Le Blitz de Londres (septembre 1940 à mai 1941) fut une campagne de bombardement soutenue menée par l'armée de l'air allemande pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-45). Les Londoniens furent soumis à des bombardements nocturnes qui tuèrent des milliers de personnes, détruisirent des maisons et nécessita de passer de longues et inconfortables nuits dans des abris antiaériens. Cet article raconte l'histoire du Blitz à travers les yeux de ceux qui y furent directement confrontés.
Après la chute de la France au début de l'été 1940, l'armée de l'air allemande (Luftwaffe) se donna pour mission de détruire la Royal Air Force (RAF) britannique, tant dans les airs qu'au sol, un prélude nécessaire à l'invasion. Cependant, alors que la RAF était en train de remporter la bataille d'Angleterre et de maintenir ainsi sa supériorité aérienne, la Luftwaffe changea d'objectif et se mit à bombarder les villes, en particulier Londres, dans l'espoir de détruire le moral de la population civile. Le colonel Adolf Galand, du Jagdgruppe 26 de la Luftwaffe, explique ce changement:
Nous ne savions pas à l'époque pourquoi il [Adolf Hitler] avait opté pour Londres: nous devions seulement obéir aux ordres. Je pense aujourd'hui qu'Hitler et Göring voulaient profiter de leur avantage d'avoir la capitale de l'ennemi à portée de leurs chasseurs qui pouvaient donc escorter les bombardiers. D'un autre côté, Berlin était à l'époque hors de portée de la RAF... Personne ne savait à l'époque combien il fallait de bombes pour détruire une grande partie de la ville. Hitler et Göring espéraient peut-être forcer l'Angleterre à négocier après ces attaques.
(Holmes, 138)
Peter Stahl, membre d'équipage d'un Junkers Ju 88, consigna dans son journal son expérience du bombardement de Londres lors de l'un des premiers raids, au début du mois de septembre 1940:
Ce doit être terrible en bas. Nous pouvons voir de nombreux incendies causés par les bombardements précédents. L'effet de notre propre attaque est un énorme nuage de fumée et de poussière qui s'élève dans le ciel comme une large bande en mouvement.
(Holland, 731)
Au sol, F. W. Hurd, membre du service auxiliaire des pompiers (AFS), décrit le bruit d'une bombe tombant près de lui alors qu'il luttait contre un incendie dans une usine à gaz londonienne:
Les canons ont commencé à tirer, puis j'ai eu ma première expérience de l'explosion d'une bombe. J'ai entendu un sifflement bizarre et je me suis réfugié derrière la pompe avec les deux autres membres de l'équipe. Les autres, dispersés tout comme nous, s'étaient jetés à terre là où ils se trouvaient. Puis un vif éclair de flamme, une colonne de terre et de débris s'envolant dans les airs et le sol s'est soulevé. J'ai été projeté violemment contre le côté de la machine... Quel spectacle! À environ un kilomètre sur notre droite se trouvait le front de la rivière. Tout l'horizon de ce côté n'était qu'une nappe de flammes. Les quais entiers étaient en feu! De tous les autres côtés, c'était à peu près la même chose. Du feu partout. Le ciel était d'un orange vif... Et pendant ce temps, toute la région était impitoyablement bombardée. La route tremblait sous les explosions. Les obus AA explosaient au-dessus de nos têtes... Les éclats d'obus pleuvaient littéralement. Il était environ minuit et le vacarme continuait. J'ai été surpris de voir à quelle vitesse on s'était habitué à comprendre si une bombe arrivait ou non dans notre direction.
(Gardiner, 15-16)
Les bombes tombèrent sur toutes sortes d'endroits, mais ce sont les monuments locaux détruits qui ont le plus choqué, comme l'explique Anthony Heap, un fonctionnaire local:
J'ai entendu dire que le cinéma Tussaud s'est pris un obus la nuit dernière. Dès que le signal de fin d'alerte a été donné à 6h25, je me suis précipité pour voir. Et bon sang, c'était le cas. Seule la façade de Marylebone Road et le proscenium sont restés debout. Le reste a été complètement démoli, de même que certains bâtiments situés derrière... pas une seule fenêtre n'est restée intacte dans les bâtiments environnants. Une foule immense se pressait le long de Marylebone Road pour voir les ruines. C'était l'une des curiosités de Londres aujourd'hui.
(Gardiner, 44)
Les Londoniens vaquaient à leurs occupations quotidiennes du mieux qu'ils le pouvaient, comme l'explique ici Phyllis Warner:
L'une des choses les plus étranges dans notre vie quotidienne est son mélange d'horreur impitoyable et de routine quotidienne. Je me rends au travail en passant devant les cratères de bombes et les éclats de verre, et je m'assois à mon bureau dans une pièce dont le toit est percé d'un grand trou (un bloc de pavé est passé à travers). À côté d'une maison réduite à l'état de bois d'allumettes, des ménagères donnent des ordres prosaïques au boulanger et au laitier. Bien sûr, la vie ordinaire doit continuer, mais l'effet est fantastique. Personne ne semble s'inquiéter des raids diurnes. Ce sont les nuits qui sont comme un cauchemar continu, sans réveil clément. Pourtant, les gens ne veulent pas partir. Je sais que je suis un idiot de continuer à dormir dans le centre de Londres qui est matraquer chaque nuit, mais j'ai le sentiment que si d'autres peuvent le supporter, moi aussi.
(Gardiner, 48)
Parfois, les gens n'avaient pas le temps de se mettre à l'abri, comme le raconte ici un anonyme de l'East End:
Le jour où j'ai été frappé, c'était le 13 octobre 1940. Vers huit heures moins dix, j'ai dit à ma femme et à mes beaux-parents: "Bon, j'y vais", et je suis sorti. C'étaient de belles et grandes maisons à trois étages et je me suis avancé vers la voie d'accès à environ vingt mètres de l'église, notre poste antiaérien, et soudain, il y a eu - zzzz - rien. Je n'ai rien entendu et je suis tombée à plat ventre. Je me suis relevé, je me suis retourné et tout ce que j'ai vu, c'était un rideau gris qui pendait au milieu de la route, à peu près deux fois plus large que ce pub. Ce n'était qu'un rideau gris brunâtre et je me suis dit: "Mon Dieu, il s'est passé quelque chose. J'ai donc titubé jusqu'au poste et j'ai dit au gardien du poste: "Jim, je crois qu'il s'est passé quelque chose au Prince de Galles". Lorsque nous y sommes allés et que j'ai vu la scène, j'ai dit: "Bon sang, ma famille est en bas ! Et voilà - on était là, environ quatorze sur cette grande rangée de maisons, et ce n'était qu'un foutu grand trou.
(Holmes, 140-1)
Les autorités mirent plusieurs mois à construire des abris collectifs et à s'assurer qu'ils n'étaient pas eux-mêmes des pièges mortels insalubres. Barbara Nixon, bénévole de l'Air Raid Precaution (ARP), décrit le mauvais état des abris dans son quartier de Finsbury:
Ils étaient mal ventilés, et seuls deux des neuf abris de ma province pouvaient se targuer d'être secs. Certains fuyaient par le toit et il fallait utiliser des parapluies; dans d'autres, l'ouverture du puisard près de la porte avait été placée plus haut que le sol et, par une nuit pluvieuse, ça débordait invariablement d'une profondeur de deux pouces à une extrémité et d'un quart de pouce à l'autre, et les vieilles dames souffrant de rhumatismes devaient rester assises debout sur leurs bancs pendant six à douze heures d'affilée, les pieds appuyés sur quelques briques. Quatre ou cinq fois par nuit, on faisait le tour avec une casserole et un seau pour évacuer l'eau nauséabonde... Il y avait des toilettes chimiques, généralement partiellement protégées par un rideau de toile, mais le suivi du nettoyage de ces toilettes n'était pas adéquat. Parfois, elles étaient laissées sans entretien pendant des jours et débordaient sur le sol... Ensuite, il y avait la question de l'éclairage... On avait une lampe-tempête pour environ cinquante personnes... L'unique lampe à paraffine était le seul moyen de chauffage à l'époque. Il faisait un froid de canard cet hiver-là.
(Gardiner, 62)
Un abri n'était pas une garantie de sécurité. Margaret Turpin se souvient de la nuit où son abri a été touché par une bombe et où elle et sa famille se sont retrouvées ensevelies sous les décombres:
J'ai dû perdre connaissance à de nombreuses reprises... Je me souviens avoir vu un casque de l'ARP, et il était loin, très loin, puis soudain il était tout près. Je me souviens que l'homme m'a dit: "On va bientôt vous sortir de là". Il m'a dit: "Tout ce qu'il nous reste à faire, c'est de sortir votre bras". J'ai regardé ce bras qui sortait des débris et j'ai dit: "Ce n'est pas mon bras" et il a répondu: "Si, c'est le tient ma jolie, il porte le même manteau"... et je ne me souviens pas d'être sortie de l'abri. Je me souviens d'avoir été dans l'ambulance, et je pense que pour moi, c'était probablement le pire moment... J'ai senti que le sang de quelqu'un coulait sur moi par le haut, et j'ai trouvé cela horrible - principalement, je pense, parce que je ne savais pas de quel sang il s'agissait, si c'était quelqu'un que je connaissais et que j'aimais ou non. J'ai essayé de bouger la tête, mais l'espace était étroit et je n'arrivais pas à éloigner ma tête du sang. J'ai entendu bien plus tard que l'homme était déjà mort. Mais ce ne pouvait pas être mon père, car il a été sorti de l'abri et il n'est mort que deux jours plus tard... Il est mort, ma mère est morte, ma petite sœur est morte, ma sœur cadette est morte. J'ai eu deux tantes et elles sont mortes, un oncle est mort... Je l'ai su presque immédiatement parce que lorsque je suis rentrée de l'hôpital... il y avait des bouteilles de lait à l'extérieur et j'ai su alors que personne n'était venu les chercher à la maison... Tous les sept ont été enterrés le même jour. Mon frère m'a dit qu'ils avaient mis des drapeaux sur les cercueils... Ils m'ont envoyé à Harefield... Mais malheureusement, les gens de Harefield pouvaient voir les raids sur Londres, et ils avaient l'habitude de sortir pour regarder, comme si c'était un spectacle, et je ne pouvais pas le supporter.
(Gardiner, 64-5)
Les stations du métro londonien étaient un refuge populaire, les gens dormant les uns à côté des autres sur les quais. Un journaliste décrit la scène dans la station Elephant and Castle:
Depuis les quais jusqu'à l'entrée, toute la station n'était qu'une masse humaine couchée... la plupart de cette masse humaine dormait comme si elle se trouvait entre des draps de soie. Sur le quai, alors que le train arrivait, il fallut l'arrêter dans le tunnel pendant que la police et les porteurs avançaient en repoussant les pieds et les bras qui surplombaient la ligne. Les dormeurs ne bougèrent pratiquement pas lorsque le train entra lentement en grondant. Dans le train, j'étais assis en face d'un pilote en congé. "Tout au long du trajet, c'est la même chose", c'est tout ce qu'il a dit.
(Gardiner, 84)
Certaines familles préféraient rester près de leur maison et installèrent donc un abri Anderson dans leur jardin. Fabriqué en tôle et recouvert de terre, il pouvait résister aux chaudes alertes et aux débris projetés, mais pas, bien sûr, à un tir direct. M. Butler, gardien de l'air à Londres, décrit une tragédie dans laquelle l'abri Anderson survécut, mais pas son occupant:
Il y avait un abri Anderson et, apparemment, une jeune fille se trouvait à l'intérieur. Ses parents étaient allés rendre visite à leurs amis ou à leur famille, et l'abri était plus ou moins creusé et recouvert de terre. Je suis descendu dans l'abri et il y avait cette jeune fille d'environ quinze ou seize ans dont la bouche était pleine de terre. Naturellement, je lui ai pris la main, ce qui est notre travail de consoler ces personnes et d'essayer de les calmer. Elle était dans un sale état et je lui ai nettoyé la bouche; elle s'est allongée et alors qu'elle reprenait son souffle, respirant difficilement, un imbécile est passé sur le toit de l'abri, de la terre est tombée et a rempli la gorge de cette fille et, en serrant ma main comme ça, elle est partie. J'ai senti cette fille me serrer la main pendant des semaines et des semaines. Je n'ai jamais pu l'oublier et je ne l'oublie pas aujourd'hui.
(Holmes, 144)
L'une des familles qui resta à la maison était la famille royale, et ils gagnèrent le respect de tous en restant au palais de Buckingham. Lorsque le palais fut légèrement endommagé le 13 septembre 1940, la reine Élisabeth ne se montra pas trop affligée:
Je suis heureuse que nous ayons été bombardés. Maintenant, j'ai l'impression que nous pouvons regarder l'East End dans les yeux.
(Ziegler, 121)
Le gouvernement tenait à surveiller les gens dans les abris et à découvrir si des troubles sociaux étaient en train de naître sous la surface. Une unité d'observation de masse envoyait des observateurs secrets qui rédigeaient des rapports sur le comportement de la population. La plupart du temps, il n'y avait pratiquement rien à signaler, si ce n'était des ragots sur ce que certains couples faisaient dans les coins les plus sombres ou l'existence d'un marché noir pour obtenir les meilleures places pour dormir. Voici un rapport banal typique, le point culminant étant une petite dispute entre des membres d'une famille stressés à juste titre:
Il y a d'abord eu une fille qui criait et hurlait après sa mère. Elles ont finalement été séparées par la force et emmenées loin l'une de l'autre; elles se débattaient et criaient. L'autre cas est celui d'un homme et de sa femme. La femme voulait qu'il s'assoie, le mari voulait se promener. Elle est devenue très agitée et une foule de "curieux" s'est formée autour d'eux. Elle lui a mordu l'oreille et lui a arraché les cheveux. Il l'a giflée et l'a jetée à terre.
(Levine, 88).
Le nombre de sans-abri ne cessa d'augmenter et la nécessité de s'occuper d'eux inspira des organisations telles que le Women's Voluntary Service (WVS), comme le rappelle ici une anonyme de l' East End:
Le Women's Voluntary Service (WVS) a grandement contribué à remonter le moral des troupes... Lorsque le Blitz a commencé, elles ont certainement prouvé leur valeur. Elles sont sorties avec des cantines mobiles en plein milieu du Blitz; le lendemain, leurs centres d'habillement étaient ouverts. Les personnes qui avaient tout perdu recevaient des vêtements et étaient emmenées par le WVS pour se voir offrir une tasse de thé et un petit pain, puis étaient emmenées par les personnes chargées de l'assistance qui leur distribuaient 10 ou 20 livres, quelle que soit la taille de la famille.
(Holmes, 142)
Les tragédies étaient omniprésentes, car les gens perdaient bien plus que leurs biens. Frances Faviell, infirmière de la Croix-Rouge à Londres, se souvient de la douleur d'une femme:
Une petite femme de Dovehouse Street était assise sur un banc... Dovehouse Street avait été touchée par un mine parachutée et l'hôpital pour femmes de Chelsea avait traité de nombreuses victimes. Soudain, cette femme a perdu le contrôle et s'est mise à hurler dans une crise de désespoir: "Il est parti... Il est parti et je suis toute seule, je n'ai plus de maison, plus rien. Personne ne veut de moi... Pourquoi ne suis-je pas partie avec lui, c'est cruel, c'est cruel, cruel. Pourquoi ? Pourquoi ?" Son angoisse était terrible.
Dans le silence consterné avec lequel les autorités traitent de tels emportements - presque comme si elle avait dit ou fait quelque chose d'obscène - un ecclésiastique élégant et bien habillé... lui dit sévèrement de cesser - que ce qui était arrivé était la volonté de Dieu et qu'elle devait l'accepter et le remercier de l'avoir sauvée de la mort. Elle l'a regardé, hébétée, comme s'il parlait une langue étrangère et s'est mise à crier encore plus fort. Dieu! Dieu n'existe pas! Il n'y a qu'Hitler et le Diable."
(Gardiner, 317)
Un esprit de résistance animait les gens, comme en témoigne cette anecdote d'Anthony Eden, alors ministre des affaires étrangères, qui se trouvait avec Wendell Wilkie, l'homme politique américain envoyé pour déterminer l'état d'esprit de la Grande-Bretagne pendant le Blitz:
Nous sortions du Foreign Office [et] il y avait un homme qui travaillait sur des fenêtres qui avaient été brisées dans la nuit, en haut d'une échelle, et Wilkie s'est approché de lui et lui a demandé: "Que pensez-vous de la guerre ?". L'homme a eu l'air un peu étonné et a dit: "Que voulez-vous dire ?". Wilkie a répondu: "Eh bien, voulez-vous aller jusqu'au bout?" et l'homme a répondu: "Hitler n'est pas encore mort, n'est-ce pas?"... Et cela, m'a dit Wilkie longtemps après, était un point de vue répandu dans tout le pays et, par conséquent, si la Grande-Bretagne a tenu bon et s'en est sortie, c'est bien sûr à Winston [Churchill] et à son leadership qu'en revient l'immense mérite. Mais le mérite en revient également au peuple britannique, car c'était sa victoire.
(Holmes, 147).
L'"esprit du Blitz", le rassemblement d'étrangers issus de différentes couches de la société pour résister effrontément aux terreurs des bombardements, fut, pour beaucoup, l'expérience déterminante de ces sombres journées de 1940 et 1941. Ces derniers temps, on a beaucoup parlé d'un "mythe" du Blitz, en accordant une importance excessive à de rares incidents de troubles sociaux, de pillages et de préjugés à l'encontre de ceux qui étaient perçus comme des étrangers. La grande majorité des témoins oculaires parlent de gens qui ont tout simplement continué à vivre du mieux qu'ils pouvaient dans des circonstances terribles. Un autre thème récurrent dans les récits des témoins est que les gens avaient la sensation très claire de jouer un rôle dans un drame qui aurait des conséquences pour l'avenir de l'Europe. Comme l'a noté Caryl Brahms dans son journal en décembre 1940:
C'est l'époque où il faut vivre. Ces jours-ci. Ce sont des jours difficiles, malheureux, solitaires, gaspillés, exaspérants, terrifiants, déchirants. Mais ils font partie de l'histoire. Et nous faisons partie de l'histoire. Nous avons de la chance de vivre aujourd'hui.
(Levine, 313)