement en eau peu profonde. Ils virèrent immédiatement à bâbord et agitèrent un drapeau depuis la dunette pour avertir le Gloucester. Mais il était trop tard. En quelques minutes, le Gloucester, qui suivait à environ un demi-mille derrière, s'écrasa de plein fouet sur un banc de sable.
Sauvetage de Jacques
Jacques fut l'un des premiers à monter sur le pont après le choc, et pendant les premières minutes, il avait l'espoir que le navire pourrait être sauvé. Sir George Legge, en revanche, l'un des plus fidèles partisans de Jacques, et son perpétuel homme à tout faire, était impatient de faire débarquer Jacques le plus rapidement possible. Après tout, Jacques est l'héritier du trône. La première priorité devait être de lui sauver la vie. Ce n'est qu'une fois Jacques en sécurité que l'on pourrait s'occuper de faire monter les autres passagers et l'équipage dans les canots de sauvetage. Legge raconta plus tard à son fils que même lorsque Jacques avait finalement accepté d'être évacué, il avait passé beaucoup trop de temps à essayer de sauver son coffre-fort :
Mon père, avec une certaine cordialité, lui demanda s'il y avait quelque chose dedans qui valait la vie d'un homme. Le duc répondit qu'il y avait des choses d'une si grande importance, tant pour le roi que pour lui-même, qu'il préférait risquer sa propre vie plutôt que de la perdre. (La correspondance d'Henry Hyde)
En fait, le coffre-fort dut être abandonné et coula avec le navire. Jacques fut ramené dans une petite chaloupe jusqu'au yacht Mary qui était amarré à environ un demi-mille. Quelques-uns de ses plus proches fidèles l'accompagnaient, dont John Churchill. Un grand nombre de personnes, qui se débattaient déjà dans l'eau, tentèrent de monter à bord. Afin d'éviter que le bateau royal ne soit submergé et que tout le monde ne se noie, l'ordre fut donné de couper les mains de ceux qui tentaient de monter à bord. Ce n'est pas seulement le bateau de sauvetage de Jacques qui afut préservé d'être submergé de cette manière brutale. Sir James Dick était dans un autre bateau, mais il décrit dans une lettre privée la même lutte désespérée pour la survie.
La majorité de ceux qui se noyèrent étaient des marins ordinaires, mais il y eut des pertes importantes, des hommes comme le sous-lieutenant du Gloucester, James Hyde, fils du comte de Clarendon, et Sir Joseph Douglas de Pompherton, et John Hope le laird de Hopton. La personne la plus distinguée à se noyer fut le comte de Roxburgh. Sa jeune épouse ne pardonna jamais à Jacques l'abandon de son mari qu'elle considérait comme une trahison, et pendant les 71 années qui suivirent, elle resta une veuve aigrie et inconsolable.
Suites de l'affaire
La critique des actions de Jacques ne se limitèrent pas à son souci pour son coffre-fort. L'évêque Burnet, un historien contemporain qui, pour des raisons évidentes, ne publia son récit qu'après que Jacques eut perdu le trône, l'accusa de n'avoir sauvé que ses prêtres et ses chiens de compagnie et d'être parti dans un navire qui aurait pu contenir 80 personnes de plus. Une étude attentive de ce qui s'était réellement passé prouve que l'évêque s'était trompé sur ces trois points. Mais sa diffamation resta et fut souvent répétée.
Dès le retour de Jacques à Londres, toute la machine de relations publiques des Stuart se mit en branle. Des tableaux furent commandés, décrivant le salut de Jacques comme un acte de la providence divine. Des médailles furent frappées pour célébrer sa fermeté au moment de la crise. Plus important encore, parce qu'ils toucheraient le public le plus large, des poèmes et des panégyriques furent écrits en grand nombre. L'un d'eux, écrit par Nathaniel Wanley, donne une bonne idée du contenu ordinaire. Il écrit que dès que les marins "ont perçu ... que le duc était hors de danger, ils ont tous jeté leurs casquettes et ont fait de grandes acclamations et des hourras de joie ... et dans ce ravissement, ils ont coulé au fond de la mer"(The Life of Lord Sothward, Bishop of Salisbury). Une rumeur voulait même que le naufrage du Gloucester ait fait partie d'un complot républicain visant à assassiner Jacques. Le plan présumé était que le pilote du navire, Ayres, avait été chargé de faire délibérément échouer le Gloucester sur un banc de sable.
L'un des éléments les plus avisés de la gestion politique de Jacques, qui contribua à transformer le désastre du Gloucester en une histoire de réussite personnelle, est qu'il ordonna le versement d'une prime spéciale aux veuves des marins qui avaient perdu la vie. Habituellement, les primes n'étaient pas versées aux parents à charge des marins naufragés, mais seulement à ceux qui étaient morts au combat. Mais dans ce cas, Jacques ordonna qu'une exception soit faite. Il voulait être perçu comme faisant preuve de générosité.
C'est grâce aux registres des paiements de primes qu'il est possible d'apprendre beaucoup de détails sur les marins ordinaires qui étaient à bord et qui avaient perdu la vie. Il s'agissait d'hommes comme Thomas Smith, le nettoyeur de pont, qui venait d'être libéré de la prison pour dettes. Sa pauvre épouse aveugle, Joan, se rendit à Londres pour réclamer son argent, mais ses papiers n'étaient pas en règle et elle commit l'erreur de demander à un ami d'essayer de falsifier les documents nécessaires.
La campagne pro-Jacques fonctionna à merveille. Il monta sur le trône trois ans plus tard avec très peu d'opposition. Mais trois ans après, il avait déjà dilapidé cette bonne volonté et, en 1688, il fut contraint de fuir le pays de la manière la plus ignominieuse qui soit. Après 1688, une version totalement différente du naufrage du Gloucester s'imposa, elle dépeignait les actions de Jacques sous un jour beaucoup plus défavorable.
Recherches modernes
Il est quelque peu étrange, au vu de toute la controverse qui a fait rage au fil des siècles, que très peu d'attention ait été accordée à ce qui était très probablement la principale cause du désastre, à savoir l'état déplorable de la cartographie de l'époque. Les instructions nautiques standard qui étaient utilisées alors étaient le Pilote anglais de John Seller. Différentes éditions indiquent les bancs de sable du Leman et de l'Ower, où le Gloucester avait fait naufrage, à des distances très variables du continent, toutes très imprécises d'une distance d'environ 14 miles. Aucune tentative n'avait jamais été faite pour déterminer avec précision la position des bancs de sable. Il n'est donc guère surprenant que le malheureux pilote, qui finit en cour martiale et fut condamné à la prison de Marshalsea à vie, ait cru que le Gloucester avait passé tous les dangers.
L'un des autres grands mystères de l'épave du Gloucester , qui n'a reçu que très peu d'attention jusqu'à présent, est la raison pour laquelle Samuel Pepys avait refusé de monter à bord du navire, alors que Jacques lui-même le lui avait demandé plus d'une fois. Ce désastre ne peut être correctement compris sans que l'on prête la plus grande attention à son comportement déroutant avant, pendant et après le naufrage.
L'épave a été localisée en 2007. Elle est d'une immense importance historique et archéologique en raison de l'extraordinaire diversité des personnes qui se trouvaient à bord au moment du naufrage, dont la plupart ont perdu tous leurs biens personnels, et beaucoup d'entre elles aussi leur vie. Un grand nombre d'objets étonnants ont déjà été récupérés, notamment une bouteille de vin portant les armoiries de la famille Washington, précurseur du drapeau américain. Cette bouteille a probablement appartenu à Sir George Legge, qui était marié à une Washington. Le champ de débris va maintenant être entièrement fouillé par des archéologues sous-marins et une exposition provisoire des objets récupérés sera ouverte au public au Norwich Castle Museum, en Angleterre, à partir de février 2023.
Nigel Pickford est un historien maritime qui a effectué des recherches sur les épaves historiques au cours des 40 dernières années. Il a effectué les analyses d'archives et de navigation qui ont conduit à la découverte du Gloucester. Il a écrit de nombreux livres sur les naufrages et est publié par Dorling Kindersly et National Geographic. Samuel Pepys and the Strange Wrecking of the Gloucester", Pegasus Publishing, est son dernier ouvrage.