William M. Mitchell (c. 1826 - c. 1879) était un intendant noir né en Caroline du Nord qui, après avoir dirigé pendant 12 ans des esclaves dans une plantation, connut un réveil religieux, condamna l'esclavage, quitta la Caroline du Nord pour l'Ohio et devint "chef de gare" et parfois "conducteur" sur le chemin de fer clandestin. Il est surtout connu pour son livre The Underground Railroad: From Slavery to Freedom (1860).
Le livre de Mitchell est le seul ouvrage complet publié sur le chemin de fer clandestin par un participant alors que l'esclavage était encore légal aux États-Unis et que les actions entreprises par les abolitionnistes pour aider à libérer les esclaves, comme le chemin de fer clandestin, étaient illégales. L'ouvrage fut écrit après que Mitchell et sa famille eurent déménagé de l'Ohio à Toronto, au Canada, où l'esclavage était illégal et où il était donc à l'abri des représailles des partisans de l'esclavage. Il fut publié en Angleterre en 1860 et devint un best-seller, en particulier dans les communautés abolitionnistes.
Le chemin de fer clandestin (c. 1780-1865) - un réseau d'abolitionnistes et d'autres personnes, noires, mexicaines, autochtones et blanches - fut mis en place afin d'aider les esclaves à retrouver la liberté dans les États libres du Nord, au Canada, au Mexique ou dans les territoires indiens, c'est-à-dire partout où ils étaient hors de portée des chasseurs d'esclaves. Après l'adoption par le Congrès américain de la loi sur les esclaves fugitifs de 1850, qui permettait aux propriétaires d'esclaves de récupérer leurs "biens" dans les États libres du Nord, le champ d'action des chasseurs d'esclaves s'élargit, de sorte que les seuls endroits où un ancien esclave pouvait vivre librement, sans craindre d'être capturé et ramené en esclavage, se trouvaient au-delà des frontières des États-Unis.
Bien que Mitchell évoque le chemin de fer clandestin dans son ouvrage, expliquant même l'origine de son nom tel qu'il le conçoit, il ne compromet jamais l'organisation, car c'est une chose qu'il n'aurait jamais pu faire. Il n'y avait pas de bureau central ou d'organe directeur pour le chemin de fer clandestin. Il s'agissait d'une confédération informelle d'individus partageant les mêmes idées ou, parfois, de simples sympathisants qui choisissaient d'aider un esclave plutôt que de contacter les autorités. Souvent, les membres du "chemin de fer" ne connaissaient même pas le vrai nom des autres, et les membres d'un groupe (ou d'une "cellule") ne savaient pas nécessairement ce que faisait un autre groupe, ni même où il se trouvait. Chaque personne ne connaissait que les responsabilités qui lui incombaient à un poste donné, à savoir:
- les agents - qui avertissaient les esclaves de la présence du chemin de fer et les dirigeaient vers un conducteur
- les conducteurs, qui conduisaient les esclaves vers les "gares" le long du chemin de fer et, en fin de compte, vers la liberté
- les chefs de gare, qui géraient les refuges appelés "gares".
- les actionnaires, qui apportaient un soutien financier au chemin de fer mais n'y participaient pas activement.
Ces rôles étaient tous fluides. Un agent pouvait également être un conducteur, un chef de gare ou un actionnaire. W. M. Mitchell, à différentes époques, assuma ces quatre rôles, tout comme beaucoup d'autres.
Par conséquent, tout en évoquant l'injustice et la cruauté de l'esclavage aux États-Unis, ainsi que sa propre participation en tant que surveillant et abolitionniste, Mitchell maintient l'intégrité et le secret de l'organisation tout au long de l'ouvrage, ce qui était particulièrement important puisque le chemin de fer était encore en activité en 1860. Il ne prit fin qu'en 1865, avec l'adoption du 13e amendement abolissant l'esclavage.
Vie et conversion de Mitchell
William M. Mitchell vit le jour vers 1826 dans le comté de Guilford, en Caroline du Nord, d'une mère autochtone et d'un père noir, tous deux décédés alors qu'il était encore très jeune. On ne sait rien de sa jeunesse, mais à un moment donné, il devint le serviteur sous contrat d'un planteur de Caroline du Nord pendant 12 ans. Comme sa mère était une Autochtone libre, Mitchell était né libre, et le planteur lui fournit des papiers le confirmant. Peut-être par crainte de voir ces papiers révoqués - ce qui l'aurait exposé à être enlevé par des chasseurs d'esclaves lorsqu'il était hors de la plantation - ou peut-être simplement pour s'acquitter de ses responsabilités comme il voyait les surveillants blancs le faire, Mitchell prit son travail au sérieux et, selon les termes du révérend W. H. Bonner, dans la préface de l'ouvrage de Mitchell, "s'était habitué à infliger les cruautés qui accompagnaient le vol d'hommes et la gestion d'esclaves" (iii).
Après 12 ans, Mitchell fut libéré de son engagement et connut une conversion religieuse. Bonner écrit:
C'est depuis lors une source de chagrin pour lui de se souvenir du rôle qu'il a joué en ordonnant et en supervisant le harcèlement et la flagellation d'hommes, de femmes et d'enfants, et en séparant pour la vie les personnes les plus chères les unes aux autres, dont les liens de parenté ne peuvent être rompus par l'homme" (iv).
(iv)
Mitchell s'installa dans le comté de Ross, dans l'Ohio, où, en 1843, il se joignit à une foule qui sauva un esclave fugitif (un "aspirant à la liberté") de trois chasseurs d'esclaves envoyés pour le récupérer. Selon Mitchell, cet homme, qui s'était échappé de l'esclavage dans le Maryland, avait vécu dans l'Ohio "pendant plusieurs années" jusqu'à ce que son pasteur ne le livre aux autorités pour obtenir la prime de 100 dollars. Mitchell et ses compagnons repoussèrent les chasseurs d'esclaves et sauvèrent l'ancien esclave; cet acte marqua le début de son engagement dans le chemin de fer clandestin.
Mitchell faisait fonctionner une "gare" dans l'Ohio et faisait également office de conducteur, conduisant les aspirants à la liberté de l'Ohio vers le nord. Il continua jusqu'en 1855, date à laquelle il déménagea sa famille à Toronto, au Canada. À un moment donné, il apprit à lire et à écrire, fut ordonné ministre de la foi - devenant ainsi le révérend W. M. Mitchell - et servit comme missionnaire pour l'American Baptist Free Mission Society (Société américaine de mission libre baptiste). Une fois à Toronto, il profita de sa position pour héberger les nouveaux arrivants en quête de liberté et leur trouver un logement.
Il se rendit en Angleterre en 1859, alors qu'il rédigeait son livre, puis entreprit une tournée pour le présenter après sa publication en 1860. L'ouvrage s'adressait à un public anglais, car Mitchell espérait obtenir un plus grand soutien de la part des abolitionnistes anglais pour faire pression sur le gouvernement des États-Unis afin qu'il mette fin à l'esclavage. Les autorités britanniques étaient déjà favorables à la cause abolitionniste, comme en témoignent de nombreux événements, notamment leur soutien aux esclaves qui s'étaient emparés du navire qui les transportait pour les vendre lors de la mutinerie créole/rébellion créole de 1841. Le livre de Mitchell fut un succès en Grande-Bretagne et, plus tard, en Amérique du Nord, mais moins bien dans les États du Sud.
Le gouvernement canadien, qui s'opposait activement à l'esclavage et refusait les demandes répétées des États-Unis pour le retour des esclaves en fuite, soutint les efforts de Mitchell - à la fois ses tournées en Angleterre et son travail à Toronto - et il reçut le soutien d'abolitionnistes américains, dont William Still (1819-1902) de Philadelphie, le "père du chemin de fer clandestin".
On pense qu'il serait mort de causes inconnues en 1879. Un recensement canadien de 1881 mentionne sa femme comme veuve. Son œuvre reste un classique de l'histoire américaine du XIXe siècle. Il y relate son expérience du chemin de fer clandestin et explique comment le gouvernement des États-Unis avait toujours défendu l'institution de l'esclavage, obligeant ceux qui s'y opposaient à enfreindre la loi dans l'intérêt de la morale et de la justice.
Texte
Le texte suivant est la traduction d'un extrait de The Underground Railroad : From Slavery to Freedom (1860) de W. M. Mitchell, réédité par Legare Street Press, 2023. Cet extrait constitue le début de l'ouvrage, pp. 11-19. La référence de Mitchell à "ce pays" renvoie à l'Angleterre, où le livre fut publié.
L'expression "chemin de fer clandestin" est parfaitement comprise aux États-Unis et au Canada, mais elle ne l'est pas dans ce pays; elle nécessite donc quelques explications. La grandeur de certaines choses réside dans leur simplicité; c'est du moins le cas de la plus merveilleuse de toutes les routes construites, qui est si admirablement adaptée à notre objectif et qui rend tant service. Cette route est en service depuis un quart de siècle ou plus. Comme beaucoup d'autres inventions, il lui a fallu beaucoup de temps pour acquérir sa notoriété actuelle et une célébrité quasi universelle. Elle doit son origine aux pouvoirs inventifs d'un esclavagiste, comme le montre la circonstance suivante, évidente mais naturelle.
Un esclave, dans l'État du Kentucky, arriva à la conclusion qu'il n'était pas une "simple chose", comme la loi l'appelait, mais un homme avec des destinées immortelles en commun avec les autres hommes; il marchait droit comme un homme, il raisonnait comme un homme, et par conséquent il ne voyait aucune raison valable pour que son maître revendique un droit divin sur lui, sa femme et ses enfants, et leur labeur. Cette prétention donnait à son maître un autre droit, celui de le fouetter quand il en avait envie.
Quoi qu'il en soit, il devait mettre à l'épreuve la force de son raisonnement pour voir s'il était capable de le guider en toute sécurité jusqu'au Canada; sinon, il ne pouvait que retourner à l'esclavage. Il s'enfuit donc, et son maître le poursuivit jusqu'à la rivière Ohio, qui sépare les États esclavagistes des États libres; là, il perdit la trace de son objet échappé, ne sachant pas, ou n'ayant pas la moindre idée de la direction que l'esclave avait prise; il abandonna donc tout espoir de le retrouver.
Déçu, ayant perdu mille dollars et n'ayant plus d'objet sur lequel décharger son sale spleen, il se tourna vers les pauvres abolitionnistes et déclara: "Les d-d abolitionnistes doivent avoir un chemin de fer sous terre pour faire fuir les nègres". Le terme significatif de "souterrain" est né de cette circonstance. Bien entendu, jusqu'alors, les esclavagistes n'avaient pas réussi à localiser cette voie utile, qui leur étaitt donc aussi cachée que si elle était littéralement sous terre; c'est pourquoi on la qualifie de "souterraine". Et le moyen par lequel les esclaves disparaissent encore, comme celui auquel il vient d'être fait allusion, au-delà de toute probabilité de récupération, si soudainement et avec un progrès si rapide, nous l'appelons très justement un chemin de fer! C'est de là que vient l'expression "chemin de fer clandestin".
Le lecteur doit maintenant comprendre que ce soi-disant chemin de fer est un accord mutuel entre les amis des esclaves, dans les États du Nord, pour aider les fugitifs à se rendre au Canada. Ils sont conduits d'un ami à l'autre, ce qui ne se fait que de nuit, jusqu'à ce qu'ils n'atteignent le Canada; c'est là tout le secret de cette expression mystérieuse. C'est ainsi que nous faisons passer 1200 esclaves par an au Canada. La distance parcourue en une nuit est variable. Je les ai déjà conduits sur une distance de vingt milles en une nuit, mais ce n'est pas une distance habituelle; six à douze milles est plus communément la longueur de chaque voyage.
Certaines personnes qui ne connaissent pas suffisamment la politique du gouvernement américain supposent que les esclaves fugitifs sont à l'abri de l'emprise mortelle de leurs maîtres à leur arrivée dans les États libres, mais pour eux, il n'y a pas d'États libres, et pour eux, il n'y a ni sécurité ni liberté dans la juridiction du gouvernement des États-Unis; non, pas un pouce de terrain dans le pays où il est né, sur lequel l'esclave puisse revendiquer son titre à la liberté.
Bien qu'il y ait des esclaves fugitifs dans les États dits libres, ceux qui les réclament ignorent où ils se trouvent; en outre, ils sont protégés par le sentiment public dans leurs différentes localités, en opposition au projet de loi sur les fugitifs, qui n'a pas d'équivalent dans la jurisprudence des nations.
Lorsque la liberté individuelle n'est assurée que par le sentiment public, bien que ce sentiment puisse être, et soit parfois, meilleur que la loi, la liberté, dans de telles circonstances, n'est jamais sûre et assurée. Ce sentiment doit, lorsque l'occasion l'exige, se plier aux rigoureuses exigences de la loi, si injustes soient-elles. Pour assurer la sécurité permanente de la liberté humaine, nous devons avoir la sanction de la loi combinée avec le sentiment public, dont la loi émane.
Les législatures de certains États, quoique peu nombreuses, ont déclaré inconstitutionnel la Fugitive Bill, et ont refusé l'utilisation de leurs prisons pour la sécurité des esclaves lorsqu'ils sont arrêtés. Il est donc plus difficile de les capturer mais, malgré ces obstacles, beaucoup sont capturés dans ces États. Pour confirmer l'affirmation relative à l'insécurité des esclaves évadés dans les Etats libres, je cite la première partie de la sixième section du Fugitive Bill:
"Et qu'il soit en outre décrété que lorsqu'une personne tenue au service ou au travail dans un État ou territoire des États-Unis s'est échappée ou s'échappera dans un autre État ou territoire des États-Unis, la personne ou les personnes à qui ce service ou ce travail est dû, ou son ou leur agent ou mandataire, dûment autorisé par une procuration écrite, reconnaîtra et certifiera sous le sceau de quelque autorité compétente que ce soit, que l'esclave n'est pas tenu au service ou au travail, reconnue et certifiée sous le sceau d'un bureau légal ou d'un tribunal de l'État ou du territoire dans lequel elle peut être exécutée, peut poursuivre et réclamer cette personne fugitive, soit en obtenant un mandat de l'un des tribunaux, juges ou commissaires susmentionnés, ou du circuit, du district ou du comté approprié, pour l'appréhension de ce fugitif du service ou du travail; soit en saisissant et en arrêtant ce fugitif, lorsque cela peut être fait sans procédure, et en amenant et en faisant amener cette personne immédiatement devant ce tribunal, ce juge ou ce commissaire, dont le devoir sera d'entendre et de juger le cas de ce demandeur d'une manière sommaire."
Si le fugitif tente de trouver la liberté dans les États libres, il peut être poursuivi. S'il tente de se soustraire aux États et de se rendre sur un territoire des États-Unis, il est toujours susceptible d'être capturé; il s'ensuit donc qu'il n'est en sécurité nulle part dans cette république. Ce fugitif, nous le voyons, peut être arrêté sans avoir obtenu au préalable un mandat du tribunal, du juge ou du commissaire, sans pour autant dépasser les limites de l'autorité légale. Il doit être traduit immédiatement devant les tribunaux mentionnés ci-dessus, ce qui ne laisse au criminel aucune chance de s'en sortir.
Plus grave encore, son affaire doit être entendue et jugée "sommairement", c'est-à-dire sans acte d'accusation, ni même le bénéfice d'un jury en audience publique, le verdict étant prononcé par le juge. Ces droits lui sont refusés. Mais au-delà de cette atteinte mesquine, injuste et malfaisante aux droits de l'homme, le criminel n'est pas autorisé à élever la voix, même pour sa propre défense, au cours de ce procès...
Malgré cette interdiction et ce déni des droits de l'homme, j'ai souvent entendu le juge demander à l'esclave s'il considérait le demandeur comme son maître et s'il était prêt à retourner avec lui en esclavage. L'esclave, presque effrayé, car il n'a peut-être jamais comparu devant un tribunal, et pour que l'affaire se passe le mieux possible avec lui lorsqu'il arrivera dans son ancienne maison, répond par l'affirmative. Le juge injuste, car il l'est vraiment, profite de cette réponse et livre l'esclave sous prétexte qu'elle est conforme au désir du fugitif.
Il est considéré comme méchant et méprisable pour un individu de profiter de ses supérieurs, mais il l'est infiniment plus de profiter du faible et de l'impuissant, surtout quand la réponse du pauvre fugitif, soit dans l'affirmative, soit dans la négative, n'affecterait pas sa condition, étant préalablement déterminée avec la loi, ainsi qu'avec l'opinion publique, par laquelle il était condamné à retourner dans une servitude sans espoir.
L'espoir qui s'était allumé dans son cœur pendant son voyage vers une terre de liberté, qui l'avait également inspiré à poursuivre avec vigueur, le sourire qui illuminait parfois son visage viril à la pensée agréable d'être bientôt libre dans un pays où il serait reconnu comme un ami et un frère, tout cela est anéanti; l'espoir ne vivifie plus son âme et la pensée agréable de revendiquer son propre droit à la liberté n'existe plus dans son cœur palpitant.
Dans les Etats du Nord, l'esclave a de nombreux amis chrétiens qui, en l'absence de loi, courraient n'importe quel risque pour le sauver. Nombreux sont ceux qui, aujourd'hui encore, font fi de la loi afin de secourir le fugitif... [mais] si vous tentez de secourir le fugitif, directement ou indirectement, vous êtes passible des peines [mentionnées dans la loi sur les fugitifs] pour ce délit. Cette loi est sans précédent dans l'histoire des nations, et en particulier des nations chrétiennes. Dieu nous a ordonné d'aider les pauvres et les nécessiteux, les sans défense, les exclus et les opprimés.