La bataille de Flamborough Head (23 septembre 1779) fut l'un des plus célèbres engagements navals de la guerre d'Indépendance américaine (1775-1783). Combattue au large des côtes du Yorkshire, en Angleterre, elle opposa l'USS Bonhomme Richard, commandé par John Paul Jones, à une frégate de la Royal Navy, le HMS Serapis. Cet engagement constitua une victoire importante pour la marine continentale naissante.
L'expédition prend la mer
Le 14 août 1779, une petite flotte de sept navires quitta le port de Groix, en France, avec l'intention de faire autant de ravages que possible dans les îles britanniques. L'année précédente, le Royaume de France était officiellement entré dans la guerre d'Indépendance américaine en tant qu'allié des jeunes États-Unis et avait depuis lors fourni aux Américains une aide militaire et financière. Les Français équipèrent les navires de l'expédition, dont le navire amiral, un navire marchand de 42 canons converti en navire de guerre, le Duc de Duras, qui avait été offert aux États-Unis. La flotte de fortune fut placée sous le commandement du capitaine John Paul Jones, un officier de la Continental Navy ( marine de guerre des États-Unis) d'origine écossaise, qui avait récemment acquis une renommée internationale pour son raid audacieux sur la ville portuaire anglaise de Whitehaven en avril 1778.
Avant de prendre la mer, Jones rebaptisa le Duc de Duras en USS Bonhomme Richard, en l'honneur de son ami Benjamin Franklin, dont le célèbre Poor Richard's Almanac avait été traduit en français sous le nom de l'Almanach du Bonhomme Richard. Les autres navires sous son commandement comprenaient la frégate de 36 canons USS Alliance, la frégate de 32 canons USS Pallas, la corvette de 12 canons USS Vengeance, et le cotre Le Cerf, ainsi que deux navires corsaires, le Monsieur et le Granville. Comme les navires partaient de France, ils étaient principalement composés de marins français (à l'exception du Bonhomme Richard) et étaient commandés par des officiers de marine français. Après avoir levé l'ancre le 14 août, la flotte se dirigea vers la côte sud de l'Irlande.
L'expédition se heurta presque immédiatement à des difficultés. Le 18 août, ils reprirent un navire hollandais qui avait été capturé par un corsaire britannique. Le capitaine du Monsieur fit une descente dans la cale du navire capturé, prenant ce qui lui plaîsait avant de choisir un équipage pour le ramener en Belgique et le vendre. Jones annula ces ordres, mit en place son propre équipage et renvoya le navire en France pour qu'il y soit vendu en son nom propre. Cette décision mit le capitaine du Monsieur en colère; il estimait avoir droit à la prise. Cette nuit-là, le Monsieur abandonna la flotte et l'autre navire corsaire, le Granville, partit peu après. Jones ne fut guère surpris par la déloyauté des corsaires, mais il dut bientôt faire face à un mécontentement accru dans ses propres rangs. Les officiers de marine français aristocrates sous son commandement n'aimaient guère recevoir des ordres d'un péquenaud américain d'origine écossaise et n'hésitèrent pas à manifester leur mécontentement; Pierre Landais, capitaine de l'USS Alliance, fut le plus franc de ce groupe, annonçant carrément à Jones qu'il avait bien l'intention de naviguer sur l'Alliance comme il l'entendait.
Après le départ des corsaires, les cinq navires restants de Jones contournèrent le sud-ouest de l'Irlande avant de se diriger vers le nord. Fin août, Jones envoya Le Cerf reconnaître la côte irlandaise, mais le cotre se perdit rapidement; incapable de retrouver le chemin de la flotte, Le Cerf fit demi-tour et rentra en France. Jones, quant à lui, poursuivit sa route vers le nord avec les navires restants, en longeant la côte écossaise. Malgré des débuts difficiles, l'expédition commençait à être rentable, car les Franco-Américains s'emparèrent de plusieurs navires marchands britanniques le long de la côte écossaise. Le 3 septembre, la flotte de Jones contourna les îles Orcades et vira au sud. Il envoya une équipe de débarquement à Leith, le port d'Édimbourg, avec pour instruction de menacer d'incendier le port si les habitants ne payaient pas une forte rançon. Mais avant même que la menace ne soit formulée, un violent coup de vent éloigna les navires de Jones de la baie, l'obligeant à annuler le raid. Néanmoins, la vue de la flotte de Jones au large des côtes écossaises suffit à semer la panique et l'inquiétude dans toute la Grande-Bretagne.
Le convoi
Le 15 septembre, alors que John Paul Jones était occupé à semer la terreur dans les villes côtières de Grande-Bretagne, un convoi de 50 navires marchands britanniques partit d'un point de rendez-vous au large de la Norvège. Le convoi était escorté par le HMS Serapis, une frégate nouvellement construite de 42 canons à fond cuivré, ainsi que par le sloop de guerre Countess of Scarborough de 20 canons. À l'approche de la Grande-Bretagne, plusieurs navires marchands quittèrent le convoi pour rentrer au port. Le 23 septembre, il ne restait plus que 40 navires, la plupart transportant du fer ou du bois. À ce stade, le Serapis était en état d'alerte; il avait appris par des navires de passage que la flotte de Jones se trouvait dans les parages. La frégate fit signe à tous les navires marchands de rester à proximité pour leur propre protection.
En début d'après-midi, le convoi s'approcha de Flamborough Head, sur la côte du Yorkshire. À cet endroit, les vigies de plusieurs navires marchands repérèrent un groupe de navires qui semblait correspondre à la description de l'escadron de Jones. Pris de panique, les navires marchands firent demi-tour et commencèrent à naviguer vers la ville balnéaire de Scarborough. Tandis que le Countess of Scarborough, plus petit, naviguait avec le convoi pour s'assurer qu'aucun des navires ne se sépare, le Serapis, plus grand, hissa ses voiles pour s'interposer entre les étrangers qui s'approchaient et les navires marchands qui fuyaient. Lorsque le convoi fut à bonne distance, le Serapis fit signe au Countess de le rejoindre. Les deux navires de la Royal Navy se positionnèrent alors de manière à ce que l'escadre en approche ne puisse pas les contourner pour poursuivre les navires marchands. Il était un peu plus de 16 heures.
L'étrange escouade était bien sûr celle de John Paul Jones. Ses vigies avaient repéré les navires de guerre de la Royal Navy et les avaient correctement identifiés comme étant le Serapis et le Countess of Scarborough. Jones devait savoir qu'il était risqué d'attaquer les navires ennemis; après tout, il manquait à son navire amiral plusieurs officiers et hommes qui avaient été renvoyés en France à bord de navires de prise, et ceux qui restaient étaient inexpérimentés. De plus, les officiers français qui commandaient les autres navires de l'escadron n'étaient pas fiables. Néanmoins, la tentation d'affronter l'un des navires de guerre de Sa Majesté est trop forte pour que Jones y résiste. Il fit naviguer le Bonhomme Richard vers le Serapis, faisant signe à l'Alliance, au Pallas et au Vengeance de le suivre. Il ordonna à Pallas de naviguer directement dans le sillage du Bonhomme Richard, afin de dissimuler leur nombre réel à l'ennemi.
Le Bonhomme Richard était armé de 6 canons de 18 livres, 14 canons de 12 livres, 14 canons de 9 livres et 4 canons de 6 livres. L'équipage était composé d'environ 380 hommes et garçons, pour la plupart américains, et de 20 fusiliers marins français stationnés sur la dunette. Il y avait également près de 100 prisonniers à bord, dont sept acceptèrent l'offre de Jones de se battre. Le Serapis, quant à lui, était armé de cinquante canons, bien qu'il ait été considéré comme un navire de 42 canons, dont 20 canons de 18 livres, 20 canons de 9 livres et 10 canons de 6 livres. L'équipage était composé de 305 officiers et hommes (Norton).
Le duel commence
Peu après 18 h 30, Jones fit signe à ses navires de former une ligne de bataille en file indienne. Cependant, le capitaine Landais, toujours aux commandes de l'Alliance, avait d'autres projets. Il s'écarta de sa route et navigua contre le vent, comme s'il se lançait à la poursuite du convoi. Le Countess of Scarborough mordit à l'hameçon et s'éloigna pour contrer l'Alliance, laissant le Serapis aux prises avec les trois autres navires franco-américains. Vers 19 heures, alors que la nuit s'installait sur une mer calme, le Bonhomme Richard s'approcha du Serapis. Le capitaine Richard Pearson, commandant de la frégate britannique, lança un appel: "Quel est ce navire ?", ce à quoi Jones répondit : "Approchez-vous un peu et je vous le dirai" (Norton). Pearson demanda à nouveau à Jones de s'identifier, menaçant de tirer s'il ne recevait pas de réponse. Un silence tendu s'installa entre les deux navires et lorsqu'il devint évident que Jones ne répondrait pas, le Serapis ouvrit le feu, ce à quoi le Bonhomme Richard répondit par une bordée.
Lors du premier échange de tirs, deux des canons de 18 livres de Jones explosèrent et plusieurs hommes furent tués ou mutilés par la déflagration. Pendant que Jones s'occupait du carnage, le Serapis manœuvra pour faire face à la poupe du Bonhomme Richard; la frégate de la Royal Navy était beaucoup plus rapide que son adversaire, et le Bonhomme Richard ne fut pas en mesure de tourner et de s'arc-bouter avant que le Serapis ne déclenche une nouvelle bordée dévastatrice. Presque tous les fusiliers marins français stationnés sur la dunette furent tués, tandis que la hampe portant le drapeau américain fut emportée par un boulet britannique. Le vent était contraire au navire américain, empêchant Jones de sortir de sa position vulnérable. Se rendant compte qu'il avait été surpassé en armement et en manœuvres, Jones savait que son seul espoir était de s'agripper à la frégate ennemie et de l'aborder.
Le capitaine Pearson s'aperçut rapidement que les Américains tentaient de monter à bord de son navire et agit en conséquence, utilisant la manœuvrabilité supérieure du Serapis pour s'éloigner du Bonhomme Richard; les Britanniques continuèrent de bombarder les ponts du navire américain avec des canons et des armes légères, causant de nombreuses pertes. Alors que les navires tournaient l'un autour de l'autre, la proue du Bonhomme Richard heurta la poupe du Serapis. C'est à ce moment-là que Pearson interpela Jones, lui demandant s'il voulait se rendre; selon un témoin oculaire, Jones aurait répondu par ses célèbres mots: "Je n'ai pas encore commencé à me battre!". (Middlekauff, 542). Alors que les navires tentaient de se séparer, la flèche du Serapis se prit dans le mât d'artimon du Bonhomme Richard. C'était l'occasion que Jones attendait. Il ordonna à ses hommes de commencer à attacher les deux navires ensemble par tous les moyens possibles. Les Américains lancèrent des grappins sur le navire britannique, les rapprochant ainsi l'un de l'autre.
L'Alliance, quant à elle, avait tiré une bordée sur le Countess of Scarborough quelques minutes après que Bonhomme Richard et Serapis eurent entamé leur propre duel. Pendant 20 minutes, l'Alliance et le Countess of Scarborough échangèrent des coups de feu, avant que le capitaine Landais ne rompe l'engagement sous le couvert de la fumée et ne retourne rejoindre le Pallas et le Vengeance, qui n'avaient pas encore rejoint la bataille. Le capitaine Thomas Piercy du Countess of Scarborough, dont le navire n'avait pratiquement pas été endommagé, navigua pour aider le Serapis; mais à ce stade, le Bonhomme Richard et le Serapis étaient bloqués l'un contre l'autre, et Piercy ne pouvait pas tirer une bordée sans toucher le Serapis. Alors que le Countess cherchait une occasion d'intervenir, le Pallas rejoignit finalement la mêlée; il navigua vers le Countess, forçant Piercy à battre lentement en retraite face au vent.
La bataille s'intensifie
À 20h30, la lune se leva de derrière les nuages, jetant une sinistre lumière sur la bataille qui se déroulait sur les eaux sombres en contrebas. Alors que les marins américains rapprochaient le Serapis de leur propre navire, le capitaine Pearson jeta l'ancre dans l'espoir d'empêcher les hommes de Jones de monter à bord. La force de l'ancre frappant le fond de la mer fit pivoter le Bonhomme Richard, laissant chaque navire dans une direction différente. Le Bonhomme Richard était plus grand que le Serapis, ce qui permit à l'équipage positionné sur le mât supérieur de tirer clairement sur les marins britanniques qui se trouvaient en dessous. En l'espace de 25 minutes, le pont du Serapis fut vidé de ses hommes et couvert de sang. Cependant, les marins britanniques continuèrent à tirer de façon dévastatrice depuis le pont inférieur. Alors que les deux navires se tiraient dessus à bout portant, les voiles du Serapis prirent feu et le brasier se propagea rapidement au navire de Jones. Le combat fut brièvement interrompu, les deux équipages se précipitant pour éteindre le feu avec des tonneaux d'eau potable.
Le capitaine Landais, qui avait observé le combat, choisit ce moment pour s'impliquer à nouveau, en ordonnant à l'Alliance de passer devant les navires qui se battaient. Landais fit alors ce que Piercy avait eu peur de faire, et tira une bordée sur les navires entrelacés. La bordée, composée de balles rondes et de mitraille, endommagea considérablement les deux navires, certains tirs traversant le pont du Bonhomme Richard et tuant plusieurs des artilleurs américains restants. Plutôt que de s'arrêter pour monter à bord du Serapis, Landais poursuivit sa route, préférant aider le Pallas à poursuivre le Countess. Après s'être remis de ce tir ami, un marin américain, William Hamilton, lança une grenade par l'une des écoutilles du Serapis. Elle atterrit sur une caisse de poudre à canon, déclenchant une explosion qui tua 20 marins britanniques et en blessa beaucoup d'autres.
Bien que l'explosion ait dévasté le Serapis, le Bonhomme Richard risquait de perdre le duel. À 21h30, sa cale avait pris près de 1,5 m d'eau, ce qui le mettait en danger critique de couler, et une rumeur commença à circuler selon laquelle Jones avait été tué. Trois marins américains perdirent leur sang-froid et tentèrent de se rendre, se précipitant sur le pont pour agiter un drapeau de trêve improvisé et criant qu'ils se rendaient. Jones, qui n'était pas mort mais qui prenait un moment de répit dans le poulailler du navire, se précipita sur le pont et confronta les marins qui capitulaient; ils retournèrent à leurs tâches; selon une autre version de l'histoire, Jones aurait tiré sur les trois hommes avec ses pistolets. Lorsque l'équipage britannique demanda si les marins américains souhaitaient vraiment se rendre, Jones aurait répondu: "I may sink, but I'll be damned if I strike!". (battlefields.org) des mots signifiant "non seulement non, mais jamais de la vie".
Le Serapis se rend
Vers 22 h 15, l'Alliance revint et Landais lança une nouvelle salve sur les navires qui se battaient toujours. Les hommes de Jones les supplièrent d'arrêter, mais Landais les ignora. Il tira une troisième salve de mitraille, cette fois-ci directement sur la proue du Bonhomme Richard, déchirant la chair de nombreux marins américains. Il serait difficile de croire que Landais ne savait pas ce qu'il faisait, car le clair de lune était suffisant pour éclairer la bataille et distinguer les navires; le Bonhomme Richard était peint en noir tandis que le Serapis avait des flancs jaunes. Certains spécialistes accusent Landais d'avoir intentionnellement tenté de couler le Bonhomme Richard pour s'attribuer le mérite de la victoire, tandis que d'autres prétendent qu'il était tout simplement fou. Le Bonhomme Richard continua de couler lentement et Jones perdit tellement d'hommes qu'il fut contraint de libérer les 100 prisonniers gardés sous le pont et de les supplier de se battre pour sauver leur propre vie.
Le capitaine Pearson, quant à lui, n'avait aucune idée du chaos qui régnait sur le navire de Jones. Tout ce qu'il savait, c'est que son propre navire était dans un état critique et qu'il avait perdu une grande partie de ses hommes. Vers 22h30, Pearson annonça qu'il se rendait et mit lui-même pavillon bas. La bataille sanglante était enfin terminée; les Américains avaient perdu environ 170 tués ou blessés, tandis que les Britanniques avaient subi environ 117 pertes, et leurs deux navires furent capturés.
Suites de la bataille
Pendant la nuit, les Américains s'efforcèrent de sauver le Bonhomme Richard du naufrage, en pompant l'eau de la cale et en jetant les canons les plus lourds par-dessus bord; les morts furent également jetés à la mer après avoir été soumis aux rituels appropriés. Les tentatives de sauvetage se poursuivirent jusqu'au lendemain, lorsqu'il fut finalement décidé que le navire ne pouvait être sauvé. Jones transféra l'équipage et les prisonniers sur d'autres navires, laissant sur place la plupart de leurs biens personnels. Le 25 septembre à 11 heures, le Bonhomme Richard finit par couler. L'escadron de Jones, qui comprenait les deux navires britanniques capturés, fit ensuite route vers Texel, une petite île au large de la Hollande, où ils arrivèrent le 3 octobre.
En attendant que ses navires soient réparés, Jones envoya à Benjamin Franklin un rapport sur la bataille, dans lequel il mentionna la conduite douteuse du capitaine Landais; sur les conseils de Franklin, Jones retira le commandement à Landais, dans l'attente d'une enquête officielle sur ses actions (Landais ne fut jamais jugé et conserverait d'autres commandements par la suite). Pendant ce temps, l'ambassadeur britannique exigea que la République néerlandaise arrête Jones et saisisse ses navires; pour la Grande-Bretagne, Jones n'était rien d'autre qu'un pirate, "un sujet rebelle et un criminel de l'État" (Boatner, 566). Les Néerlandais se trouvèrent alors dans une situation délicate, car s'ils refusaient d'arrêter Jones pour piraterie, ils reconnaissaient implicitement l'indépendance des États-Unis et perdaient donc leur neutralité.
Le problème fut résolu lorsque Jones transféra tous les navires, à l'exception de l'Alliance, sous le contrôle du gouvernement français afin qu'ils ne puissent plus être considérés comme des navires pirates. Le 27 décembre, Jones rentra à Paris, où il fut accueilli en héros et reçut le titre de "chevalier" du roi de France Louis XVI. Jones resterait encore un an en France avant de rentrer en triomphe aux États-Unis. La bataille de Flamborough Head et la capture du Serapis restent l'une des actions navales les plus célèbres de la guerre d'Indépendance américaine et sont considérées comme l'une des premières grandes victoires de la jeune marine américaine.