Dans l'ancienne Mésopotamie, les scribes étaient des personnes hautement qualifiées, formées à l'écriture et à la lecture de sujets divers. Au départ, leur but était d'enregistrer les transactions financières dans le cadre du commerce, mais avec le temps, ils ont fait partie intégrante de tous les aspects de la vie quotidienne, du palais et du temple au modeste village ou à la ferme. En définitive, ils ont créé ce que l'on appelle aujourd'hui l'histoire.
L'écriture fut inventée à Sumer, en Mésopotamie, vers 3500 avant J.-C., sous la forme de l'écriture cunéiforme et affinée vers 3200 avant J.-C. dans la ville sumérienne d'Uruk. Pour devenir scribe, il fallait apprendre à fabriquer sa propre tablette d'écriture, à maîtriser les 600 caractères de l'écriture cunéiforme et à s'instruire dans divers domaines de connaissance, notamment l'agriculture, la botanique, les affaires et la finance, la construction, les mathématiques, la politique, la religion et bien d'autres encore.
Les scribes étaient presque toujours les fils de la classe supérieure et de la noblesse, mais à la période akkadienne (2334-2218 av. J.-C.), on trouve des preuves de la présence de femmes scribes, la plus célèbre étant Enheduanna (2285-2250 av. J.-C.), fille de Sargon d'Akkad (Sargon le Grand, r. de 2334 à 2279 av. J.-C.). Après la période akkadienne, l'écriture cunéiforme était principalement utilisée pour écrire en akkadien, mais un scribe devait toujours connaître le sumérien qui, bien qu'il soit devenu une langue morte, était la base de l'akkadien de la même manière que le latin ou le sanskrit le sont pour les langues modernes.
Après la chute de l'empire akkadien, les autres civilisations de Mésopotamie - dont les Assyriens, les Babyloniens, les Hittites, les Kassites et d'autres - ont utilisé l'écriture cunéiforme pour écrire leurs propres langues, mais le scribe devait toujours connaître le sumérien et l'akkadien et continuait à copier des documents du passé. Grâce à cette pratique, les scribes de l'ancienne Mésopotamie ont créé l'"histoire" en préservant le passé sous forme écrite.
L'écriture et les écoles
L'écriture fut inventée par les Sumériens en réponse au commerce de longue distance. À mesure que les villes se développaient pendant la période d'Uruk (4100-2900 av. J.-C.) et que les routes commerciales s'éloignaient des centres de production, les marchands devaient pouvoir communiquer clairement avec leurs marchés. Avant environ 3500 avant J.-C., cette communication était assurée par des bullae, des boules d'argile dans lesquelles étaient cuits des jetons représentant un type de produit donné et sa quantité (par exemple, cinq jetons de couleur claire représentant cinq moutons, trois jetons plus foncés représentant des sacs de céréales), qui étaient marqués d'un sceau identifiant le vendeur.
Le sceau conduisit au développement d'un sceau cylindre plus complexe vers 7600 avant J.-C., qui finit par être utilisé comme une forme d'identification personnelle. La quantité d'informations pouvant être transmises par les bulles, les sceaux et les sceaux cylindres était toutefois limitée, et l'écriture se développa donc sous la forme de pictogrammes - symboles représentant des objets - qui devinrent par la suite des phonogrammes - symboles représentant des sons - puis des logogrammes - signes représentant des mots. Une fois le système d'écriture établi, il fallait le préserver et c'est pourquoi des écoles furent créées, initialement dans des maisons privées, où un scribe enseignait aux élèves cette nouvelle aptitude. À l'époque du début de la période dynastique (2900-2334 av. J.-C.), les écoles formelles se développèrent et se répandirent dans tout Sumer.
Au début, l'écriture était entièrement axée sur des sujets administratifs et financiers liés au commerce. Cependant, avec le développement de l'écriture cunéiforme, sa fonction s'élargit pour inclure la communication de connaissances dans de nombreux domaines différents. Un scribe devait non seulement savoir comment écrire précisément les caractères de l'écriture, mais aussi connaître le sujet sur lequel il écrivait, ce qui donna naissance à l'école de scribes sumérienne, l'edubba ("Maison des tablettes"), dont le programme éducatif se poursuivrait tout au long de l'histoire de la Mésopotamie.
Programme d'études
Les étudiants, initialement tous de sexe masculin, à moins qu'une famille de la classe supérieure n'ait souhaité que sa fille poursuive une carrière nécessitant l'alphabétisation, assistaient aux cours de l'aube au crépuscule. Le corps étudiant était composé d'enfants de la noblesse, de scribes, du clergé et de la classe marchande. L'éducation était volontaire et coûteuse - le père de l'élève payait les frais de scolarité et les fournitures - et était donc refusée aux enfants des classes inférieures. L'exception était les esclaves - hommes et femmes - qui étaient parfois envoyés par leurs maîtres pour acquérir des compétences littéraires pour toutes sortes de raisons. La plupart des élèves étaient inscrits dans une école vers l'âge de huit ans et commençaient leur éducation en apprenant à créer une tablette d'écriture et à utiliser correctement un stylet. Les étudiants terminaient leur scolarité, en général, au début de la vingtaine.
Le cunéiforme s'écrivait en faisant des empreintes cunéiformes dans de l'argile humide, mais contrairement aux écritures et au matériel d'écriture modernes, la tablette devait être formée par l'écrivain et devait ensuite être tournée dans différentes directions dans une main tandis que l'on y frappait les empreintes à l'aide du stylet (généralement un roseau aiguisé, que le scribe fabriquait également) de l'autre main. Les tablettes pouvaient avoir la taille d'une main ou être beaucoup plus grandes. Après avoir appris les bases de la technique, les élèves commençaient à copier et à mémoriser les différents signes qui composaient les mots et les phrases.
Selon l'expert A. Leo Oppenheim, comme l'expliquent les assyriologues Megan Lewis et Joshua Bowen de Digital Hammurabi, il existait quatre types de tablettes, qui représentent les quatre étapes de la progression de l'élève :
- Type 1 : grandes tablettes à plusieurs colonnes
- Type 2 : tablettes à 2 colonnes pour l'instructeur et l'étudiant
- Type 3 : Tablettes à une colonne avec environ 25 % d'une composition.
- Type 4 : Tablettes en forme de lentille avec écriture de base.
Les tablettes excavées sur des sites de l'Irak et de la Syrie actuels, ainsi que d'autres preuves, notamment des textes sur l'éducation, ont permis aux chercheurs de reconstituer les quatre étapes du programme éducatif d'un étudiant :
- Étape 1 : Tablette de type 4 - Tablettes en forme de lentille contenant des exercices d'écriture simples destinés à apprendre à l'élève à tracer les coins et les signes appropriés.
- Étape 2 : Tablette de type 2 - L'instructeur écrivait sur le côté gauche de la tablette et l'élève copiait ce texte sur le côté droit, en effaçant souvent les erreurs - ainsi, le côté droit des tablettes trouvées de nos jours est généralement plus fin que le gauche en raison de la perte d'argile. Le verso de la tablette contenait le texte qui avait déjà été complété et mémorisé ou, en d'autres termes, une leçon précédente.
- Étape 3 : Tablette de type 3 - Ces tablettes contiennent un quart ou plus d'une longue composition qui avait été complétée et mémorisée.
- Étape 4 : Tablette de type 1 - Les compositions complètes avaient été créées de mémoire et démontrent une maîtrise de l'écriture cunéiforme.
Une fois l'écriture maîtrisée et les élèves instruits en lecture, en mathématiques, en histoire et dans d'autres matières, ils passaient à la tétrade (groupes de quatre compositions) de plus grande difficulté qu'ils devaient copier à plusieurs reprises, mémoriser et réciter. Le cours suivant était la Décade (groupes de dix compositions), d'une difficulté encore plus grande. Les compositions de la Tétrade comprenaient des œuvres telles que l'Hymne à Nisaba (déesse sumérienne de l'écriture) qui est un simple chant de louange. La Décade comprenait des œuvres plus complexes et nuancées telles que Gilgamesh et Huwawa et le Chant de la houe, qui exigeaient une maîtrise plus ferme du style et de l'interprétation.
Une fois ces textes maîtrisés, l'étudiant devait s'attaquer à des textes encore plus complexes tels que L'école, Débat du mouton et de l'épi de blé et Les conseils d'un superviseur à un jeune scribe, parmi beaucoup d'autres. Après avoir franchi cette dernière étape, l'étudiant obtenait son diplôme de scribe. L'expert Stephen Bertman commente l'objectif final du programme d'études :
L'éducation formelle impliquait la maîtrise de la lecture et de l'écriture (pour des tâches telles que la tenue de registres commerciaux, la rédaction et la lecture de contrats, la composition de lettres, l'envoi de messages militaires, la récitation de prières et d'incantations, et la compréhension de textes médicaux) ainsi que la maîtrise du calcul (pour des tâches telles que le mesurage de parcelles de terre et de leurs produits, la détermination des taxes, la prévision des fournitures pour une campagne militaire, la détermination de la quantité de terre nécessaire à la construction d'une rampe de siège, l'estimation du nombre de briques nécessaires à l'érection d'un nouveau palais, ou les calculs célestes). En fin de compte, il faudrait maîtriser un vocabulaire spécialisé dans des domaines tels que l'astronomie, la géographie, la minéralogie, la zoologie, la botanique, la médecine, l'ingénierie et l'architecture. (302-303)
À partir de la période akkadienne, les étudiants devaient également maîtriser le sumérien et l'akkadien, ainsi que leur propre langue. Une fois diplômé, le scribe était officiellement connu en sumérien sous le nom de Dub.Sar ("écrivain de tablettes" littéralement de dub=tablette et sar=écrivain) ou, en akkadien, assyrien et babylonien, sous le nom de Tupshar (également donné sous le nom de Tupsharru), ce qui signifie la même chose. Le directeur d'une école sumérienne était connu sous le nom d'ummia ( "expert" ou "maître professeur"), mais une variante de ce terme semble également avoir été appliquée à un scribe très instruit à la cour ou au temple. À la fin de la période hittite, le titre devint gal dubsar ("chef des scribes") et constituait l'un des postes les plus importants du gouvernement, tout comme il le serait à l'époque assyrienne, lorsque le poste de tupsar ekalli ("scribe du palais") serait le deuxième après celui du roi.
Vie de scribe
Tout au long de la longue histoire de la Mésopotamie, depuis les débuts de la période dynastique jusqu'à l'Empire sassanide (224-651 de notre ère), les scribes faisaient l'objet du plus grand respect. Bien avant l'époque de l'Empire néo-babylonien (626-539 av. J.-C.), durant laquelle les scribes étaient fréquemment mentionnés avec une grande révérence en tant que serviteurs du dieu de l'écriture Nabû (qui avait remplacé la déesse Nisaba), les scribes étaient reconnus comme une classe sociale d'élite. Pour atteindre cette position, cependant, il fallait se consacrer entièrement à son éducation et être prêt à endurer des châtiments corporels quotidiens aux mains de ses professeurs.
L'école et Les conseils d'un superviseur à un jeune scribe, deux poèmes sumériens bien connus, décrivent en détail les défis auxquels un futur scribe doit faire face au cours de son éducation. Les deux œuvres sont considérées comme des satires, mais, comme toute satire, elles s'inscrivent dans la réalité de la situation dont elles se moquent. Dans l'École, l'étudiant raconte comment il est battu quotidiennement par ses professeurs pour des infractions allant du retard à la mauvaise écriture (avoir une "mauvaise main"), en passant par le fait de se tenir debout sans permission, de parler sans permission, d'avoir une mauvaise posture, d'être absent sans autorisation et de quitter l'école tôt sans permission. L'aspect satirique de l'œuvre réside dans la façon dont il résout son problème : il obtient de son père qu'il soudoie son professeur avec un somptueux dîner et de beaux cadeaux pour qu'il lui donne de meilleures notes et moins de coups.
Dans Les Conseils d'un superviseur à un jeune scribe, le professeur explique que l'élève doit faire exactement ce que lui dit son mentor, qu'il ne doit pas se reposer, même la nuit, pour maîtriser son métier, et qu'il doit apprendre et obéir à chaque règle sans poser de questions. Les règles de l'edubba, aussi dures qu'elles puissent paraître, étaient conçues pour encourager la discipline et la concentration des élèves, et le professeur insiste sur ces aspects. Lorsque le jeune scribe du poème, récemment diplômé, répond à l'enseignant, il relate toutes les tâches qu'il a bien accomplies au service de son mentor, notamment la gestion des affaires domestiques, la rémunération du personnel, la préparation des offrandes pour le temple, la supervision des produits agricoles et des ouvriers, et le contrôle de la qualité. Ce n'est qu'après avoir démontré qu'il a bien assimilé et mis en pratique les leçons de son maître que l'étudiant reçoit la bénédiction de son mentor (superviseur) en tant que scribe. Dans cette œuvre, la satire repose sur la façon dont l'étudiant est essentiellement devenu l'esclave du professeur afin de recevoir une éducation.
Une fois diplômé, le scribe pouvait travailler directement pour le roi, dans la bureaucratie du palais, au complexe du temple, dans les affaires privées, dans l'armée, pour des entreprises de construction, dans le commerce, en tant que diplomate, ou en tant qu'enseignant, médecin, dentiste, ou toute autre profession nécessitant l'alphabétisation. Dans les petites villes et les villages, le scribe écrivait des lettres personnelles pour les gens et s'assurait qu'ils avaient envoyé la bonne quantité de céréales ou d'autres produits comme impôts. Ils aidaient également à la conception et aux calculs pour la construction de bâtiments, de fossés d'irrigation ou lors de conflits fonciers entre fermiers au sujet des limites. Les scribes étaient généralement payés en grain, en bière ou en tout ce qu'une personne pouvait offrir de valeur.
Scribes célèbres
Comme la majorité de la population était analphabète, les compétences du scribe étaient très recherchées. Les scribes sont parfois décrits comme "ceux qui n'ont jamais faim", et beaucoup faisaient partie des personnes les plus puissantes de leur ville. Le scribe Azi (c. 2500 av. J.-C.) est connu comme un scribe populaire dans la ville d'Ebla (dans l'actuelle Syrie) et était connu sous le nom de dub.zu.zu ("Celui qui connaît les tablettes"), ce qui suggère qu'il était un "chef des scribes" mais, peut-être, encore plus instruit et compétent.
Enheduanna était la grande prêtresse du complexe du temple d'Ur, le poste religieux le plus puissant de la ville. Non seulement elle tenait les registres du temple, mais elle est célèbre pour ses poèmes, prières et hymnes originaux dédiés à la déesse Inanna (connue plus tard sous le nom d'Ishtar). Enheduanna, en fait, est le premier auteur au monde connu par son nom, et ses œuvres influenceront celles d'écrivains ultérieurs, notamment les scribes hébreux qui ont rédigé les Psaumes de la Bible.
Le scribe Arad-Nanna de la période Ur III (2047-1750 av. J.-C.) était également un personnage puissant de la ville. Bien qu'il ait techniquement servi les rois de la troisième dynastie d'Ur, son sceau-cylindre le montre s'approchant de la figure royale sur le trône comme un égal, tandis qu'une figure de déesse, debout derrière lui, est représentée dans une pose de révérence et de respect. Shulgi d'Ur (r. 2029-1982 av. J.-C.) était également connu comme un scribe qui écrivait des poèmes et encourageait l'alphabétisation et la création d'écoles dans tout son royaume.
Un autre scribe influent était le Babylonien Shin-Leqi-Unninni (r. 1300-1000 av. J.-C.) qui s'inspira de poèmes sumériens antérieurs relatant la vie du héros Gilgamesh pour créer le premier récit épique de la littérature mondiale, L'épopée de Gilgamesh. Son œuvre influencera également certains des poèmes les plus célèbres au monde, dont, selon certains spécialistes, l'Iliade d'Homère.
La plupart des scribes ont cependant créé leurs œuvres de manière anonyme, et leurs noms sont inconnus. Vers 2600 avant J.-C., cependant, les scribes signaient parfois leur nom sur une œuvre, ou leur nom était enregistré par un autre pour une réalisation spécifique. Une liste de noms de scribes trouvée dans les ruines de Ninive raconte qu'ils étaient chargés de copier et d'éditer les ouvrages rassemblés par le roi néo-assyrien Assurbanipal (qui avait également une formation de scribe) pour sa bibliothèque. Ces scribes auraient été comparables aux sepiru ("scribe-interprète") de la période néo-babylonienne qui travaillaient pour l'État, le temple ou pour de riches particuliers en interprétant, copiant et créant des livres.
Conclusion
Avec le temps, et relativement tôt à Sumer, les scribes devinrent des auteurs - créateurs d'œuvres originales - d'hymnes à diverses divinités et de poèmes à leur sujet, notamment ceux sur Gilgamesh et Inanna. Les scribes étaient responsables des inscriptions des rois et de la création des naru - une stèle gravée relatant les événements du règne d'un monarque - et devenaient ainsi les gardiens de l'histoire. Vers le deuxième millénaire avant notre ère, la création de naru se mêla à l'énergie créatrice des scribes pour donner naissance à un genre d'œuvre connu sous le nom de littérature mésopotamienne naru, qui mettait en scène un roi dans un cadre fictif.
Certaines des œuvres les plus célèbres de ce genre sont également parmi les plus connues de toute la littérature mésopotamienne : La légende de Sargon d'Akkad, La malédiction d'Agade, La légende de Cutha et L'épopée de Gilgamesh. Dans toutes ces histoires, et dans d'autres, un grand personnage historique est confronté à un défi qu'il n'a pas connu ou n'a "peut-être" pas connu dans la réalité, et le but du scribe était de relater une valeur morale, religieuse ou culturelle centrale. C'est ainsi que les scribes mésopotamiens ont créé la première fiction historique, mais avant de pouvoir le faire, ils devaient créer l'histoire.
Avant l'invention de l'écriture, les événements qui se produisaient étaient préservés par la tradition orale, qui pouvait modifier les détails à chaque nouveau récit. Après le développement de l'écriture, il a été possible de consigner les événements sous une forme qui pouvait être lue plusieurs fois de la même manière. Les événements du passé étaient désormais accessibles aux personnes du présent, ce qui a favorisé le développement de la culture, des pratiques linguistiques standard et des traditions sociales/religieuses. Les récits originaux rédigés par les scribes transmettaient les valeurs de la culture à ceux qui les entendaient lire, ce qui conduisait au développement de l'identité personnelle et communautaire et, enfin, à l'histoire du peuple, que l'on a fini par appeler "histoire" - un concept inconnu avant les scribes mésopotamiens.