L'empereur Aulus Vitellius (r. 69 de notre ère) n'avait jamais voulu être empereur de Rome. Aulus appartenait à une famille de flatteurs de la cour des premiers Césars, et lorsque son ami Néron (r. 54-68 de notre ère) mourut et qu'il n'y avait plus de César pour lui succéder, il était le dernier homme que l'on se serait attendu à voir sur le trône.
Son grand-père, son oncle, son père et son frère étaient de puissants serviteurs impériaux sur le Palatin, mais rien de plus. Publius, le premier courtisan de la famille, était un administrateur de rang moyen, dont les deux fils gravirent les échelons, Lucius Vitellius devenant l'un des plus hauts fonctionnaires de Rome à une époque où le pouvoir des bureaucrates était nouveau et peu compris.
Aulus était le dernier des Vitellii, promu à un commandement militaire uniquement parce que sa léthargie et sa cupidité notoires ne le rendaient dangereux pour personne. Sa renommée était celle d'un glouton, même à une époque où la gloutonnerie était régulièrement réprouvée, et sa léthargie était telle que le successeur de Néron, l'empereur romain Galba (r. de 68 à 69 de notre ère), ne craignait pas qu'il soit déloyal. Mais ses soldats avaient apprécié un compagnon bon mangeur et buveur et, lorsqu'ils remportèrent la bataille contre le successeur de Galba, peu importait qu'Aulus se soit trouvé à des centaines de kilomètres de là. C'était une époque confuse: les commandants n'avaient guère d'importance, seules les troupes comptaient. Au cours de l'été 69 de notre ère, Aulus Vitellius fut porté en triomphe vers Rome, tout comme les fruits de mer qu'il chérissait tant.
Retour à Rome
Le poisson des côtes septentrionales devait toujours voyager vivant dans des tonneaux en bois remplis d'eau salée, de lourdes cargaisons nécessitant des chariots capables de traîner l'artillerie à la guerre. C'était un commerce dont les bénéfices dépendaient de l'évaluation de la demande lointaine. Un rouget de Marseille pouvait valoir une petite fortune un jour et rien du tout le lendemain. Une rascasse échouée sur les plages rocheuses d'Allemagne, où Publius, l'oncle d'Aulus, avait évité de justesse une noyade générale de ses propres troupes, pouvait valoir son pesant d'or si elle se trouvait là où des hommes rivalisaient pour subvenir aux besoins de l'empereur. Il en allait de même pour les crevettes des îles grecques les plus prisées, les anchois de la mer Noire, les oursins d'Égypte et les huîtres de Grande-Bretagne, parfois acheminés au marché par des équipes de coureurs si les bateaux et les camions étaient trop lents. Quelle que soit l'exagération de certains récits sur la gloutonnerie d'Aulus, il ne fait guère de doute que sa victoire fut bénéfique pour le commerce des poissons exotiques.
Au début, il n'y avait guère de raison de faire la fête. Les routes proches du champ de bataille présentaient des signes de sauvagerie plus récents que le champ de bataille à proprement parler. Les vainqueurs avaient commencé une émeute de pillage et de destruction dans les environs. Les vaincus, les troupes de l'éphémère empereur Othon (69 de notre ère), s'y étaient joints. Pour les familles qui cultivaient le long du Pô ou pêchaient la carpe ou le poisson-chat dans ses ruisseaux, les conséquences furent bien plus brutales que les combats. Les commerçants les plus avisés gardèrent leurs distances. Les armées victorieuses étaient comme une mer intérieure, contrôlée par personne sauf par les marées lointaines. Seuls les commandants sur le retour, avec Aulus Vitellius à leur tête, rétablirent un peu d'ordre. Son frère, Lucius, était déjà le plus fervent défenseur d'Aulus. Leurs armées déferlèrent, sans opposition aucune, sur la capitale, une marche gastronomique sur Rome.
Le moyen le plus efficace de cuisiner pour des troupes en marche était de faire rôtir de la viande. Dès les épopées d'Homère, c'est ce que l'on apprend. Le rôtissage nécessite le moins de plats et d'assiettes possible. Les frères Vitellii n'avaient pas l'intention d'appliquer cette leçon. Les chefs accompagnaient les soldats comme s'ils étaient la cavalerie qui protégeait leurs flancs. Les troupes se nourrissaient bien des terres estivales, leurs officiers, eux, des chariots venus des mers lointaines. Le plat de résistance n'était peut-être guère plus que la Pisa Vitelliana, la pâte éponyme composée de pois ou de haricots, de poivre, de gingembre, de livèche, de jaunes d'œufs durs et de miel. Les auteurs ultérieurs ne se souviennent que de la nourriture extrêmement coûteuse que Vitellius exigeait, importait et consommait régulièrement, parfois quatre fois par jour. La nourriture la plus raffinée était enguirlandée comme le général le plus victorieux, couronnée de laurier comme un héros conquérant. Le festin était une forme de récompense pour ses flatteurs, un substitut au pouvoir réel qu'il ne s'était pas encore assuré, et peut-être une thérapie oblitérante pour lui-même.
Préparation d'un banquet triomphal
Lucius commença à préparer la cena adventica de son frère, le banquet qui marquerait l'arrivée d'Aulus dans sa capitale. Le poisson le plus fin devait être servi dans une assiette de la plus grande qualité. Aucun plat en poterie ne pouvait être assez grand. L'argent était le métal préféré des riches, extrait en Espagne, martelé et riveté dans des plats géants décorés de ce qu'ils étaient censés contenir. Sur un plat étincelant, au nom et aux proportions épiques, reposerait le produit de tous les pays, de la Parthie, encore invaincue, aux piliers d'Hercule, entre la Méditerranée et l'Atlantique, que seuls quelques rares personnes pouvaient encore franchir. Aulus et sa nouvelle cour dîneraient sur de l'argent espagnol, de foies de brochets striés de rouge et de jaune, de laitance de lamproies, de cervelles de faisans et de paons, de langues de flamants roses.
Des milliers de soldats et de citoyens se verraient servir des plats bien moins copieux, des rôtis et des ragoûts de poisson. Tout le monde ne pouvait pas fêter avec de l'argent les délices qui montraient la portée de Rome au-delà de l'Euphrate et de l'Océan. Mais chaque variété raffinée, qui deviendrait dégoûtante pour les mentalités ultérieures, deviendrait une métaphore pour des problèmes variés.
La progression finale vers les tables à manger fut aussi lente que la sortie d'Aulus de Cologne. Une partie des troupes allemandes, qui n'avaient jamais vu Rome, se précipita pour voir le Palatin de ses propres yeux. Les rues étroites étaient incommodes pour les nouveaux arrivants. Ils découvrirent des Romains aussi déconcertés par leurs longues épées et leurs vestes de cuir qu'ils l'étaient eux-mêmes par les toges blanches des fonctionnaires du nouveau règne.
Aulus Vitellius dut faire son propre choix vestimentaire. Il avait le choix. Il pensa d'abord à porter le manteau rouge d'un général conquérant, à monter sur un grand cheval avec l'épée d'un conquérant. Le théâtre de la guerre commençait à lui convenir. Mais, bien conseillé, Aulus Vitellius franchit les murs de la ville à pied. Il portait la toge à laquelle il avait eu droit du vivant de Néron. Sa taille le rendait bien visible, mais sa modestie le fut également.
Pendant ce temps, Lucius préparait son banquet. Des créatures marines, si loin de leurs mers d'origine et si fraîchement mortes, s'étalaient sur le plus grand plateau d'argent que Lucius avait pu trouver. La lumière passait à travers les piles de chair crue, les crevettes minuscules et les tranches de rougets et de turbots, montrant les ombres des animaux, des légumes, des dieux et des héros gravés en dessous. La plaque s'appelait le bouclier de Minerve, l'armure protectrice de la déesse romaine de l'art et de la mémoire. Il ne s'agissait pas d'un bouclier de guerre. Ceux qui étaient servis à partir de ce bouclier n'auraient probablement pas vu la moindre scène de guerre, rien de plus violent que l'épée d'un espadon ou les dents pointant vers l'arrière d'un brochet.
Ni Lucius ni Aulus ne s'étaient battus pour que le nom de Vitellius soit à peine inférieur à celui des Césars. Mais lorsque Lucius rassembla des œufs de poissons rares et des langues d'oiseaux rares et qu'il étala le tout sur une gigantesque armure de théâtre, il fit en sorte que l'arrivée de son frère à Rome reste à jamais gravée dans les mémoires. Rien d'autre dans le règne d'Aulus ne surpassa son début. En hiver, il y eut un quatrième empereur en une seule année, en 69 de notre ère. Aulus Vitellius tombait peu à peu dans l'oubli pour tout sauf pour sa cupidité. Un nouvel empereur, Vespasien (r. de 69 à 79 de notre ère), envisageait déjà un nouveau départ, sans courtisans ni bureaucrates, mais moins libre qu'il ne l'espérait. Aulus s'effondra dans le Forum, et connut une mort lente sous les coups et les blessures des soldats du nouvel empereur, son corps découpé en morceaux gras et charnus.