Entretien: la République de Dithmarse

Article

James Blake Wiener
de , traduit par Hervé Tisserand
publié le 02 décembre 2024
Disponible dans ces autres langues: anglais
Imprimer l'article

Située dans l'actuelle province allemande du Schleswig-Holstein, la République de Dithmarse (1227-1559) était une république de roturiers qui mirent en place des institutions quasi-démocratiques, y compris leur propre constitution écrite. Farouchement indépendants et épris de liberté, ces paysans défendirent avec succès leur indépendance politique face aux forces du Holstein et de l'Union scandinave de Kalmar à la fin du Moyen Âge.

House in Burg, Dithmarschen
Maison à Burg, Dithmarse
Z thomas (CC BY-SA)

James Blake Wiener s'entretient avec William L. Urban, médiéviste et auteur de Dithmarschen : A Medieval Peasant Republic, pour en savoir plus sur les Dithmarses.

Supprimer la pub
Publicité

JBW : Dr. William L. Urban, merci beaucoup de m'avoir accordé cet entretien. Comme vos recherches portent principalement sur les chevaliers teutoniques et les croisades du Nord, je suis curieux de savoir comment vous ens êtes venu à vous intéresser à l'histoire des Dithmarses. Qu'est-ce qui vous a conduit à Dithmarse?

WLU :Dans un sens très concret, ce livre a commencé à l'université de Hambourg en 1964-1965, lorsque j'ai rencontré une enseignante à la retraite nommée Maria Krüger. D'origine dithmarse, elle nous recevait souvent, ma femme et moi, pour le thé, avec des biscuits et des histoires de son pays natal. Sur sa suggestion, j'ai ensuite lu certains romanciers locaux à la bibliothèque de l'université du Kansas. Par la suite, j'ai consulté des ouvrages d'historiens sérieux où j'ai découvert que les descriptions de la Dithmarse et de ses habitants faites par les romanciers n'étaient pas exagérées.

Supprimer la pub
Publicité
Les PAYSANs les plus prospÈres devinrent une quasi-aristocratie qui domina les 48 reprÉsentants du gouvernement final.

J'ai eu la chance de pouvoir voyager dans les régions situées au nord de l'Elbe. Après avoir traversé l'Allemagne à vélo trois fois, j'ai vécu à Hambourg et dans la ville voisine d'Ahrensburg pendant près d'un an. Cela m'a donné la confiance dont j'avais besoin pour rédiger une première version de ce manuscrit avant de me consacrer à la révision et à l'achèvement de ma thèse, qui a été publiée en 1975 avec pour titre The Baltic Crusade (La Croisade balte). La même année, j'ai reçu une bourse de recherche Fulbright-Hayes pour des études complémentaires à l'Institut Johann Gottfried Herder et à l'Université Philipps de Marburg/Lahn. L'occasion s'est présentée pour moi de visiter la Dithmarse deux fois cet été-là, puis à nouveau en 1976. En 1976-77, l'Université de Chicago m'a accordé une bourse de recherche à temps partiel dans sa bibliothèque principale, la bibliothèque Regenstein, afin de poursuivre la rédaction de mon manuscrit en collaboration avec le professeur Karl Morrison.

À l'automne 1982, le Monmouth College a mis à ma disposition une assistante étudiante, Janet Fox, qui a tapé le manuscrit sur l'ordinateur pour l'éditer. Au cours de l'été et de l'automne 1983, je suis retourné à Marburg/Lahn grâce à une bourse de l'Office allemand d'échanges universitaires et à un congé sabbatique du Monmouth College. À l'époque, le professeur Walther Lammers a eu la gentillesse de lire mon manuscrit et d'en discuter avec moi chez lui. J'ai vraiment apprécié son soutien et son amitié. En janvier 1988, avec l'aide de ma femme et d'un nouvel étudiant dactylographe, Kris Wang, j'ai entamé un processus d'édition qui a duré deux ans. Pratiquement aucune phrase n'est restée inchangée. Finalement, après avoir été initiée à l'utilisation de PageMaker par Daryl Carr et Marta Tucker, j'ai préparé le manuscrit en vue de sa publication pendant mon semestre sabbatique de printemps. En juin 1990, ma femme et moi avons fait le tour de la Dithmarse en voiture pour visiter des endroits que j'avais manqués auparavant. À l’automne 1990, le Monmouth College m'a accordé une autre petite bourse pour couvrir les frais de préparation du manuscrit en vue de sa publication, et Erik Midelfort (avec qui j’avais discuté du projet Dithmarse à plusieurs reprises dans le passé) a accédé à ma demande de faire une lecture finale et il a fait plusieurs commentaires utiles sur le texte.

Supprimer la pub
Publicité

JBW : Il est vrai que le féodalisme et le servage n'existaient pas dans la Frise voisine au cours du Moyen-Âge. Les traditions politiques de la Dithmarse étaient-elles similaires à ce que de nombreux historiens appellent les «libertés frisonnes»? Si cela était le cas, dans quelle mesure les Dithmarses étaient-ils «libres»?

WLU : Les similitudes sont nombreuses, mais les Dithmarses avaient un système de clans plus développé. Cet esprit communautaire a rendu possible la construction de digues et de canaux, le développement d'un système juridique capable de traiter la criminalité, les conflits fonciers et les héritages ; il a également facilité la constitution d'une force combattante capable de tenir tête aux cavaleries féodales et aux milices voisines.

16-century Map of Dithmarshen
Carte de la Dithmarse datant du XVIe siècle
Abraham Ortelius (Public Domain)

Au fil du temps, les communautés locales (Kirchspiele) ont pris de l'importance, puis les paysans les plus prospères sont devenus une quasi-aristocratie qui a dominé les 48 représentants du gouvernement final.

Supprimer la pub
Publicité

JBW : De nombreuses caractéristiques de la Dithmarse - la présence de familles claniques, d'une milice et d'une population farouchement indépendante - me semblent similaires à d'autres républiques paysannes médiévales, telles que l'ancienne Confédération suisse ou le Commonwealth islandais (ou État libre islandais). De telles comparaisons sont-elles utiles ou même valables?

Ni les Dithmarses ni la Ligue hansÉatique ne virent les avantages d'une alliance contre leurs ennemis communs comme l'avaient fait les Suisses.

WLU : Dans mon livre, j'ai essayé d'analyser les raisons pour lesquelles la plupart des républiques paysannes ont échoué. Les Suisses ont survécu parce qu'ils avaient la géographie et la pauvreté de leur côté. En d'autres termes, les cantons de montagne étaient difficiles à attaquer et n'en valaient guère la peine, tandis que les autres membres de la Confédération suisse parvenaient à négocier les défis politiques et militaires complexes en levant une force militaire bien entraînée et suffisamment importante pour vaincre les puissances régionales, puis en fournissant des mercenaires à des voisins plus puissants qui devenaient des alliés.

Ni les Dithmarses ni la Ligue hanséatique ne virent les avantages d'une alliance contre leurs ennemis communs comme l'avaient fait les Suisses.

Supprimer la pub
Publicité

JBW : Les relations entre la Dithmarse et les villes hanséatiques médiévales, comme Lübeck, étaient étroites. Était-ce pour pouvoir protéger leurs intérêts communs dans le commerce tout en conservant un certain degré d’indépendance politique?

WLU : Oui, mais leurs intérêts communs étaient limités. Il y avait des pêcheurs en Dithmarse, tout comme à Lübeck, Hambourg et Brême, mais pas de réseau international de partenaires commerciaux à qui vendre leur prise. Il y avait aussi trop de tensions, notamment les traditions de Dithmarse qui frisaient la flibuste (et allaient parfois au-delà)! Les Dithmarses défendaient leurs citoyens même lorsqu'ils étaient en tort, ce qui n'était pas toujours le cas de la Hanse.

JBW : Jean Ier de Danemark (r. de 1481 à 1513) et son frère, le duc Frédéric de Holstein, ont tenté de soumettre la paysannerie de la Dithmarse dans les années 1490. Lors de la bataille de Hemmingstedt en 1500, les Danois et les Holsteinois ont été battus à plate couture par les paysans de la Dithmarse. Qu'est-ce qui a assuré leur victoire sur une force militaire apparemment plus puissante et mieux organisée?

Vous aimez l'Histoire?

Abonnez-vous à notre newsletter hebdomadaire gratuite!

WLU : Tout d'abord, les envahisseurs n'avaient pas les moyens de payer leurs mercenaires et leurs alliés pour une longue guerre, ils avaient donc besoin d'une victoire rapide.

Deuxièmement, le manque de chance. Le roi envoya son armée au nord de Meldorf vers Heide par une route étroite sur une digue, espérant que le beau temps durerait. Au lieu de cela, une tempête hivernale s'abattit sur les envahisseurs, rendant la visibilité difficile jusqu'à ce qu'ils ne se retrouvent finalement confrontés aux fortifications que les Dithmarses avaient érigées à la hâte de l'autre côté de la route. Alors qu'ils préparaient leur artillerie sur la redoute, le vent, la neige et la pluie trempèrent les mèches et gachèrent la poudre.

Battle of Hemmingstedt
Bataille de Hemmingstedt
Max Friedrich Koch (Public Domain)

Enfin, les compétences de combat des Dithmarses étaient plus adaptées à ce champ de bataille: ils ouvraient les digues, pataugeaient pieds nus et à moitié nus dans l'eau glacée pour atteindre l'ennemi, puis poursuivaient sans relâche l'ennemi paniqué.

Supprimer la pub
Publicité

JBW : Que sont devenus les Dithmarses après la Réforme protestante? En outre, comment ont-ils finalement perdu les libertés qui leur étaient chères?

WLU : Les Dithmarses étaient très pieux, mais comme ils s'étaient toujours méfiés des ecclésiastiques, ils avaient limité leur autorité. Comme ils avaient longtemps géré eux-mêmes leurs affaires religieuses locales et utilisé les églises comme des écoles et pour les assemblées politiques, ils ont trouvé le passage au protestantisme facile, ce qui est assez exceptionnel.

JBW : Y a-t-il des caractéristiques uniques de la république médiévale de Dithmarse qui mériteraient d'être examinées et étudiées plus avant? Si oui, quelles sont-elles?

WLU : Tout d'abord, nous ne devrions pas considérer chaque société européenne comme un reflet inférieur de l'Angleterre et de la France, mais plutôt comme possédant des caractéristiques qui sont encore importantes aujourd'hui. Deuxièmement, ces caractéristiques peuvent être bonnes ou mauvaises, ou les deux à la fois. Les peuples sont compliqués. Troisièmement, tout le monde ne peut pas être influencé par ce qu'il voit chez les autres.

Supprimer la pub
Publicité

Les Dithmarses admirent les Britanniques; les Américains sont susceptibles de voir dans les Dithmarses ce qu'ils étaient autrefois, et chacun peut se rappeler que la liberté n'est pas gratuite mais doit être gagnée et défendue par le sang des patriotes.

JBW : Enfin, s'il y a une chose que nous devrions retenir de la République de Dithmarse, quelle serait-elle à votre avis?

WLU : Quelqu'un a inscrit une devise sur l'orgue de Hemme, en Allemagne : «Dithmarsia libera fuit». On sous-entendait qu'elle pourrait l'être à nouveau, et aujourd’hui c’est à nouveau le cas.

JBW : Dr. William Urban, merci beaucoup de nous avoir accordé votre temps et d’avoir partagé votre expertise!

Le professeur William L. Urban a étudié à l'université Baylor, à l'université du Texas à Austin et à l'université de Hambourg. Il a obtenu un doctorat en 1967 à l'université du Texas, a enseigné à l'université du Kansas et au Monmouth College, à Monmouth, Illinois, au Knox College, au Fort Hays Kansas State College, à l'Estonian Institute for the Humanities et à l'Eastern Michigan University Cultural History Tour in Europe. Il a été directeur des Arts de Florence, puis des programmes yougoslaves et tchèques des Associated Colleges of the Midwest. Il a bénéficié d'une bourse Fulbright pour des recherches à l'Institut Herder de Marburg/Lahn, en Allemagne, de plusieurs bourses DAAD, de bourses NEH pour des études d'été et d'un atelier d'histoire militaire de l'Académie militaire des États-Unis. Il est membre correspondant de la Historische Kommission für ost- und westpreußische Landesforschung et de la Baltische Historische Kommission. Il a publié The Baltic Crusade, The Prussian Crusade, The Livonian Crusade, The Samogitian Crusade,Tannenberg and After, Lithuania, Poland, and the Teutonic Order in Search of Immortality, The Teutonic Knights : a military history, Medieval Mercenaries, Bayonets for Hire : the Business of War, 1550-1763, Matchlocks to Flintlock, Mercenaries in Europe and Beyond, 1500-1700, Bayonets and Scimitars, Arms, Armies and Mercenaries, 1700-1789, et Small Wars, and their influence on the Nation State. Avec Jerry Smith, il a traduit The Livonian Rhymed Chronicle, The Chronicle of Balthasar Russow, et Johannes Renner's Chronicle.

Supprimer la pub
Publicité

Traducteur

Hervé Tisserand
Né à Lyon mais résidant au Japon depuis plus de 20 ans, je suis passionné d'histoire depuis mon enfance et je pense que connaître le passé est très important pour une meilleure compréhension interculturelle.

Auteur

James Blake Wiener
James est un écrivain et ancien Professeur d'Histoire. Il est titulaire d'une Maîtrise en Histoire du monde avec un intérêt particulier pour les échanges interculturels et l'histoire du monde. Il est cofondateur de Ancient History Encyclopedia et en était auparavant le Directeur de la Communication.

Citer cette ressource

Style APA

Wiener, J. B. (2024, décembre 02). Entretien: la République de Dithmarse [Interview: Dithmarschen Republic]. (H. Tisserand, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2579/entretien-la-republique-de-dithmarse/

Style Chicago

Wiener, James Blake. "Entretien: la République de Dithmarse." Traduit par Hervé Tisserand. World History Encyclopedia. modifié le décembre 02, 2024. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-2579/entretien-la-republique-de-dithmarse/.

Style MLA

Wiener, James Blake. "Entretien: la République de Dithmarse." Traduit par Hervé Tisserand. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 02 déc. 2024. Web. 11 févr. 2025.

Adhésion