Oraison de Marc-Antoine aux funérailles de César

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Oxford University Press
par et W. Jeffrey Tatum, traduit par Babeth Étiève-Cartwright
publié le 12 février 2024
Disponible dans ces autres langues: anglais, portugais, espagnol
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Dans le chaos et les conflits qui suivirent l'assassinat de Jules César en 44 avant notre ère, Marc-Antoine (83-30 av. J.-C.), conseillé par Cicéron, persuada le Sénat romain de déclarer une amnistie qui pardonnait aux Liberatores et acceptait la légitimité de la dictature de César. Des funérailles publiques suivirent, au cours desquelles Marc-Antoine prononça sa célèbre oraison funèbre, première étape importante dans l'affirmation de son autorité politique indépendante à Rome.

Mark Antony's Oration over the Body of Caesar
L'oraison de Marc Antoine sur le corps de César
George Edward Robertson (Public Domain)

Le discours de Marc-Antoine

Les funérailles de César eurent lieu le 20 mars. C'est une cérémonie grandiose et l'occasion d'une oraison funèbre qui, conformément à la tradition, célébrait l'héritage du défunt mais rappelait surtout ses actes illustres et leur valeur pour la république. Les discours de ce type étaient généralement prononcés par le fils ou un proche du défunt. Mais Octave n'était pas encore arrvé à Rome - il revenait d'Apollonie - et il semble que Pedius et Pinarius, tout comme Calpurnius Piso (alias Pison), aient été disposés à céder leur place à Antoine, qui saisit l'occasion pour lui-même. Ce fut le discours le plus important de la carrière d'Antoine, et il reste le plus célèbre. Néanmoins, les divergences entre nos sources sont telles qu'aucune reconstitution ne peut être exacte dans ses détails. Cicéron le décrit comme pathétique et profondément émouvant, non pas parce qu'il le considérait comme un mauvais discours, mais plutôt parce qu'il estimait qu'il s'agissait d'une oraison trop affectée au nom de la mauvaise cause.

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Marc-ANTOINE mit en scène PLUSIEURS FIORITURES THÉÂTRALES, IL EXHIBA NOTAMMENT LA TOGE TÂCHéE DU SANG DE CéSAR.

On ne sait plus exactement ce qu'Antoine dit. Il est possible qu'il ait prononcé une ritournelle de références à César en tant qu'"homme extraordinaire" et "homme illustre". Il s'agissait d'expressions banales dans une oraison funèbre, mais il semble qu'elles aient été souvent répétées et qu'elles soient rapidement devenues des slogans recyclés par tous ceux qui reprochaient quelque chose aux Liberatores. Le discours d'Antoine présentait également plusieurs caractéristiques frappantes. Il inséra des documents, soit en faisant appel à un héraut, soit en les lisant lui-même. Les décrets du Sénat honorant César, notamment le texte du serment obligeant chaque sénateur à le protéger, furent récités. Dans chaque récitation, Antoine inséra ses observations personnelles, opposant ce qui s'était réellement passé aux Ides de mars aux promesses faites par les Liberatores et même par l'ensemble du Sénat. Antoine précisa que les conspirateurs n'étaient pas les seuls à devoir avoir honte de la mort de César. Antoine mit également en scène plusieurs fioritures théâtrales - il exhiba notamment la toge tachée de sang de César - destinées à intensifier le chagrin du public et à attiser son hostilité à l'égard des conspirateurs. Son jeu fut d'une efficacité redoutable.

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Réaction du public

Les Liberatores étaient conscients des dommages que les funérailles nationales de César risquaient d'infliger à leur position. Ils prirent donc des précautions ce jour-là en postant des gardes privés pour protéger leurs maisons. Ils eurent bien raison de le faire: le discours de Marc-Antoine suscita dans l'opinion publique un sentiment de révolte d'une violence inouïe. Le corps de César fut incinéré dans le Forum et des foules en colère se jetèrent sur les maisons des Liberatores. Antoine, cependant, ne déchaîna pas la foule en colère et ne laissa pas libre cours à sa fureur. Afin d'éviter que les émeutes et les destructions de 52 avant notre ère ne se reproduisent, Lépide et lui placèrent des soldats à des endroits où ils pourraient protéger les bâtiments de la ville. La foule fut autorisée à exprimer sa rage, mais seulement jusqu'à un certain point. Bientôt, l'ordre fut rétabli dans le Forum romain et les assauts contre les maisons des Liberatores furent abandonnés. Le peuple, encore ému, veilla solennellement sur le bûcher de César jusque tard dans la nuit.

Roman Funeral
Funérailles à Rome
The Creative Assembly (Copyright)

Antoine avait fait valoir son point de vue. Il avait montré avec force sa dévotion à la mémoire de César. En même temps, en contenant et en réprimant la violence de la foule, il avait montré à tous, et surtout aux Liberatores, l'étendue réelle de son autorité personnelle. L'oraison funèbre d'Antoine avait pour but non seulement de faire l'éloge de César, mais surtout d'exposer à l'indignation publique les hommes que son amnistie venait à peine de sauver de la catastrophe. Les frictions avec Cassius avaient mis en évidence l'attitude ingrate des Liberatores. Les perturbations et les violences provoquées par les funérailles de César leur firent comprendre à tous à quel point ils étaient impopulaires auprès des masses. Les événements de la journée mirent également en évidence leur dépendance à l'égard de l'ordre civique, qui échappait à leur contrôle et ne pouvait être maintenu que par Antoine et ses alliés. Si les Liberatores et leurs amis, ou même les rivaux d'Antoine au sein de l'ancien cercle de César, pensaient que son comportement d'homme d'État le 17 mars découlait d'une faiblesse ou d'un manque d'assurance, ils étaient à présent radicalement détrompés de ce malentendu.

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Antoine menace les Liberatores

Antoine n'attendit guère longtemps pour renforcer la véritable nature de la vulnérabilité des Liberatores. C'est quelque chose que nous pouvons déceler dans une lettre adressée à Brutus et Cassius par Decimus Brutus. Decimus leur raconte qu'il a récemment reçu la visite d'Hirtius, qui lui a fait comprendre qu'Antoine n'était plus sûr de pouvoir autoriser Decimus à prendre sa province. Decimus qualifie cette incertitude de mauvaise foi perfide et s'attend à ce que Cassius et Brutus soient du même avis. Hirtius, rapporte-t-il encore, lui a expliqué qu'Antoine, préoccupé par l'agitation de la population, s'inquiétait de la sécurité des Liberatores. C'est sans doute cette inquiétude qui aurait motivé Antoine à reconsidérer le poste de gouverneur de Decimus.

La consternation de Decimus est compréhensible. Les termes de l'amnistie garantissaient l'exécution des acta de César et, le 18 mars, le Sénat confirma qu'il ratifierait les nominations provinciales de César. Antoine ne voulait probablement pas suggérer qu'il n'exécuterait pas le décret du Sénat. Mais tout Liberatore qui, comme Decimus, était un privatus, un citoyen privé n'exerçant pas de magistrature ou de promagistrature, avait besoin, en plus de la sanction officielle du Sénat, d'une autre loi d'habilitation, une lex curiata de imperio, avant de pouvoir prendre son commandement en tant que gouverneur de province. En réalité, rien n'empêchait Marc-Antoine ou Dolabella de fournir à Decimus la lex requise, mais Marc-Antoine, semble-t-il, en exagérant et en exploitant le changement d'atmosphère à Rome après les funérailles de César et en soulignant l'hostilité du public à l'égard de Decimus et des hommes comme lui, exprimait maintenant des doutes quant à sa capacité à réunir avec succès une assemblée curiale. La plèbe urbaine le permettrait-elle?

Facial Reconstruction of Mark Antony
Reconstruction faciale de Marc-Antoine
Arienne King (CC BY-NC-SA)

Derrière les expressions d'inquiétude d'Antoine se cachait une menace indéniable, et c'est pourquoi sa conversation avec Hirtius fit paniquer Decimus. Dans sa lettre, Decimus dit à ses compagnons Liberatores qu'il craignait que ce ne soit qu'une question de temps avant qu'ils ne soient déclarés ennemis publics ou condamnés à l'exil. Bien qu'il soit ouvert à la suggestion - Decimus informe Cassius et Brutus qu'Hirtius l'avait incité à leur demander leur avis - sa lettre recommande de s'enfuir à Rhodes ou n'importe où hors de portée d'Antoine. En attendant, il avait demandé un garde du corps public pour lui-même et tous les Liberatores. Peu après cet échange, la crise de Decimus semble avoir été résolue: au début du mois d'avril, il put quitter Rome pour prendre possession de sa province. Dans l'intervalle, cependant, les Liberatores furent obligés de réagir à la fois à la fausse inquiétude d'Antoine face à leur impopularité et à la peur qu'il avait inspirée à Decimus et à d'autres. Ils furent également obligés, en tant que partie faible, de négocier avec Antoine en utilisant toutes les expressions de la courtoisie aristocratique et même de la déférence. C'est ce qui explique l'hésitation d'Antoine à propos de la province de Decimus. Il n'avait pas l'intention de violer l'esprit ou la lettre de l'amnistie. Mais il était important pour lui de donner à tous une leçon pratique de la réalité de son pouvoir et de sa détermination à l'utiliser.

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Traducteur

Babeth Étiève-Cartwright
& W. Jeffrey Tatum
Babeth s'est consacrée à la traduction après avoir enseigné l'anglais au British Council de Milan. Elle parle couramment le français, l'anglais et l'italien et a 25 ans d'expérience dans le domaine de l'éducation. Elle aime voyager et découvrir l'histoire et le patrimoine d'autres cultures.

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Style APA

Press, O. U. (2024, février 12). Oraison de Marc-Antoine aux funérailles de César [Mark Antony's Oration at Caesar's Funeral]. (B. Étiève-Cartwright, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2372/oraison-de-marc-antoine-aux-funerailles-de-cesar/

Style Chicago

Press, Oxford University. "Oraison de Marc-Antoine aux funérailles de César." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. modifié le février 12, 2024. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2372/oraison-de-marc-antoine-aux-funerailles-de-cesar/.

Style MLA

Press, Oxford University. "Oraison de Marc-Antoine aux funérailles de César." Traduit par Babeth Étiève-Cartwright. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 12 févr. 2024. Web. 20 nov. 2024.

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