La défense par les forces françaises libres du point d'eau isolé de Bir Hakeim en Libye, en Afrique du Nord, en mai-juin 1942, pendant la Seconde Guerre mondiale (1939-45), fut l'un des épisodes les plus héroïques de l'histoire militaire française. Bien qu'ils aient fini par échouer, les défenseurs, qui comprenaient des unités de la célèbre Légion étrangère française, résistèrent pendant 15 jours à quatre divisions allemandes et italiennes commandées par nul autre que le général Erwin Rommel (1891-1944).
Les forces de l'Axe attaquèrent Bir Hakeim parce qu'elle faisait partie des défenses alliées de la ligne Gazala, qui protégeait l'approche du port vital de Tobrouk. Lorsqu'ils furent finalement submergés, 2 700 soldats français libres sur une garnison initiale de 3 700 réussirent à s'échapper de Bir Hakeim en vue de poursuivre la lutte ailleurs. Pendant ce temps, Rommel battit le reste des forces alliées à la bataille de Gazala et s'empara de Tobrouk en juin 1942, sa plus grande victoire en Afrique du Nord.
Guerre du Désert
Au cours des premières années de la deuxième guerre mondiale, les Alliés, alors principalement les forces britanniques et du Commonwealth, étaient particulièrement soucieux de protéger le canal de Suez afin qu'il ne tombe pas aux mains de l'ennemi, c'est-à-dire sous le contrôle des puissances de l'Axe, l'Allemagne et l'Italie. L'Afrique du Nord revêtait également une importance stratégique si l'une ou l'autre des parties souhaitait contrôler et protéger les routes maritimes méditerranéennes vitales. L'île de Malte était cruciale à cet égard, et la possession de la forteresse insulaire (alors aux mains des Britanniques) constituait une raison supplémentaire de contrôler les aérodromes potentiels dans le désert nord-africain. Enfin, l'Afrique du Nord était, à ce stade du conflit, le seul endroit où les troupes britanniques et françaises pouvaient mener une guerre terrestre contre l'Allemagne et l'Italie. Après la débâcle embarrassante de l'évacuation de Dunkerque et l'humiliante chute de la France en 1940, toute victoire militaire constituerait un coup de fouet vital pour le moral des Alliés.
Pour toutes ces raisons, une série de batailles dans le désert s'ensuivit, connues collectivement sous le nom de Guerre du désert (juin 1940 à janvier 1943). Au début, la Huitième armée britannique affronta des forces italiennes mal équipées, mais celles-ci furent rapidement considérablement renforcées par des troupes allemandes dotées de blindages, d'armes et d'un entraînement bien supérieurs. À partir de janvier 1941, les forces de l'Axe en Afrique bénéficièrent des capacités de commandement considérables du général Erwin Rommel, un homme qui avait déjà acquis une réputation de maître de la tactique des blindés rapides lors de la chute de la France en 1940. Rommel commanda d'abord le groupe spécialisé Deutsche Afrikakorps (DAK) et prouva sa valeur en s'emparant d'El Agheila en mars 1941, puis de Mersa Brega le 1er avril. En juillet, Rommel prit le commandement de toutes les forces allemandes et italiennes en Afrique du Nord, même s'il restait techniquement sous l'autorité du haut commandement italien. Deux victoires contre des offensives alliées en mai et juin (sous les noms de code Brevity et Battleaxe, respectivement) furent suivies d'une défaite lors d'une troisième offensive en novembre, sous le nom de code Crusader. Les deux problèmes persistants de Rommel étaient l'insuffisance des effectifs et le manque de ravitaillement (en particulier de nourriture, de carburant et de munitions), mais en janvier 1942, la situation s'était nettement améliorée et le général allemand, faisant fi des ordres de privilégier la défense, passa alors à l'attaque.
La Huitième armée britannique, composée de troupes issues de Grande-Bretagne, de l'Empire britannique et de la France libre, était commandée par le lieutenant-général Neil Ritchie (1897-1985). Le commandant général des troupes alliées au Moyen-Orient était le général Claude Auchinleck (1884-1981). Malheureusement, à ce stade de la Guerre du désert, l'armée britannique était mal équipée, mal entraînée et mal dirigée. En revanche, "la force de Rommel était numériquement inférieure, mais ses troupes étaient plus professionnelles, mieux dirigées et profondément imprégnées de la coopération de toutes les armes" (Dear, 992).
La ligne Gazala
Rommel était déterminé à s'emparer du port forteresse de Tobrouk, plaque tournante logistique vitale pour toute la région. Il reprit d'abord rapidement la quasi-totalité du territoire perdu lors de l'offensive Crusader, puis s'intéressa à la ligne de défense alliée de Gazala, située à 64 km à l'ouest de Tobrouk et dont elle protégeait l'approche. Une attaque contre la Huitième Armée anticiperait une offensive britannique visant à repousser Rommel en vue d'un débarquement allié à grande échelle en Afrique du Nord, prévu pour novembre 1942. La ligne Gazala était une série de défenses statiques composées de points d'appui isolés, chacun défendu par une brigade, avec des chars d'assaut répartis entre les deux, chaque point d'appui étant protégé par des barbelés, des tranchées et une profonde ceinture de champs de mines. La ligne s'étendait au sud de Gazala, sur la côte, jusqu'à l'avant-poste isolé de Bir Hakeim, qui protégeait une importante route du désert, bien qu'en réalité, il ne s'agissait que de pistes bédouines.
L'avant-poste de Bir Hakeim, situé dans le désert, se résumait à un fort en ruines et à quelques cabanes en béton. À l'exception d'une petite colline que les Français appelaient l'"Observatoire", il n'y avait pratiquement aucune caractéristique topographique importante et rien qui puisse servir de fortifications défensives. Bir Hakeim possédait un puits naturel ou une citerne profonde, mais n'était guère plus qu'un nom sur la carte. De plus, situé à l'extrémité de la ligne Gazala, il n'y avait rien d'autre autour que du désert, et la position pouvait donc être attaquée de tous les côtés. Une force française libre fut chargée de défendre cet avant-poste. En effet, si Bir Hakeim restait aux mains des Alliés, cela menacerait le flanc sud (droit) de l'attaque principale de Rommel contre la Huitième Armée. Bir Hakeim devait être pris.
Les défenses françaises
La 1ère Brigade Française Libre (1st Free French Brigade) à Bir Hakeim était commandée par le général de brigade Marie-Pierre Koenig (1898-1970). La force comprenait deux bataillons de la célèbre Légion étrangère française (13e Demi-Brigade de la Légion Etrangère ou DBLE). Koenig disposait de quatre autres bataillons d'infanterie, dont des troupes coloniales françaises du Tchad et du Congo. Il y avait également un bataillon d'artillerie et une compagnie d'artilleurs antichars. Au total, Koenig avait environ 3 700 soldats sous son commandement.
Koenig avait une grande expérience des combats depuis la Première Guerre mondiale (1914-18), puis au Maroc avec la Légion étrangère française dans les années 1930, et dans les campagnes de ce dernier conflit en Norvège, en France, à Dakar, au Gabon et en Syrie. Par conséquent, le rusé commandant savait exactement comment défendre au mieux ce qui semblait être une position totalement indéfendable à Bir Hakeim.
La Légion étrangère française recrutait des soldats venus de toute l'Europe, souvent pour échapper aux autorités de leur pays. A Bir Hakeim, il y avait des légionnaires russes, géorgiens, croates et même allemands. Il y avait aussi la particularité de la seule femme légionnaire étrangère, Susan Travers. Travers était anglaise, avait servi dans la Croix-Rouge et servait maintenant de chauffeur à Koenig; elle était aussi sa maitresse secrète. Travers allait se battre dans d'autres théâtres pendant la guerre et remporter la prestigieuse Légion d'honneur.
La force de Koenig, qui arriva au puits le 14 février, disposa de trois mois pour préparer ses défenses, et le temps fut bien utilisé. Les forces françaises libres disposaient de 26 canons de 75 mm, un peu dépassés mais toujours efficaces contre les chars, de 62 canons antichars et de 44 mortiers. La région autour du puits étant assez plate, les Français établirent leurs propres lignes de défense, composées d'un système de tranchées et de postes de défense souterrains disposés en cercles concentriques afin que les troupes puissent se replier dans un périmètre de plus en plus petit au cas où l'ennemi franchirait la ligne extérieure. Autour de ces tranchées se trouvaient de profondes fosses dans lesquelles était placée une pièce d'artillerie. L'ensemble du système était si discret et si bien camouflé qu'il était extrêmement difficile d'identifier l'endroit où étaient regroupés les défenseurs, que ce soit depuis le sol ou depuis les airs. Les Français libres disposaient d'importantes réserves de munitions et de nourriture, bien que cette dernière comprenait des rations britanniques standard de corned beef en boîte, une expérience sans doute peu familière pour le palais d'un légionnaire.
L'attaque
Alors que les chars allemands de Rommel étaient envoyés autour de la ligne Gazala pour tenter d'attaquer les Britanniques par l'arrière, Bir Hakeim fut attaqué le 27 mai par une force italienne, la 132a Divisione Corazzata "Ariete". Les Italiens durent d'abord faire face à la 3e brigade motorisée indienne qui, à l'insu de Rommel, s'était stationnée au sud de la cible et bloquait leur ligne d'approche. Les deux camps furent surpris de se faire face dans le désert, mais les Italiens balayèrent facilement la brigade et firent 450 prisonniers. En arrivant à Bir Hakeim, les chars italiens se trouvèrent sérieusement gênés par les vastes champs de mines qui protégeaient le site. Les blindés italiens furent également soumis au feu nourri de l'artillerie française. Néanmoins, le général Giuseppe de Stefanis réussit à repousser les blindés mobiles de l'ennemi - des unités de la 4e brigade blindée britannique et de la 7e brigade motorisée - qui avaient été postés pour protéger ce point fort particulier de la ligne Gazala, puis il attaqua les défenses extérieures de la France libre. Les Italiens perdirent 32 chars lors de leurs deux premières attaques et furent repoussés, mais ils parvinrent à encercler Bir Hakeim. Sur les instructions de Rommel, le commandant italien envoya une délégation sous un drapeau blanc pour offrir aux Français la possibilité d'une reddition immédiate. Koenig rejeta l'offre avec le message suivant: "Messieurs, remerciez vos généraux pour leur aimable comportement, mais dites-leur qu'il n'est pas question que nous nous rendions" (Holland, 105). Ce ne serait pas le dernier appel à la reddition au cours des 15 jours suivants, mais Koenig resta déterminé à défendre coûte que coûte ce dernier carré des défenses de la ligne Gazala.
Les forces françaises libres assiégées furent alors soumises à un nombre croissant de tirs d'artillerie et d'attaques aériennes, mais elles furent parfois aidées par les sorties de la Desert Air Force alliée, qui effectua plusieurs attaques contre les chars italiens qui se rapprochaient de plus en plus de Bir Hakeim. Abandonné par la huitième armée britannique, Koenig réussit à envoyer au vice-maréchal de l'air Coningham le message de reconnaissance suivant: "Bravo! Merci pour la RAF" (Ford, 54). Koenig n'était pas entièrement tourné vers la défense, puisqu'il organisa plusieurs patrouilles pour attaquer les lignes de ravitaillement des assiégeants sous le couvert de l'obscurité. Ces raids furent si fructueux et les prisonniers si nombreux que Koenig fut obligé de construire une zone clôturée pour servir de camp de prisonniers de guerre.
Pendant ce temps, face à la résistance inattendue des nouveaux chars Grant de la Huitième Armée, Rommel retira sa force principale dans une dépression appelée "le Chaudron" pour se regrouper et se réapprovisionner. Il fut également déçu d'apprendre que Bir Hakeim n'avait pas encore été pris, une tâche qui, selon lui, n'aurait pas dû prendre plus d'une journée. Le 2 juin, Rommel ordonna une nouvelle offensive sur Bir Hakeim, renforçant les troupes italiennes avec la 90e division allemande Leichte et la division italienne Trieste. Pour distraire l'ennemi, Rommel envoya la 21e Panzerdivision au nord. La force renforcée qui attaqua Bir Hakeim ne réussit toujours pas faire beaucoup de progrès face à la résistance acharnée des Français libres. En conséquence, Rommel envoya un groupement tactique de la 15e Panzerdivision le 6 juin. Les forces françaises libres, combattant dans leur propre coin de la bataille de Gazala, nom désormais donné à cette attaque, étaient maintenant confrontées à un assortiment écrasant de blindés, d'artillerie, d'infanterie et d'avions ennemis.
Le 7 juin, les forces de l'Axe, aidées par les frappes aériennes, effectuèrent une nouvelle poussée collective pour déloger les Français libres, mais, une fois de plus, les défenseurs s'accrochèrent à leur position. Les attaques aériennes étaient généralement menées en piqué par des bombardiers Junker Ju 87 "Stuka", que Susan Travers décrit comme "une invasion de sauterelles argentées planant au-dessus de nous" (Holland, 105). Alors que les attaques s'intensifiaient, jusqu'à 24 raids Stuka furent menés en une seule journée. En conséquence, l'approvisionnement au compte-gouttes qui parvenait aux Français libres se tarit complètement. Les défenseurs finirent par se rationner: une tasse d'eau par personne et par jour.
Le 8 juin, Rommel lança deux autres groupements tactiques allemands. Les chars et l'infanterie tentèrent d'envahir Bir Hakeim tandis que 54 avions de chasse et 45 bombardiers, dont des Stukas, pilonnèrent les défenses souterraines. Les Français libres tinrent bon, bien que leurs lignes se soient rétrécies à chaque nouvelle attaque et qu'ils aient régulièrement perdu leurs pièces d'artillerie lourde, l'une après l'autre. Koenig savait qu'il ne pourrait pas tenir la position plus longtemps et demanda à ses supérieurs britanniques d'envoyer une force de secours, mais aucune n'arriva, à l'exception de deux forces terriblement inadéquates du XXXe Corps. La Huitième Armée était à ce moment précis en plein désarroi, car Rommel lançait de multiples attaques depuis le Chaudron. Le seul soutien pour les Français libres vint des airs. Le 8 juin, la Desert Air Force effectua 478 sorties contre les quatre divisions ennemies qui encerclaient Bir Hakeim. Le 9 juin, Rommel ordonna un nouveau pilonnage d'artillerie sur les positions défensives. Les chars et l'infanterie de l'Axe attaquèrent en deux grandes vagues, perçant à chaque fois l'anneau défensif, mais à chaque fois ils furent repoussés.
Les hommes de Koenig étaient désormais épuisés et les munitions, la nourriture et les fournitures médicales commençaient à manquer. Koenig reçut l'ordre de retirer ses forces dans la nuit du 10 juin, mais le commandant français avait déjà fait ses propres plans en dégageant un chemin de 45 mètres à travers le champ de mines vers le sud-ouest. Ce jour-là, Rommel arriva en personne pour prendre en charge l'attaque. Une fois de plus, l'infanterie, les chars et l'artillerie de l'Axe attaquèrent Bir Hakeim, et l'aviation effectua sa journée de bombardement la plus intense. Alors que les combats devenaient de plus en plus intenses et de plus en plus confus, les Français s'éclipsèrent dans l'obscurité par le chemin préparé à travers le champ de mines. Les blessés furent transportés, Travers en tête, conduisant Koenig dans sa jeep de commandement, qui avait été remplie de sacs de sable pour une meilleure protection. Deux compagnies continuèrent à combattre l'ennemi afin de couvrir la retraite. Rommel se rendit compte que l'ennemi se repliait lorsqu'un camion français heurta une mine. Il fit alors éclairer la zone par des fusées éclairantes de parachutistes, puis la bombarda lourdement. Dans la confusion, les Français libres s'engouffrèrent dans les lignes de l'Axe. D'autres moyens de transport, cette fois-ci fournis par la 7e brigade motorisée britannique, arrivèrent pour emmener le plus grand nombre possible de défenseurs, le plus rapidement possible. La position de Bir Hakeim, désormais inutile, fut finalement capturée le 11 juin. 2 700 défenseurs de la garnison initiale de 3 600 hommes réussirent à s'échapper. Les forces de l'Axe subirent 3 000 pertes au cours des 15 jours d'attaque.
Suites de l'attaque
La défense de Bir Hakeim retarda certainement Rommel dans ses plans, mais la Huitième Armée n'utilisa pas ce temps à bon escient. En effet, la position de l'armée britannique était de plus en plus précaire. Rommel s'empara d'un point d'appui britannique central, Knightsbridge, dans la nuit du 12 juin. La Huitième Armée perdit plus de 140 chars en 24 heures. La Huitième Armée était totalement désorganisée et la ligne Gazala cessa d'être une défense efficace. Rommel remportant de nouvelles victoires contre des poches isolées de forces alliées, la voie vers Tobrouk lui était grande ouverte. La bataille de Gazala se termina le 17 juin par une défaite cuisante des Alliés. Rommel encercla Tobrouk le 17 juin et, avec un important soutien aérien, s'empara du port le 21 juin. 33 000 hommes furent faits prisonniers de guerre. Rommel fut promu Generalfeldmarschall (ou Feldmarschall) pour cette victoire, sa plus grande en Afrique. La Huitième Armée, qui avait perdu 50 000 hommes mais restait une force redoutable, se replia derrière la ligne de défense d'El Alamein, située plus à l'est le long de la côte égyptienne. Le sort de la guerre bascula à nouveau lorsque les Britanniques, réorganisés, réapprovisionnés et désormais dirigés par le général Bernard Montgomery (1887-1976), remportèrent la deuxième bataille cruciale d'El Alamein en octobre-novembre 1942, la première d'une longue série de victoires qui, en mai 1943, sécurisèrent l'Afrique du Nord pour les Alliés.
La bataille de Bir Hakeim établit la réputation des Français libres en tant que force de combat viable dans la guerre. Elle remonta le moral des Français et la bataille reste dans les mémoires comme un grand exploit de bravoure face à des forces adverses démesurées. La bataille est aujourd'hui commémorée par le nom d'une station du métro parisien, qui amène chaque année des millions de visiteurs à la tour Eiffel. Un pont de la Seine porte également le nom de Bir Hakeim, tandis qu'une pièce d'artillerie originale utilisée pour la défense de cet endroit perdu dans le désert est exposée en permanence au musée de l'Armée à Paris.