En 88 av. J.-C., Lucius Cornelius Sylla (138-78 av. J.-C.) marcha sur Rome et franchit l'enceinte sacrée de la cité, le pomerium, muni d'armes. En brisant ce tabou, il cherchait à gagner en pouvoir politique et à prendre le contrôle de l'armée d'Orient qui avait été offerte à son ennemi, Caius Marius (vers 157-86 av. J.-C.). Une seconde marche eut lieu en 83-82 av. J.-C. quand il endossa le titre de dictateur.
Début de carrière et service sous Marius
Lucius Cornelius Sylla vit le jour au sein d'une famille noble patricienne en 138 av. J.-C. Marié trois fois, il fut décrit comme charmant ainsi que doté d'une beauté frappante et d'un esprit particulièrement vif. Malheureusement, à la mort de son père, il se retrouva sans un sous. Dans son livre Rubicon, l'historien Tom Holland écrit que Sylla "sombra peu à peu dans un monde de logements sordides et de fréquentations douteuses" (61). D'après l'historien Mike Duncan dans son ouvrage The Storm Before the Storm, Sylla parlait couramment grec et était "particulièrement érudit en art, littérature et histoire" (116). À l'âge de 30 ans, son avenir prit une tournure prometteuse lorsque sa belle-mère trouva la mort, laissant derrière elle un héritage lui permettant d'entamer une carrière aristocratique tant désirée. La plupart des historiens s'accordent à dire que Sylla courut après le prestige avant de l'obtenir.
En 107 av. J.-C., sous les ordres du consul Caius Marius (vers 157-86 av. J.-C.), Sylla voyagea jusqu'en Libye où il se démarqua lors de la guerre de Jugurtha. En faisant preuve de diplomatie, mais aussi grâce à la trahison du roi Bocchus Ier de Maurétanie, il obtint la capitulation de Jugurtha (r. de 118 à 105 av. J.-C.), roi de Numédie. Il mit ainsi fin à sept année de guerre. Le roi vaincu fut livré à Marius, enchaîné. Selon l'historien Plutarque (45/50 à 120/125 ap. J.-C.), la capitulation de Jugurtha par Sylla créa un sentiment de "dépit" chez Marius, mais pas chez Sylla. Le commandant victorieux était "naturellement vain" et possédait une soif pour les honneurs qui le poussa "jusqu’à cet excès de vanité" (501).
En 104-103 av. J.-C., il servit à nouveau sous Marius en Germanie. Plutarque écrit que Sylla, s'apercevant que "Marius était fâché contre lui, et qu’il ne lui donnait qu’à regret des occasions de se signaler, et nuisait même à son avancement, il s’attacha à Catulus, collègue de Marius" (502). À cette époque, Sylla avait fini par mépriser Marius, sentiment partagé par ce dernier. Quintus Lutatius Catulus, un général louable mais manquant de dynamisme, lui confia des responsabilités de haute importance et rapidement "il acquit autant de puissance que de renommée" (502).
En 98 av. J.-C., pensant que ses exploits militaires lui donneraient droit à une carrière au sein du gouvernement romain, il tenta de devenir préteur mais échoua. Plutarque relate l'évènement ainsi :
... estimant que la gloire qu’il avait acquise par les armes lui suffisait pour arriver aux dignités civiles, [il] passa des emplois de l’armée aux brigues populaires, et se mit sur les rangs pour la préture urbaine ; mais il fut refusé. (502)
D'un point de vue politique, Sylla était conservateur (un optimas) et avait pour objectif de rétablir l'autorité traditionnelle du Sénat. En 97 av. J.-C., il devint préteur urbain et on lui attribua la Cilicie en Asie Mineure, où il demeura jusqu'en 92 av. JC.
La guerre sociale
De retour à Rome après avoir quitté la Cilicie, Sylla s'aperçut rapidement que la célébrité s'accompagnait de nouvelles opportunités : celles de réaliser de plus amples exploits et d'atteindre une renommée encore plus grande. En 89 av. J.-C., Sylla fit un nouveau pas de géant vers son objectif principal, celui de devenir consul. Lors de la guerre sociale (ou guerre des alliés) de 91-87 av. J.-C., il rejoignit les forces romaines face aux rebelles (alae, ou alliés) et se démarqua rapidement au siège de Pompéi. De plus, il força la capitulation des rebelles en Campanie.
L'année suivante, à l'âge de 50 ans et en récompense pour ses succès lors de la guerre sociale, il fut nommé consul aux côtés de Quintus Pompeius Rufus. Par ailleurs, on lui confia le commandement de l'armée d'Orient ; commandement qui allait bientôt se transformer en guerre contre le roi du Pont, Mithridate VI Eupator (120-63 av. J.-C.). Celui-ci avait tiré parti de la distraction causée par la guerre sociale au sein de la République romaine, et profité de la haine ressenti par de nombreux États d'Orient envers Rome. La guerre en Orient avait déjà coûté la vie à de nombreux citoyens romains et italiens. Le consulat de Sylla et son contrôle de l'armée d'Orient alimenta encore plus l'animosité entre lui et Marius. Désormais retraité, ce dernier avait longtemps désiré une guerre contre le roi du Pont pour les richesses et le respect que celle-ci lui aurait apportés. Cette victoire sur Mithridate fut synonyme de triomphe pour Sylla et d'humiliation pour Marius.
Soulèvement de Sulpicius
Dans la sphère politique, l'opposant à Sylla était le tribun (et membre des populares) Sulpicius Rufus. D'après Plutarque, il "portait à un tel excès la cruauté, l’audace et l’avidité, qu’il commettait de sang-froid les actions les plus criminelles et les plus infâmes" (505). Le tribun avait des intentions cachées. Prenant conscience qu'il aurait accès au pouvoir grâce aux Italiens, il proposa des lois qui permettraient aux alliés d'obtenir la citoyenneté romaine et les droits qui l'accompagnaient; une mesure à laquelle Sylla et Rome était fortement opposés. Cependant, Sulpicius Rufus avait besoin de soutien pour faire passer ses mesures à l'assemblé. Cette aide vint de Marius, déterminé bien qu'âgé, qui avait lui-même ses motivations personnelles : s'opposer à Sylla et obtenir le commandement de l'armée en Orient. Ce que Sulpicius lui promit, à condition qu'il atteigne ses propres objectifs.
Ces propositions menèrent à des affrontements dans la rue. Des émeutes éclatèrent à travers toute la cité, au cœur desquelles se trouvaient le cruel et audacieux Sulpicius ainsi que ses partisans opposés au Sénat. Sylla et son armée étaient alors stationnés à Nola, une cité soutenant les alliés et qui continuait à résister aux Romains. De retour à Rome, Sylla et son collègue consul Pompeius Rufus intervinrent immédiatement en annonçant des jours fériés (feriae) pendant lesquels toutes les tavernes furent fermées. Ce décret ne fit cependant que renforcer le mécontentement général. La foule armée devint agressive et Sylla, craignant pour sa vie, se réfugia dans l'endroit le plus sûr et le plus proche qu'il trouva : la maison de Marius sur le mont Palatin. Malheureusement, le fils de Pompeius Rufus, qui défendit son père avec vigueur, fut l'une des victimes des assaillants.
Une fois les émeutes enfin apaisées, l'assemblée se réunit et fit passer les lois défendues par Sulpicius. Il se peut que Marius ait dit à Sylla que sa seule chance de rester en vie était de faire adopter les lois de Sulpicius. Avec Sylla en route pour Nola et Pompeius Rufus forcé à renoncer à son poste de consul, la situation finit par mal tourner à Rome. Pendant que Sylla était loin de la cité, Sulpicius révoqua son affectation au commandement en Orient et l'attribua à Marius. En entendant les rumeurs concernant sa destitution, Sylla s'adressa à ses soldats: ils furent révoltés. En effet, si Marius venait à prendre le commandement et à vaincre Mithridate, ce serait ses propres vétérans qui viendraient à s'enrichir, et non ceux de Sylla. Marius envoya deux tribuns militaires pour démettre Sylla de ses fonctions ; ils furent lapidés. La réponse de Sylla, et pour lui la seule possible, fut de marcher sur Rome. À Rome, Sulpicius prit le contrôle total de la cité, et les amis de Sylla furent rapidement identifiés et assassinés. Selon Plutarque, Marius "fit mourir à Rome les amis de Sylla, et livra leurs biens au pillage. On ne voyait plus que gens qui changeaient de séjour, les uns fuyant du camp à la ville, les autres de la ville au camp" (506).
Sylla marche sur Rome
À la tête d'une armée de six légions, Sylla avança sur la Via Appia en direction de Rome. Le Sénat, dans l'espoir de négocier la paix, dépêcha deux préteurs, Brutus et Servilius, auprès de Sylla. Quand on lui demanda pourquoi il marchait sur Rome, Sylla répondit simplement qu'il protégeait la cité de ses tyrans. Ce qui effrayait le plus le Sénat, c'était que les troupes étaient loyales envers Sylla, pas Rome. Pour entrer dans la cité, Sylla et son armée devait passer l'enceinte sacrée de Rome, le pomerium (sillon qui, d'après la légende, aurait été creusé par le fondateur de la cité, Romulus) à l'intérieur de laquelle aucun citoyen romain n'avait le droit de porter d'arme. La franchir avec une armée constituait un tabou religieux. Tabou qui poussa plusieurs des officiers et soldats de Sylla a le déserter, avec comme exception notable un questeur et futur commandant nommé Lucius Licinius Lucullus (vers 117-57/56 av. J.-C.).
Rapidement, la Porte Esquiline tomba aux mains des troupes de Sylla, après quoi il fit défiler son armée dans les rues. Des flèches enflammées filaient à travers le ciel. Les premiers ordres du commandant furent de faire abroger les lois de Sulpicius, et de déclarer ce dernier ainsi que Marius ennemis de l'État. Marius chercha un asile temporaire au temple de Tellus avant de s'enfuir en Afrique, alors que Sulpicius fut tué par l'un de ses serviteurs. Ce dernier aura finalement été condamné à mort pour avoir trahi son maître.
Après avoir mis en place certaines mesures de réforme, Sylla veilla à ce que deux nouveaux consuls soient élus: Cnaeus Octavius et Cornelius Cinna. Les deux jurèrent de faire respecter la législation de Sylla. Sylla s'en alla alors affronter Mithridate et son armée en Grèce. Cependant, peu après son départ, Marius retourna à Rome. Selon Duncan, "le peuple romain trembla d'effroi devant un massacre sanguinaire" (211) pendant cinq jours. Octavius fut tué, et Marius nommé consul à sa place, mais il périt peu de temps après. Sylla, absent, fut inculpé pour le meurtre de citoyens romains. Bien qu'accusé de folie meurtrière, Marius régla des vengeances personnelles mais n'était ni meilleur ni pire que quelqu'un d'autre. Pompeius Rufus s'enfuit de la cité et on lui donna le commandement de l'armée de Pompeius Strabo, mais ce changement ne fut pas au goût de tout le monde: il finit assassiné.
Alors que le chaos régnait sur Rome, Sylla laissa une légion à Nola et se rendit en Orient où il s'engagea dans une bataille contre Mithridate. Sylla l'emporta sur le roi du Pont à Chéronée et Orchomène. Le commandant romain Fimbria fit des ravages en Asie, et manqua de peu de capturer Mithridate. Finalement, en 83 av. J.-C., Sylla et Mithridate se rencontrèrent en personne sur une île de la mer Égée. Mithridate accepta de faire la paix, mais retourna au royaume du Pont et renforça son armée.
Sylla de retour à Rome
La paix ayant été rétablie, Sylla prit conscience de la nécessité de retourner à Rome. Le consul Cinna et son armée essayèrent vainement d'arrêter Sylla, mais ses troupes se rebellèrent et le tuèrent. Une autre tentative eut lieu à la porte Colline de la part des Samnites, un vieil ennemi datant de la guerre sociale. Pendant que Marcus Licinius Crassus écrasait les derniers Samnites restant, Sylla rallia ses troupes. Il remporta la bataille de la porte Colline, avec 3 000 prisonniers capturés et 3 000 autres ayant capitulé. Le Campus Martius ou Champ de Mars servit un temps de quartier général à Sylla avant qu'il n'entre dans la cité. Rapidement, un massacre s'ensuivit au cirque Flamine (alias cirque Flaminius) où les prétendus prisonniers de guerre étaient détenus. Les corps furent jetés dans le Tibre.
En 82 av. J.-C., Sylla entra à Rome et endossa le titre de dictateur, avec à la fois une autorité suprême et un mandat à durée indéterminée. On lui accorda immédiatement une immunité pour ses actions, aussi bien passées que futures. Dans son livre Ancient Rome, Simon Baker écrit que Sylla "se vengea de manière brutale et violente sur les populares" (106). Des listes de proscriptions furent affichées sur le forum romain et les ennemies de Sylla furent pourchassés. Beaucoup trouvèrent la mort alors que d'autres furent forcés de fuir la cité. D'après Duncan, les listes détaillaient les noms de 80 personnes devant être tués à vue. 220 autres y furent ajoutés, puis une autre liste de 800. Des groupes d'assassins rôdaient dans la cité. Duncan ajoute que "loin d'apaiser les tensions, les listes de proscriptions instaurèrent un règne de terreur en Italie". (247)
Conséquences
Cependant, une des réformes de Sylla fut d'augmenter le nombre de sénateurs en passant de 300 à 600, l'effectif des préteurs à huit et celui des questeurs à 20. On installa les vétérans sur les territoires confisqués en Campanie et Étrurie. Il donna le contrôle des tribunaux au Sénat. Il fit passer des lois strictes concernant les magistratures. Ayant toujours en tête ses problèmes avec Sulpicius, les tribuns eurent l'interdiction de présenter des projets de loi directement à l'assemblé du peuple. Il fit également annulé le rationnement des céréales. Une fois avoir accompli à peu près tout ce qu'il souhaitait, il s'adressa à l'assemblée publique et demanda à être surnommé Felix ("fortuné"). Il prit sa retraite en Campanie en 79 av. J.-C., et y mourut l'année suivante. Malgré certaines protestations, Sylla reçut des funérailles publiques.