La bataille de Zama (202 av. J.-C.) fut le dernier engagement de la deuxième guerre punique (218-202 av. J.-C.) au cours duquel Hannibal Barca de Carthage (247-183 av. J.-C.) fut vaincu par Scipion l'Africain de Rome (236-183 av.J.-C.), mettant ainsi fin au conflit en faveur de Rome. La deuxième guerre punique commença lorsque Hannibal attaqua la ville de Saguntum, un allié romain, en Espagne, et se poursuivit avec un certain nombre de victoires éclatantes d'Hannibal en Italie, notamment la bataille de Cannes (Cannae) en 216 av. J.-C.
Hannibal semblait invincible jusqu'à ce que Scipion ne prenne le commandement des forces romaines après Cannes, batte le frère d'Hannibal, Hasdrubal Barca (c. 244-207 av. J.-C.) en Espagne, le repousse en Italie, puis ramène Hannibal en Afrique du Nord en menaçant la ville de Carthage. Hannibal rencontra Scipion à Zama pour défendre sa ville natale mais Scipion, utilisant les mêmes tactiques qu'Hannibal à Cannae, remporta la victoire et Carthage tomba aux mains des Romains.
Hannibal vécut ensuite le reste de sa vie en fugitif et finit par se suicider plutôt que de se rendre aux Romains. Bien qu'initialement salué comme le sauveur de Rome, Scipion fut ensuite vilipendé par ses compatriotes qui avaient oublié ce qu'ils lui devaient. Il quitta Rome pour sa villa et donna des instructions dans son testament afin d'être enterré dans son domaine plutôt que dans la ville ingrate de Rome. On se souvient de la bataille de Zama pour les brillantes tactiques de Scipion, basées sur celles d'Hannibal, qui deviendront ensuite des procédures opérationnelles standard pour les militaires romains et leur permettront de construire leur empire.
Contexte et première guerre punique
Carthage et Rome entrèrent initialement en conflit à propos de l'île de Sicile dont elles contrôlaient toutes deux une partie, ce qui déclencha la première guerre punique (264-241 av. J.-C.). Les forces carthaginoises étaient dirigées par Hamilcar Barca (275-228 av. J.-C.) qui utilisa sa flotte pour frapper sans avertissement les ports et les avant-postes romains le long de la côte italienne, coupant les lignes d'approvisionnement, puis attaqua avec son armée. Carthage, au début de la guerre, disposait de la plus grande flotte de la Méditerranée alors que les Romains n'étaient habitués qu'aux engagements terrestres. Les tactiques astucieuses d'Hamilcar et l'expérience de ses équipages dans la guerre navale carthaginoise conduisirent à une série de victoires décisives au début de la guerre.
Cependant, Rome apprit très vite à se battre en mer et le gouvernement carthaginois ne soutint guère son général, si bien que la guerre bascula en faveur des Romains. Hamilcar battit Rome à Drépane en 249 av. J.-C. mais, recevant de moins en moins de soutien de la part de son gouvernement, il perdit régulièrement des engagements tandis que Rome se renforça jusqu'à ce que, en 241 av. J.-C., Carthage ne soit contrainte de demander la paix et ne doive payer une importante indemnité de guerre aux vainqueurs.
Ensuite, Hamilcar se rendit dans les régions d'Espagne contrôlées par les Carthaginois - apparemment pour prendre le contrôle des mines d'argent qui s'y trouvaient afin de payer la dette de Carthage envers Rome - et commença à rééquiper l'armée carthaginoise pour reprendre la guerre. Il emmena avec lui son fils Hannibal ainsi que son gendre Hasdrubal le Beau (c. 270-221 av. J.-C.) et, plus tard, son fils cadet Hasdrubal Barca.
À la mort d'Hamilcar en 228 av. J.-C., le commandement de l'armée fut confié à Hasdrubal le Beau qui privilégia les mesures diplomatiques avec Rome plutôt que le conflit militaire. Il négocia le traité de l'Èbre en 226 av. J.-C. qui stipulait que les territoires romains et carthaginois en Espagne seraient délimités par l'Èbre: Rome détiendrait les régions au nord, Carthage les régions au sud, et aucun des deux n'empiéterait sur les terres de l'autre. Cependant, Hasdrubal le Beau fut assassiné en 221 av. J.-C. et le commandement revint à Hannibal qui avait juré une inimitié éternelle avec Rome.
Deuxième guerre punique et Cannes
En 218 av. J.-C., les Romains déclenchèrent un coup d'État dans la ville de Saguntum, située au sud de l'Èbre, et installèrent un gouvernement hostile à Carthage. Hannibal marcha sur la ville, l'assiégea et s'en saisit, ce que les Romains considérèrent comme un acte de guerre. Ils exigèrent qu'Hannibal leur fût livré et, devant le refus du sénat carthaginois, la guerre fut déclarée.
Hannibal laissa son frère Hasdrubal à la tête des troupes en Espagne et fit marcher son armée à travers les Alpes jusqu'en Italie pour aller y combattre les Romains. Il triompha de toutes les forces romaines envoyées contre lui, jusqu'à la bataille de Cannes en 216 av. Jésus-Christ où il attira les Romains dans un piège. Sachant que les Romains préféraient leur tactique traditionnelle consistant à masquer leur infanterie lourde derrière la ligne de front de leur infanterie légère avec le soutien de la cavalerie depuis les ailes, Hannibal forma une formation avec son infanterie légère au centre et son infanterie lourde dans une formation en croissant.
Les Romains comptaient sur la force de la charge pour briser le centre des lignes ennemies par la seule force du nombre et, dans cette bataille, ils se dirigèrent vers le centre des lignes d'Hannibal qui cédèrent devant eux. Les Romains, encouragés, continuèrent à avancer, mais les Carthaginois, qui semblaient battre en retraite, se reformaient en fait à gauche et à droite le long du croissant. Il n'y avait donc plus de centre réel à briser pour les Romains - même s'il semblait y en avoir un - et le temps qu'ils réalisent leur erreur, ils étaient encerclés et le piège s'était refermé sur eux. Sur les plus de 80 000 soldats romains présents sur le terrain, 44 000 furent tués et le reste dispersé.
Rome était complètement démoralisée et ne trouvait aucun général pour prendre le commandement de ce qui restait de l'armée romaine car tous les généraux semblaient penser qu'affronter Hannibal au combat était une mission suicide. Scipion se porta volontaire, bien qu'il n'ait eu que 24 ans à l'époque et qu'il ait été considéré comme trop jeune et inexpérimenté pour avoir une chance contre Hannibal. Il partit pour l'Espagne avec 10 000 fantassins et 1 000 cavaliers pour affronter Hasdrubal Barca qui avait tué son père et son oncle à la bataille du Bétis en 211 av. J.-C.
Scipion en Espagne
Scipion mena ses troupes contre la ville de Carthago Nova (Nouvelle Carthage) en Espagne en 209 av. Jésus-Christ. La Nouvelle Carthage était considérée comme imprenable en raison de ses fortifications et de la défense naturelle que constituait une lagune protégeant un côté entier de la ville. Avant Cannes, la guerre romaine reposait largement sur la force du nombre et la puissance pour prendre une ville ou chasser un ennemi du champ de bataille. Scipion, suivant l'exemple d'Hannibal en tant que commandant réfléchi, recueillit des informations selon lesquelles le niveau d'eau de la lagune pouvait être abaissé considérablement grâce à des écluses qui permettaient à l'eau d'entrer et de sortir de la lagune. La lagune était utilisée comme marais salant pour récolter le sel de la mer et Scipion réalisa que tout ce qu'il avait à faire était de distraire les défenseurs de la ville assez longtemps et abaisser suffisamment le niveau de la lagune pour permettre une traversée de son infanterie.
En demandant à son commandant en second, Gaius Laelius, de monter une attaque navale, et en envoyant son infanterie contre les portes de la ville, Scipion profita de l'avantage de la lagune. Il mena une colonne à travers l'eau à marée basse - après que les écluses aient été utilisées - fit une brèche dans les murs, et prit la ville. Scipion allait poursuivre ce même type de stratégie dans ses autres engagements avec les forces carthaginoises.
En 208 av. J.-C., Scipion rencontra Hasdrubal Barca dans la bataille de Baecula et reconnut que, pour attaquer, il devait envoyer ses troupes à travers une petite rivière pour ensuite charger en amont contre une position fortifiée. Considérant à nouveau ce qu'Hannibal pourrait faire dans une telle situation, Scipion remarqua les ravins asséchés de part et d'autre du plateau qu'Hasdrubal avait fortifié et envoya donc une force légèrement armée tout droit à travers la rivière et sur la pente tandis que sa force principale se divisait et avançait vers les deux ravins. Les Carthaginois, concentrés sur le centre, se déplacèrent pour engager le combat et furent écrasés par les ailes qui frappèrent de chaque côté.
Hasdrubal battit en retraite avec ce qui restait de son armée et suivit le parcours d'Hannibal à travers les Alpes et en Italie. Mais avant de pouvoir joindre son armée à celle d'Hannibal, il fut vaincu par Gaius Claudius Nero (c. 237 - c. 199 av. J.-C.) à la bataille du Métaure où il fut tué. Nero se remit alors à essayer de piéger et de détruire Hannibal - ce qu'il n'avait pas réussi à faire jusqu'à présent - tandis que Scipion terminait son travail en Espagne.
Bataille de Zama
Scipion reconnut que s'il frappait Carthage, Hannibal serait rappelé d'Italie pour la défendre et donc, il se retira d'Espagne pour envahir l'Afrique du Nord en 205 av. J.-C. Après un siège, il prit la ville d'Utique, s'allia au roi numide Massinissa et marcha sur Carthage. Hannibal, qui avait dévasté l'Italie au cours des douze années précédentes, fut rappelé pour défendre la ville. L'expert Ernle Bradford décrit comment le champ de bataille fut choisi :
Hannibal marcha vers l'ouest en direction d'une ville appelée Zama, qui doit probablement être identifiée à une colonie romaine plus tardive, Zama Regia (Jama), à 90 miles à l'ouest d'Hadrumetum. Il avait appris que Scipion était en train de brûler des villages, de détruire des récoltes et de réduire en esclavage les habitants de toute cette région fertile dont Carthage dépendait pour ses céréales et autres denrées alimentaires. Ce ne peut être que cette nécessité qui poussa Hannibal à se lancer à la poursuite de Scipion, car à première vue, il semble plus logique qu'il ait conduit son armée en direction de Carthage et se soit interposé entre Scipion et la ville. Mais la destruction systématique des villes et des villages par ce dernier, ainsi que ses activités actuelles dans l'arrière-pays carthaginois, empêchaient clairement la ville de nourrir environ 40 000 hommes supplémentaires ainsi que leurs chevaux et leurs éléphants, en plus de sa propre population. La principale raison pour laquelle la bataille se déroula là où elle s'est déroulée tient donc à une question d'approvisionnement de la capitale. Scipion savait ce qu'il faisait et avait délibérément éloigné Hannibal de la ville afin de décider de l'issue de la guerre dans une zone qu'il avait lui-même choisie. (196-197)
Les deux armées comptaient environ 40 000 hommes lorsqu'elles se rencontrèrent sur le champ de bataille. En Italie, Hannibal avait été contraint de se battre sans éléphants (dont la plupart avaient été perdus lors de la traversée des Alpes), mais de retour en Afrique, il disposa son corps d'éléphants à l'avant de ses lignes, suivi d'une ligne continue de mercenaires, puis d'alliés libyens, et enfin de ses vétérans carthaginois des campagnes d'Italie. À sa gauche et à sa droite, il plaça sa cavalerie dans les ailes.
Scipion disposa également ses lignes mais, au lieu d'une ligne continue et ininterrompue sur le terrain, il disposa les soldats en colonnes. Les vides dans ces colonnes étaient masqués par de l'infanterie légère vers l'avant, donnant l'impression que Scipion avait formé ses hommes de la même façon qu'Hannibal. À l'aile gauche de l'armée romaine se trouvait la cavalerie italienne, commandée par Gaius Laelius, et, à droite, la cavalerie numide de Massinissa.
Hannibal fit le premier pas en envoyant ses éléphants charger les forces de Scipion. Scipion ordonna à ses hommes de tenir leurs positions puis, à un signal donné, l'infanterie légère masquant la ligne de front se déplaça dans les colonnes et, au même moment, Scipion ordonna de sonner les trompettes et de battre les tambours. Les éléphants coururent sans poser le moindre danger dans les allées entre les colonnes où, effrayés par les coups de trompette et les cris des Romains, ils firent demi-tour pour piétiner les forces carthaginoises. La charge d'éléphants d'Hannibal avait échoué.
La cavalerie romaine et numide se déploya alors et attaqua la cavalerie carthaginoise, la chassant du champ de bataille. Ce faisant, la cavalerie romaine pivota à gauche et à droite autour des forces d'infanterie sur le terrain et les deux forces de cavalerie se battirent derrière les lignes carthaginoises. L'infanterie de Scipion avança alors, se mobilisant de la formation en colonne à des lignes continues, et repoussa les premières lignes mercenaires des Carthaginois.
Les lignes étaient si denses que les mercenaires se replièrent sur les forces libyennes qui ne pouvaient pas céder la place à cause des Carthaginois derrière elles. Comme les mercenaires étaient écrasés entre les forces romaines qui avançaient et les Libyens, ils commencèrent à attaquer les Libyens pour percer et s'échapper. Au même moment, la cavalerie combinée de Laelius et Massinissa fit son retour pour tomber sur les forces carthaginoises à l'arrière.
Les forces d'Hannibal étaient pratiquement encerclées ; 20 000 personnes furent tuées et beaucoup d'autres gravement blessées. Hannibal lui-même s'échappé à Carthage où il dit au sénat qu'il avait perdu non seulement la bataille, mais la guerre, et suggéra qu'ils entament des pourparlers de paix.
Conclusion
Les deux généraux se rencontrèrent après la bataille pour discuter des conditions et Scipion pardonna à Hannibal qui devint alors le premier magistrat de Carthage. Rome imposa à nouveau une lourde indemnité de guerre qui fut payée grâce aux compétences d'Hannibal et à son dévouement à son nouveau poste, mais les Carthaginois lui reprochèrent d'avoir perdu la guerre et le dénoncèrent à Rome, affirmant qu'il tentait de rendre Carthage suffisamment puissante pour défier les Romains dans une nouvelle guerre. Hannibal se rendit compte qu'il serait probablement livré à Rome et s'enfuit à Tyr, puis à la cour d'Antiochos III (r. de 223 à 187 avant J.-C.) de l'Empire séleucide, et enfin à la cour du roi Prusias de Bithynie où, pour échapper définitivement à la poursuite de Rome, il se donna la mort en 183 avant J.-C.
Scipion, quant à lui, était également malmené par ses concitoyens qui, oubliant tout ce qu'ils lui devaient, l'accusèrent d'être un sympathisant des Carthaginois en pardonnant à Hannibal, d'accepter des pots-de-vin et de faire un mauvais usage des fonds. Il se retira dans son domaine de Liternum et fut si dégoûté par l'ingratitude de Rome qu'il laissa dans son testament des instructions pour qu'il soit enterré sur place plutôt que dans un lieu d'honneur de la ville. Il mourut de causes naturelles la même année que le suicide d'Hannibal.
La bataille de Zama non seulement mit fin à la deuxième guerre punique, mais elle fit également de l'armée romaine la plus grande force de combat depuis les armées d'Alexandre le Grand. Lors de la bataille de Cannes, Rome s'était appuyée sur des tactiques traditionnelles utilisant la supériorité numérique pour écraser un ennemi, et à partir de cette défaite, Scipion comprit que de nouveaux arts de la guerre étaient nécessaires. Après les brillantes réformes apportées par Scipion à la stratégie et aux tactiques militaires romaines, les Romains allaient conquérir le monde connu. Zama ne marqua donc pas seulement la fin de la deuxième guerre punique, mais aussi le début de campagnes de conquête efficaces qui allaient finalement donner l'élan à l'empire romain.