Christianisation de l'Arménie

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Mark Cartwright
de , traduit par Jerome Couturier
publié le 22 mars 2018
Disponible dans ces autres langues: anglais, espagnol, Turc
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La christianisation de l'Arménie commença avec l'œuvre des apôtres syriens au Ier siècle ap. J.-C. et fut renforcée au début du 4ème siècle ap. J.-C. par des personnalités tels que saint Grégoire l'Illuminateur, qui convertit le roi arménien et répandit le message de l'Évangile. Processus plus complexe que ne le décrivent les récits légendaires, l'adoption du Christianisme par l'Arménie constitua néanmoins un chapitre capital de l'histoire du pays, comme l'explique ici l'historien Richard G. Hovannisian:

La conversion de l'Arménie au Christianisme fut probablement l'étape la plus cruciale de son histoire. Elle détourna radicalement l'Arménie de son passé iranien et la marqua pour des siècles d'un caractère intrinsèque aussi clair pour la population autochtone que pour les peuples à l'extérieur de ses frontières, qui identifièrent presque immédiatement l'Arménie comme le premier État de la région à adopter le Christianisme. (81)

Detail of a Cross from Surb Karapet Church
Détail d'une Croix dans l'église de Surb Karapet, Arménie
James Blake Wiener (CC BY-NC-SA)

La Légende: Saint Grégoire l'Illuminateur

La tradition attribue à saint Grégoire l'Illuminateur (connu d’abord sous le nom de Grigor Lusavorich, vers 239-330 ap. J.-C.) le mérite d'avoir établi le Christianisme comme religion officielle de l'Arménie antique. On attribue à Grégoire la conversion du roi Tiridate le Grand (règne vers 298-330 ap. J.-C.) à la nouvelle religion, l'établissement officiel de l'Église arménienne, et la diffusion du Christianisme dans tout son pays. Pour ces réalisations, saint Grégoire devint le saint patron de l'Arménie.

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Grégoire naquit en Cappadoce et fut élevé dans la foi chrétienne, fréquentant là-bas une école chrétienne grecque. De retour en Arménie, il obtint un poste de fonctionnaire du palais à la cour du roi arménien à Vagharshapat. Là, il prit position contre la religion païenne de l'époque et refusa de participer à ses rites. Tiridate le Grand, monarque régnant, fit emprisonner, torturer et jeter le gênant Grégoire dans la terrible prison de Khor Virap à Artashat, connue sous le nom de «fosse de l’oubli»; personne n’en revenait jamais.

POUR LANCER LE MOUVEMENT, TIRIDATE DONNA À SAINT GRÉGOIRE JUSQU’A 15 PROVINCES DE TERRITOIRE POUR ÉTABLIR L’ÉGLISE ARMÉNIENNE.

Après avoir enduré 13 ans dans la fosse, Grégoire fut miraculeusement sauvé par Khosrovidoukht, sœur de Tiridate. Celle-ci avait eu une vision selon laquelle Grégoire était la seule personne capable de sauver le roi de sa terrible maladie (la lycanthropie, délire où le patient s’imagine être changé en loup). Grégoire fut donc libéré de Khor Virap, et naturellement, en plus d’essayer de guérir le roi, il fit de son mieux pour le convertir au Christianisme. La tradition, et l’Église apostolique arménienne, rapportent que Tiridate fut effectivement guéri et converti à sa nouvelle foi en 301 ap. J.-C. par saint Grégoire.

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Grégoire fut ensuite nommé premier évêque (katholikos) de l'histoire de l'Arménie vers 314 ap. J.-C., et il entreprit d'y établir officiellement l'Église chrétienne. Pour lancer le mouvement, Tiridate donna à saint Grégoire jusqu'à 15 provinces de territoire pour établir l'Église arménienne. Les anciens temples païens furent démolis, et toute la nation fut obligée d'embrasser la nouvelle foi. Les églises et les monastères surgirent partout et l'aristocratie arménienne suivit rapidement l'exemple de la famille royale, de nombreuses familles nobles se convertissant au Christianisme.

Saint Gregory the Illuminator
Saint Grégoire l'Illuminateur, Musée de l'Église Pammakaristos, Istanbuls
G.dallorto (CC BY-SA)

Saint Grégoire bénéficia alors du soutien de l'État pour diffuser le message de l'Évangile, et l’œuvre fut poursuivie par ses descendants qui héritèrent du siège de premier évêque d'Arménie. Grégoire utilisa deux outils efficaces pour diffuser le message: l'éducation et la puissance militaire. Des écoles furent créées dans lesquelles les enfants de la classe sacerdotale païenne existante étaient préparés au sacerdoce chrétien. Pendant ce temps, des unités militaires étaient envoyées pour détruire les sites de temples païens et confisquer leurs richesses, lesquelles furent ensuite utilisées pour financer des projets de construction chrétiens. Naturellement, de nombreux sites de temples, ainsi que plusieurs principautés féodales riches et semi-indépendantes, résistèrent à la nouvelle politique et furent passées au fil de l'épée. Les traditions païennes ne furent jamais complètement éradiquées, mais elles furent certainement affaiblies par la suppression des temples et de leurs ressources économiques. De nombreuses familles aristocratiques antichrétiennes et pro-persanes persistèrent cependant à résister au moins jusqu'au siècle suivant. Grégoire, quant à lui, supervisait les baptêmes de masse dans l'Euphrate. Des évêques furent alors nommés parmi les clans nobles (nakharars), et des prêtres de rang inférieur parmi la classe des chevaliers (azats), pour guider le troupeau toujours croissant de fidèles.

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L'Histoire: Une Adoption Progressive

Telle est la légende de la façon dont l'Arménie devint un État chrétien. Les historiens modernes, cependant, préfèrent un processus plus organique d'acceptation et de conversion se produisant en différents endroits, à des époques différentes. Ils préfèrent également la date plus sûre de vers 314 ap. J.-C. pour l'adoption officielle du Christianisme par l'Arménie. Ceci suivait l'édit de Milan de l'empereur romain Constantin Ier qui, en 313 ap. J.-C., légalisa le Christianisme dans l'Empire romain, dont l'Arménie était une province. Il semble probable que le Christianisme soit entré en Arménie par deux voies distinctes plus ou moins contemporaines, ce qui explique les récits contradictoires des documents historiques anciens.

Saint Grégoire représentait la transmission via la culture grecque dans la capitale, tandis que dans les provinces, une influence importante venait de Syrie, en particulier via les communautés arméniennes des villes de Mtsbin et d'Édesse, en Mésopotamie. Édesse en particulier, suite au travail des deux apôtres Thaddée (ou Jude) et Barthélemy, fut un centre majeur de la foi. Avec une importante population arménienne et la religion établie depuis plus de deux siècles, il est probable que les émigrants de retour ont amené le Christianisme avec eux. En effet, les deux apôtres mentionnés se rendirent en Arménie, tout comme de nombreux prêtres assyriens tels que Bardatsan (Bardaisan) d’Édesse, et y établirent des écoles qui enseignaient et prêchaient la nouvelle foi. Une autre voie d’entrée des idées chrétiennes en Arménie fut via les régions frontalières de Bitlis (Baghesh) et de Mush (Taron), à l’ouest du lac de Van. Ainsi, la propagation de la religion fut beaucoup plus lente et plus aléatoire que racontée dans le récit traditionnel.

Tiridates the Great
Tiridate le Grand
Unknown Artist (Public Domain)

Les historiens suggèrent aussi que Tiridate le Grand aurait bien pu adopter le Christianisme pour des raisons plus prosaïques qu’un changement de foi fondé sur le rétablissement miraculeux de sa santé. En effet, la fin de l’ancienne religion païenne fut un bon prétexte pour confisquer les trésors anciens du temple, jalousement gardés par une classe héréditaire de prêtres. La religion fut également un point de distinction utile entre l’Arménie et la Perse sassanide qui avait essayé de répandre le Zoroastrisme dans le pays. Le Christianisme devint alors un moyen de résister à l'impérialisme culturel iranien.

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L'Église arménienne devint une institution indépendante où les familles nobles fournissaient les personnages clés & où les monastères étaient en mesure d'atteindre l'autosuffisance.

Au même moment, Rome, l'autre puissance régionale cherchant à contrôler l'Arménie, vit l'intérêt de permettre la propagation du Christianisme comme moyen de maintenir l'indépendance du pays vis-à-vis de la Perse. Enfin, une religion monothéiste pour laquelle le monarque est le représentant de Dieu sur terre devait pouvoir susciter une plus grande loyauté de la part de ses nobles et du peuple en général. L'Église arménienne en vint à devenir une institution indépendante, avec des familles nobles qui fournissaient des personnalités clés et des monastères capables d’être autosuffisants grâce à leurs domaines fonciers.

Deux Christianismes

Comme nous l'avons vu, le Christianisme entra en Arménie et se répandit vers l'extérieur par deux voies principales, des provinces du sud vers le nord et de la capitale vers l'extérieur. Pour compliquer encore les choses, il y existait aussi deux variantes de la foi, comme l’explique ici l’historien Simon Payaslian:

La forme sud-arménienne du Christianisme était davantage orientée vers les masses, épousait des principes ecclésiastiques plus démocratiques et une philosophie communautaire. Elle se prêtait donc moins à une hiérarchie institutionnelle rigide… mais c’est la forme occidentale, gréco-romaine, du Christianisme, entrée en Arménie par la Cappadoce, qui supplanta l’église du sud et établit son hégémonie ecclésiastique en Arménie. (35)

Saint Grégoire était, bien sûr, un représentant de la forme occidentale de la foi.

Mesrop Mashtots
Mesrop Machtots, par Francesco Maggiotto
Francesco Majotto (Public Domain)

Changements Sociaux

Outre le remplacement évident des dieux traditionnels et des temples païens, il y eut aussi des changements sociaux qui affectèrent directement les gens. Un domaine notable fut celui du mariage, car l'Église chrétienne formalisa l'institution et imposa aux couples de légaliser leur union en prononçant des vœux selon la doctrine chrétienne. Même le choix du conjoint était plus limité, du fait que les partenaires devaient désormais provenir de l'extérieur de la famille, à l'exception de la veuve qui pouvait épouser son beau-frère. La polygamie, qui n'était pas rare, fut également interdite. D'autres rituels traditionnels furent également désormais interdits, notamment les lamentations pour les morts et les danses de deuil au cours desquelles les personnes en deuil se tailladaient souvent le visage et les bras. A côté des restrictions, l'Église apporta cependant des avantages au peuple, en créant des hôpitaux, des auberges, des orphelinats, et des léproseries pour les pauvres et les malades.

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Mesrop Mashtots et l'Alphabet Arménien

Au début du 5ème siècle ap. J.-C., le Christianisme en Arménie connut un grand essor grâce à l'invention de l'alphabet arménien par le moine érudit Mesrop Mashtots (c. 360-440 ap. J.-C.). Mashtots, avec le soutien total de l'État et de l'Église, créa une nouvelle écriture dans le but premier de permettre aux gens ordinaires de lire la Bible et d'autres textes chrétiens dans leur propre langue, laquelle n’avait pas de forme écrite à l’époque. La conséquence ultime de cette approche pour la diffusion de l’Evangile par la langue est résumée ici par S. Payaslian:

Les années suivantes virent les efforts considérables des chefs religieux érudits et des lettrés pour traduire en arménien les textes chrétiens grecs et syriaques, et pour renforcer la nouvelle culture nationale par l’arménisation. L’Église prit progressivement le contrôle de la culture, de la littérature et de l’éducation arméniennes, et avec le soutien de l’État, instaura un «discours totalisant» hégémonique chrétien. La culture, l’identité et l’histoire arméniennes en vinrent alors à être perçues presque exclusivement à travers le prisme de la théologie chrétienne. (40)

This article was made possible with generous support from the National Association for Armenian Studies and Research and the Knights of Vartan Fund for Armenian Studies.

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Bibliographie

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Traducteur

Jerome Couturier
Je suis médecin, spécialisé en Génétique. J'aime l'Histoire et l'Antiquité depuis mon plus jeune âge. J'ai toujours eu un interêt pour la recherche dans divers domaines scientifiques, dont l'archéologie.

Auteur

Mark Cartwright
Mark est un auteur, chercheur, historien et éditeur à plein temps. Il s'intéresse particulièrement à l'art, à l'architecture et à la découverte des idées que toutes les civilisations peuvent nous offrir. Il est titulaire d'un Master en Philosophie politique et est le Directeur de Publication de WHE.

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Style APA

Cartwright, M. (2018, mars 22). Christianisation de l'Arménie [The Early Christianization of Armenia]. (J. Couturier, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-801/christianisation-de-larmenie/

Style Chicago

Cartwright, Mark. "Christianisation de l'Arménie." Traduit par Jerome Couturier. World History Encyclopedia. modifié le mars 22, 2018. https://www.worldhistory.org/trans/fr/2-801/christianisation-de-larmenie/.

Style MLA

Cartwright, Mark. "Christianisation de l'Arménie." Traduit par Jerome Couturier. World History Encyclopedia. World History Encyclopedia, 22 mars 2018. Web. 14 janv. 2025.

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