La période thinite de l'Égypte (alias période archaïque, 3150-2613 av. J.-C.) jeta les bases de ce qui allait devenir l'une des civilisations les plus impressionnantes du monde antique. Les rois de cette époque, à l'exception de Narmer et de Djéser, sont souvent négligés alors qu'ils sont à l'origine de certains des aspects les plus marquants de la culture égyptienne. Cela ne veut pas dire que la période thinite a été complètement négligée, mais seulement qu'elle ne reçoit pas l'attention accordée aux époques ultérieures de l'histoire égyptienne. L'une des principales raisons en est le problème des sources. La période thinite est préhistorique - les documents écrits qui en font état datent de plusieurs siècles plus tard - et il est donc difficile, surtout pendant la deuxième dynastie (c. 2890-2670 av. J.-C.), de déterminer qui régna à quelle époque et quelles furent ses contributions. Les documents écrits tels que la chronologie de Manéthon, la liste des rois de Turin, la pierre de Palerme et d'autres furent créés bien plus tard et, comme l'écrit l'égyptologue James Henry Breasted:
Comparativement, très peu de choses de cette civilisation riche et productive, qui s'est épanouie pendant au moins cinq millénaires avant Jésus-Christ sur les rives du Nil inférieur, ont survécu sous forme de documents écrits afin de nous éclairer. (43).
Identification des contributions pendant la préhistoire
Les documents contemporains de la période thinite sont constitués d'images et, plus tard, d'inscriptions sur des monuments en pierre. Les statues et autres projets de construction peuvent donner le nom du monarque ou peuvent, au moins, être datés d'une certaine période mais, pour la plupart, ces dates doivent être approximatives. Malgré cela, nous disposons de suffisamment de preuves pour pouvoir dresser une liste des rois les plus importants de cette période en ce qui concerne les développements les plus significatifs de la culture et de la civilisation. Ces souverains étaient connus sous le nom de rois, et non de pharaons; le titre de "pharaon" n'apparaîtrait pas en Égypte avant la période connue sous le nom de Nouvel Empire (1570-1076 av. J.-C.).
Les souverains les plus importants de cette époque sont Narmer, Den (première dynastie), Râneb (Nebrê) et Péribsen (deuxième dynastie) et Djéser (troisième dynastie). On pourrait également citer Merneith, la première femme à avoir régné sur l'Égypte au cours de la première dynastie, qui offrit à son fils Den un pays stable lorsqu'il monta sur le trône; mais aucun détail sur son règne n'est disponible et on ne sait pas avec certitude à quel titre elle aurait régné. On pourrait également citer Nynetjer, de la deuxième dynastie, qui aurait décrété l'égalité des droits pour les femmes et aurait sauvé le pays de la famine en le divisant en deux, mais ces affirmations sont contestées et les preuves ne sont pas précises.
Les quatre rois de la troisième dynastie pourraient être considérés comme ayant apporté une contribution durable si l'on pouvait savoir avec certitude qui, exactement, a fait quoi. On a longtemps attribué à Sekhemket, le deuxième souverain de la IIIe dynastie, la construction de sa pyramide enfouie, et à Khaba, le troisième roi, la pyramide à tranches, mais cette dernière a également été attribuée à Houni, le dernier roi, et la pyramide de Sekhemkhet n'est plus considérée comme ayant été construite pour lui, mais pour son épouse. Cette distinction du personnage royal pour lequel la pyramide aurait été construite peut sembler triviale mais elle ne l'est pas; chaque tombeau de l'Égypte ancienne était construit sur mesure pour un individu particulier et le fait de déterminer pour quelle personne une pyramide aurait été construite permet d'identifier avec certitude cette structure et sa signification. Djéser est donc choisi en tant que souverain le plus important de la IIIe dynastie parce que sa pyramide à degrés de Saqqarah est la première pyramide connue construite dans l'Égypte ancienne et qu'elle fut construite pour ce roi en tant que dernière demeure.
Les autres rois sont inclus dans cette liste en raison de leurs contributions tout aussi importantes à la culture égyptienne: Narmer unifia la Haute et la Basse-Égypte, Den fut le premier souverain représenté portant la double couronne des deux royaumes, Râneb lia la position du roi aux dieux (une pratique bien connue de l'époque pharaonique), et Péribsen encouragea l'alphabétisation. La première phrase complète de l'Égypte ancienne trouvée à ce jour provient d'ailleurs de la tombe de Péribsen.
Selon la chronologie de Manéthon, le premier roi d'Égypte fut Ménès, qui réunit la Haute et la Basse-Égypte. Ménès a été identifié avec le roi Narmer (c. 3150 av. J.-C.) et avec le successeur de Narmer, Hor-Aha (c. 3100 av. J.-C.). Il est probable que "Ménès" était un titre (un titre honorifique signifiant "Celui qui dure"), et non un nom personnel, et Narmer est donc généralement accepté en tant que fondateur de la première dynastie d'Égypte depuis que l'égyptologue Flinders Petrie (1853-1942) a conclu que Ménès et Narmer étaient une seule et même personne.
Narmer
Narmer (probablement originaire de Thinis) épousa la princesse Neith-Hotep de Naqada dans le cadre d'une alliance visant à renforcer les liens entre les deux cités. Il mena des expéditions militaires à travers la Basse-Égypte pour réprimer les rébellions et étendit son territoire en Canaan et en Nubie. Il lança de grands projets de construction et, sous son règne, l'urbanisation se développa. Les villes égyptiennes ne connurent jamais l'ampleur de celles de Mésopotamie, peut-être parce que les Égyptiens étaient conscients des menaces que représentait un tel développement. Les villes mésopotamiennes furent largement abandonnées en raison de la surexploitation des terres et de la pollution de l'eau, tandis que les villes égyptiennes, comme Xois (pour prendre un exemple au hasard), survécurent pendant des millénaires. Bien que les développements ultérieurs en matière d'urbanisme aient assuré la pérennité des villes, les premiers efforts de rois tels que Narmer auraient servi de modèle.
Son fils Hor-Aha, qui lui succéda vers 3100 avant notre ère (certains affirment qu'il s'agirait en fait de la même personne), poursuivit l'expansion militaire de son père et développa le commerce. Il s'intéressa particulièrement à la religion et au concept de l'au-delà. C'est sous son règne que se développa la tombe mastaba (une maison pour les défunts). Son fils Djer lui succéda vers 3050 avant notre ère et poursuivit la même politique que ses prédécesseurs. Djet (vers 3000), épousa la princesse Merneith et, à sa mort, on pense qu'elle prit le contrôle du pays. On ne sait pas si elle régna en tant que régente pour son jeune fils Den ou si elle régna en tant que reine, mais quoi qu'il en soit, son règne marque le premier règne d'une femme dans l'Égypte ancienne.
Den
Son fils, Den (c. 2990 av. J.-C.), était le sixième roi de la première dynastie et est considéré comme le plus grand. Il régna pendant 50 ans, période pendant laquelle le pays prospéra. Sa réputation de roi efficace vient des améliorations qu'il apporta à l'économie du pays, de ses conquêtes militaires et de la stabilité de son règne, comme en témoignent les somptueux projets de construction et les œuvres d'art complexes. Den fut le premier roi à être représenté portant les couronnes de Haute et de Basse-Égypte, ce qui indique clairement que la nation était unie sous son règne. Den fut suivi par deux autres rois, Adjib puis Sémerkhet, qui connurent des règnes difficiles marqués par des insurrections. La dynastie s'acheva avec le règne de Qâ dont les successeurs se disputèrent le trône et furent soumis par Hotepsekhemouy qui fonda la seconde dynastie.
Râneb
Râneb (également connu sous le nom de Nebrê, nom grec: Kaiekhôs) était le deuxième roi de la deuxième dynastie et peut-être le frère de Hotepsekhemouy. Il régna pendant environ 15 ans et prit peut-être le pouvoir à la suite d'un coup d'État. Il fut le premier roi égyptien à ajouter le nom du dieu soleil Râ à son nom et à se lier ainsi directement, lui et le titre de roi, aux dieux (une pratique qui se poursuivrait tout au long de l'histoire de l'Égypte et qui en viendrait à définir la fonction de dirigeant de l'Égypte). Le fait que le souverain soit une divinité vivante, et non un simple homme, élevait le statut de la fonction et liait le souverain à la conception culturelle de la vie terrestre reflétant l'éternité. Ce lien allait avoir de profondes conséquences pour la culture égyptienne, dans la mesure où le chef suprême n'était pas considéré comme ayant été simplement choisi par les dieux, mais comme étant lui-même divin, de sorte que ses édits étaient nécessairement bons et justes, par définition. Les pratiques religieuses se développèrent davantage sous Râneb qu'elles ne l'avaient fait depuis le règne de Hor-Aha. Les images de la déesse Bastet (représentée sous la forme d'un chat ou d'une femme à tête de chat) apparurent pour la première fois sous son règne et d'autres iconographies religieuses se répandirent, ce qui plaide en faveur d'un règne plus pacifique et plus productif que celui de son prédécesseur; bien que cela ne soit pas du tout certain et qu'il existe des preuves que le pays continua à connaître des troubles civils et des rébellions.
Péribsen
Péribsen (également connu sous le nom de Seth-Péribsen) était le sixième roi de la deuxième dynastie. Il est considéré comme un souverain important en raison des changements culturels qui eurent lieu sous son règne et de son nom, qui remplaça le dieu Horus par son rival Seth. Horus le Jeune était le fils du dieu Osiris qui avait vaincu le frère (et meurtrier) d'Osiris, Seth, pour rétablir l'équilibre en Égypte. Il a été suggéré que l'adoption du nom de Seth par Péribsen indiquerait un changement significatif dans l'orientation religieuse de l'Égypte à cette époque. Cependant, comme le nom de Péribsen n'apparaît dans aucun document de Basse-Égypte, il a également été affirmé qu'il régnait sur un pays divisé et qu'il aurait choisi de prendre ses distances avec le culte d'Horus pour des raisons politiques. Il a également été suggéré que Péribsen était le premier monothéiste (précédant ainsi Akhenaton de plusieurs siècles), mais cette affirmation a été largement discréditée car il existe des preuves de l'existence de nombreux dieux différents sous son règne. Péribsen réorganisa la bureaucratie égyptienne et encouragea l'alphabétisation et la pratique religieuse. La première phrase complète de l'histoire égyptienne date de son règne et a été trouvée dans sa tombe. Elle se lit comme suit: "L'homme d'or, celui d'Ombos, a unifié et transmis les deux royaumes à son fils, le roi de la Basse et de la Haute-Égypte, Péribsen". Selon le spécialiste Marc Van de Mieroop, "les inscriptions antérieures, souvent trouvées sur des sceaux imprimés sur l'argile, étaient laconiques et ne fournissaient guère plus que les noms et les titres des personnes (30)". La phrase trouvée dans la tombe de Péribsen, en revanche, indique clairement comment le dieu Seth ("celui d'Ombos") aurait légitimé le règne de Péribsen. Le pharaon Khâsekhemouy, dernier roi de la IIe dynastie et père de Djéser, suivit Péribsen.
Djéser
Djéser (alias Djoser, c. 2670 av. J.-C.; nom grec: Tosorthros) fut le premier roi de la troisième dynastie et régna pendant plus de vingt ans. Il régna sur un pays stable, comme en témoigne le luxe qu'il eut de pouvoir se lancer dans un certain nombre de projets de construction. Djéser fit construire tant de monuments, de tombes et de temples que les érudits ont affirmé qu'il avait dû régner pendant près de 30 ans. L'expansion militaire dans la région du Sinaï eut lieu sous son règne, et l'industrie et la technologie prospérèrent, tout comme les arts. Son vizir, Imhotep, conçut son lieu de sépulture à Saqqarah, la grande pyramide à degrés pour laquelle il est surtout connu de nos jours. Son règne fut suivi par ceux de Sekhemkhet, Khâba et Houni, le dernier roi de la période thinite.
La pyramide à degrés était à l'origine un simple mastaba avec un toit plat et des côtés inclinés, à l'instar de nombreuses tombes des dynasties précédentes. L'architecte Imhotep avait cependant un projet plus ambitieux pour la demeure éternelle de son monarque. La pyramide à degrés est une série de mastabas empilés les uns sur les autres, chaque niveau étant un peu plus petit que le précédent, pour former la forme d'une pyramide. Les mastabas précédents étaient construits en briques d'argile, mais la pyramide à degrés fut réalisées à partir de blocs de pierre sur lesquels furent gravées des images d'arbres (sacrés pour les dieux d'Égypte) et de roseaux (symbolisant peut-être le champ de roseaux, l'au-delà égyptien). Une fois achevée, la pyramide à degrés s'élevait à 62 mètres de haut et était la plus haute structure de son époque. Le complexe pyramidal comprenait un temple, des cours, des sanctuaires et des quartiers d'habitation pour les prêtres, couvrant une superficie de 16 hectares et entouré d'un mur de 10,5 mètres de haut. Les chambres du tombeau avaient été creusées sous la base, sous la forme d'un labyrinthe de tunnels avec des salles à l'écart des couloirs pour décourager les voleurs et protéger le corps et les objets funéraires du roi. La pyramide à degrés est la première tentative connue des Égyptiens de créer le type de tombes monumentales dont leur culture est devenue synonyme. Elle était une attraction touristique très populaire à l'époque et continue d'attirer des visiteurs du monde entier 4 000 ans plus tard.
Héritage
Ces cinq rois ont jeté les bases des générations futures de souverains qui ont apporté leurs propres contributions et enrichi la grande culture égyptienne. Le concept de ville, né en Mésopotamie, s'est affiné en Égypte, la religion et l'art religieux en ont fait de même, et l'architecture a suivi. En fait, toute l'architecture égyptienne a été inspirée par la compréhension du cosmos et de la place qu'y occupaient les Égyptiens. L'exemple le plus évident est celui des pyramides, grandes demeures éternelles des pharaons, mais tous les temples, palais et bâtiments administratifs ont également été construits dans un souci d'éternité. La décision de Râneb de lier la fonction de dirigeant égyptien aux dieux découlait tout naturellement de la croyance culturelle selon laquelle les dieux étaient à portée de main et que chaque vie égyptienne n'était qu'une partie d'un voyage éternel. En tant que souverain divin, le roi était chargé de rendre la partie terrestre de ce voyage aussi agréable que possible. Le degré de réussite de ces cinq souverains a été débattu, mais il ne fait aucun doute que Narmer, Den, Râneb, Péribsen et Djéser ont établi une norme que les monarques égyptiens ultérieurs devaient atteindre, voire dépasser.