Red Horse (Tasunka Luta, c. 1822-1907) était un chef des Sioux Miniconjou Lakota, surtout connu pour son récit de première main de la bataille de Little Bighorn (25-26 juin 1876) et pour les 42 dessins qu'il réalisa dans son livre de comptes pour illustrer la bataille. Le récit fut livré en 1881, l'année même où Red Horse dessina les images, qui ont été redécouvertes en 2016.
On sait peu de choses sur Red Horse en dehors de sa participation à la bataille de Little Bighorn. Il était sous-chef, se maria deux fois et eut trois enfants. Dans ses récits de la bataille (il y en a un autre en plus de celui donné ci-dessous), il se concentre sur l'événement à proprement dit, et non sur sa participation, bien qu'il indique clairement qu'il était au cœur du combat. En 1881, le Dr Charles E. McChesney, du Smithsonian Bureau of Ethnology, commanda une étude sur la langue des signes et l'art (écriture pictographique) des Amérindiens, qui inspira les dessins de Red Horse et son récit de la bataille, qu'il fit en utilisant la langue des signes et qui fut ensuite traduite en anglais.
La version la plus connue du récit fut publiée par Garrick Mallery dans Picture Writing of the American Indians (1893), accompagnée de copies de certains dessins, mais ceux-ci ne furent pas vus par grand monde en dehors du Bureau of American Ethnology, et les œuvres originales furent envoyées aux National Anthropological Archives de la Smithsonian Institution, où elles furent soigneusement rangées dans des tiroirs et oubliées, jusqu'à ce que le professeur Scott D. Sagan de l'université de Stanford, en Californie, et son assistante de recherche Sarah Sadlier (une Sioux Miniconjou) ne les fassent réapparaître en 2016, à l'occasion de l'exposition Red Horse: Drawings of the Battle of the Little Bighorn, au Cantor Arts Center, en Californie.
Aujourd'hui, les dessins du grand livre et le récit sont plus largement connus et, comme la description par les Cheyennes et les Arapahos de la bataille de Little Bighorn et du massacre de la Washita, Yellow Hair: George Armstrong Custer, ils présentent le point de vue des Autochtones sur la bataille et le conflit plus large connu sous le nom de guerres indiennes du milieu à la fin du XIXe siècle.
Contexte et récit de Red Horse
La bataille de Little Bighorn est l'engagement le plus connu de la Grande Guerre Sioux (1876-1877) et l'un des plus célèbres de l'histoire américaine. Le lieutenant-colonel George Armstrong Custer (1839-1876), à la tête du 7e régiment de cavalerie, raffronta les forces combinées des Sioux, des Cheyennes et des Arapahos, rassemblées par le chef sioux Sitting Bull (c. 1837-1890), près de la rivière Little Bighorn, dans l'actuel Montana. Custer et cinq divisions de la 7e cavalerie furent anéantis, et le gouvernement américain riposta en poursuivant les bandes d'Indiens des plaines, qu'il finit par pousser dans des réserves.
La bataille fut présentée dans la presse américaine de l'époque comme "le massacre de nos troupes", comme si le 7e régiment de cavalerie s'était promené un jour et avait été soudainement attaqué et tué par des "sauvages" sans raison. En réalité, les Sioux, les Cheyennes, les Arapahos et d'autres nations tentaient de négocier des relations pacifiques avec les Euro-Américains depuis le traité de Fort Laramie de 1851. Ce traité ne fut jamais respecté par les États-Unis, pas plus que les autres, notamment le traité de Medicine Lodge de 1867 et le traité de Fort Laramie de 1868. L'expansion vers l'ouest au nom de la Destinée Manifeste ne serait pas interrompue simplement parce que les Indiens des Plaines vivaient sur ces terres bien avant l'arrivée des premiers Européens en Amérique du Nord.
Sitting Bull convoqua le grand rassemblement de Little Bighorn (connu par les autochtones sous le nom de Greasy Grass, d'où le nom de la bataille de Greasy Grass) pour tenir conseil avec les autres chefs et tenter de trouver un moyen de défendre leurs terres contre l'invasion en cours. Custer avait été envoyé pour trouver leur camp, tuer les guerriers et capturer les femmes et les enfants pour les garder en otage.
Bien que ses éclaireurs autochtones l'aient averti que le camp de Sitting Bull était plus grand - et comptait plus de guerriers - que prévu, Custer n'en tint pas compte. Il divisa ses troupes pour encercler le camp - comme il l'avait fait avec succès lors du massacre de Washita - et lança l'attaque, qui se solderait par sa mort et celle de cinq divisions de sa cavalerie.
Le récit de Red Horse n'aborde aucun de ces détails, mais se concentre sur la bataille à proprement parler. Les détails qu'il donne correspondent à ceux d'autres rapports autochtones publiés plus tard sur le chaos du conflit, notamment celui du guerrier sioux Rain-in-the-Face (c. 1835-1905) et celui de l'homme-médecine sioux oglala Black Elk (1863-1950), publié sous le titre Black Elk on the Battle of the Little Bighorn (Black Elk Speaks). Bien que Red Horse mentionne Custer dans son récit, la plupart des rapports indiquent clairement que personne ne savait que Custer était sur le terrain ce jour-là, en raison de l'attaque rapide de la cavalerie et de la poussière soulevée par les chevaux.
Le récit de Red Horse est accompagné de 42 dessins du grand livre de la bataille représentant les pertes dans les deux camps, les combats au corps à corps et la sortie de chaque camp du champ de bataille. L'art du grand livre est constitué de dessins ou de peintures réalisés sur du tissu ou du papier et utilisés dans les grands livres et fut adopté par les Indiens des Plaines dans les années 1860. Auparavant, les Autochtones de la région utilisaient des peaux (principalement de bison) pour leur art, mais comme le gouvernement américain exterminait systématiquement les troupeaux de bisons pour priver les Indiens des Plaines de leur principale source de nourriture, les animaux devinrent rares et le tissu ou le papier furent alors utilisés comme support.
L'art du grand livre des Indiens des plaines dépeint de nombreux aspects de la vie quotidienne, y compris les rituels de séduction et les parties de chasse, mais se concentre principalement sur les batailles. L'artiste prenait toujours soin de décrire les événements en détail et, comme dans le cas de l'œuvre de Red Horse, on peut dire qui sont les gens, à quelle nation ou bande appartenaient les guerriers, et même, plus ou moins, le lieu et le terrain. Ensemble, le récit et l'œuvre d'art de Red Horse constituent l'une des représentations les plus intéressantes de la bataille de Little Bighorn que l'on connaisse.
Le texte
Le texte suivant est la traduction d'un extrait de Picture Writing of the American Indians, Volume I (1893) de Garrick Mallery, réédité par Dover Publications en 2012.
Il y a cinq printemps, avec de nombreux Indiens Sioux, j'ai démonté et emballé nos tipis et je me suis déplacé de Cheyenne River à Rosebud River, où nous avons campé quelques jours; puis j'ai démonté et emballé nos huttes et je me suis déplacé jusqu'à Little Bighorn River et j'ai installé nos huttes avec le grand camp de Sioux.
Les Sioux campaient sur la rivière Little Bighorn de la manière suivante: Les huttes des Uncpapas étaient installées le plus haut sur la rivière, sous une falaise. Les huttes des Santee étaient installées à côté. Les huttes des Ogallala furent installées ensuite. Les huttes des Brûlés furent installées après. Les huttes Miniconjou furent installées à leur tour. Les huttes des Sans Arcs furent installées à leur tour. Les huttes des Blackfeet furent installées à leur tour. Les huttes des Cheyennes furent installées à leur tour. Quelques Indiens Arikara se trouvaient parmi les Sioux (n'ayant pas de huttes à eux). Two-Kettles, parmi les autres Sioux (sans huttes).
J'étais un chef sioux dans la loge du conseil. Ma loge était installée au centre du camp. Le jour de l'attaque, j'étais avec quatre femmes à une courte distance du camp en train de récolter des navets sauvages. Soudain, l'une des femmes a attiré mon attention sur un nuage de poussière qui s'élevait à une courte distance du camp. J'ai vite vu que les soldats étaient en train de charger le camp. Les femmes et moi-même avons couru vers le camp. Lorsque je suis arrivé, quelqu'un m'a dit de me dépêcher de me rendre à la loge du conseil. Les soldats chargeaient si vite que nous ne pouvions pas parler (conseil). Nous sommes sortis de la loge du conseil et nous avons parlé dans toutes les directions. Les Sioux montèrent à cheval, prirent des fusils et partirent combattre les soldats. Les femmes et les enfants montèrent à cheval et partirent, c'est-à-dire qu'ils se mirent à l'écart.
Parmi les soldats, il y avait un officier qui montait un cheval avec quatre pieds blancs. [Cet officier était manifestement le capitaine French, de la septième cavalerie]. Les Sioux ont longtemps combattu de nombreux hommes courageux de différents peuples, mais les Sioux disent que cet officier était l'homme le plus courageux qu'ils aient jamais combattu. Je ne sais pas s'il s'agissait du général Custer ou non. Beaucoup de Sioux que j'entends parler me disent que c'était lui. J'ai vu cet officier au combat à plusieurs reprises, mais je n'ai pas vu son corps. On m'a dit qu'il avait été tué par un Indien Santee qui avait pris son cheval. Cet officier portait un chapeau à larges bords et un manteau en peau. Il a sauvé la vie de nombreux soldats en faisant tourner son cheval et en couvrant la retraite. Les Sioux disent que cet officier était l'homme le plus courageux qu'ils aient jamais combattu. J'ai vu deux officiers qui se ressemblaient, tous deux ayant de longs cheveux jaunâtres.
Avant l'attaque, les Sioux campaient sur la rivière Rosebud. Les Sioux avaient descendu une rivière qui se jetait dans la rivière Little Bighorn, avaient traversé la rivière Little Bighorn et campaient sur sa rive ouest.
Ce jour-là [jour de l'attaque], un Sioux se rendait à l'agence de Red Cloud, mais après avoir parcouru une courte distance depuis le camp, il vit un nuage de poussière s'élever et fit demi-tour en disant qu'il pensait qu'un troupeau de bisons s'approchait du village.
La journée était chaude. En peu de temps, les soldats chargèrent le camp. [Il s'agissait du bataillon du major Reno de la septième cavalerie]. Les soldats empruntèrent la piste tracée par le camp sioux en mouvement, traversèrent la rivière Little Bighorn en amont de l'endroit où les Sioux l'avaient traversée et attaquèrent les huttes des Uncpapas, les plus éloignées de la rivière. Les femmes et les enfants descendirent la rivière Little Bighorn sur une courte distance jusqu'à un ravin. Les soldats mirent le feu aux huttes. Tous les Sioux chargèrent alors les soldats et les poussèrent dans la confusion à travers la rivière Little Bighorn, qui était très rapide et dans laquelle plusieurs soldats se noyèrent. Sur une colline, les soldats s'arrêtèrent et les Sioux les encerclèrent. Un Sioux vint dire qu'un autre groupe de soldats avait fait prisonniers toutes les femmes et tous les enfants. Comme un tourbillon, la nouvelle se répandit, et les Sioux l'entendirent tous. Ils laissèrent les soldats sur la colline et allèrent rapidement sauver les femmes et les enfants.
De la colline où se trouvaient les soldats à l'endroit où les différents soldats [par ce terme, Red Horse désigne toujours le bataillon immédiatement commandé par le général Custer, son mode de distinction étant qu'il s'agissait d'un corps différent de celui rencontré en premier] ont été vus, il y avait un terrain plat à l'exception d'un ruisseau. Les Sioux pensaient que les soldats de la colline [c'est-à-dire le bataillon de Reno] les chargeraient à l'arrière, mais comme ils ne le faisaient pas, les Sioux pensèrent que les soldats de la colline n'avaient plus de cartouches. Dès que nous avons tué les différents soldats, les Sioux sont tous retournés tuer les soldats de la colline. Tous les Sioux observaient la colline sur laquelle se trouvaient les soldats jusqu'à ce qu'un Sioux vienne dire que de nombreux soldats s'approchaient en marchant. L'arrivée des soldats à pied a sauvé les soldats de la colline. Les Sioux ne peuvent pas combattre les fantassins, car ils ont peur d'eux, c'est pourquoi ils se sont empressés de partir.
Les soldats chargèrent le camp sioux vers midi. Les soldats étaient divisés, une partie chargeant directement dans le camp. Après avoir fait traverser la rivière à ces soldats, les Sioux chargèrent les différents soldats [c'est-à-dire ceux de Custer] qui se trouvaient en dessous, et les poussèrent à la confusion; ces soldats devinrent fous, beaucoup jetèrent leurs fusils et levèrent les mains en disant: "Sioux, ayez pitié de nous; faites-nous prisonniers." Les Sioux ne firent pas un seul prisonnier, mais les tuèrent tous; aucun ne resta en vie, ne serait-ce que quelques minutes. Ces différents soldats tirèrent avec leurs armes mais très peu. J'ai pris un fusil et deux ceintures à deux soldats morts; dans une ceinture, seules deux cartouches manquaient, et dans l'autre, seulement cinq.
Les Sioux prirent les fusils et les cartouches des soldats morts et sont allés sur la colline où se trouvaient les soldats, les ont encerclés et les ont combattus avec les fusils et les cartouches des soldats morts. Si les soldats ne s'étaient pas divisés, je pense qu'ils auraient tué beaucoup de Sioux. Les différents soldats [c'est-à-dire le bataillon de Custer] que les Sioux ont tués résistèrent à cinq assauts. Une fois, les Sioux chargèrent en plein milieu des différents soldats et les dispersèrent tous, se battant au corps à corps entre les soldats.
Une bande de soldats se trouvait à l'arrière des Sioux. Lorsque cette bande de soldats a chargé, les Sioux ont reculé, et les Sioux et les soldats se sont retrouvés face à face. Tous les Sioux se sont alors enhardis et ont chargé les soldats. Les Sioux ont parcouru une courte distance avant de se séparer et d'encercler les soldats. Je voyais les officiers chevaucher devant les soldats et je les entendais tirer. Les Sioux avaient maintenant beaucoup de morts. Les soldats ont tué 136 Sioux et en ont blessé 160. Les Sioux ont tué tous ces soldats différents dans le ravin.
Les soldats ont chargé le camp sioux le plus en amont de la rivière. Peu de temps après, les soldats ont attaqué le village situé en contrebas. Alors que les différents soldats et les Sioux se battaient ensemble, le chef sioux a dit: "Hommes sioux, allez surveiller les soldats sur la colline et empêchez-les de rejoindre les différents soldats." Les Sioux prirent les vêtements des morts et s'en vêtirent. Parmi les soldats, il y avait des hommes blancs qui n'étaient pas des soldats. Les Sioux habillés avec les vêtements des soldats et des Blancs se sont battus contre les soldats sur la colline.
Les rives de la rivière Little Bighorn étaient hautes et les Sioux ont tué de nombreux soldats en la traversant. Les soldats de la colline ont creusé le sol [c'est-à-dire qu'ils firent des terrassements], et les soldats et les Sioux se sont battus à longue distance, les Sioux chargeant parfois de près. Le combat s'est poursuivi à longue distance jusqu'à ce qu'un Sioux ne voie arriver les soldats à pied. Lorsque les soldats à pied se sont approchés, les Sioux ont pris peur et se sont enfuis.