La République romaine était à l'agonie. En l'espace de quelques années, Jules César, le "dictateur à vie", serait assassiné et, par conséquent, le gouvernement sombrerait dans le chaos. La conséquence d'une longue guerre civile conduirait à la naissance d'un empire sous l'œil vigilant d'un empereur, mais aussi à la perte de nombreuses libertés individuelles - des libertés qui faisaient la fierté du peuple et qui étaient le résultat d'une longue histoire de luttes et de conflits. Nous sommes en 63 avant Jésus-Christ et la ville de Rome, ainsi que les fondements de la République, étaient menacés. Heureusement, un homme allait se lever au milieu du désordre, du moins dans son esprit, pour la sauver.
La crise économique de Rome
En l'an 63 avant notre ère, Rome était une ville de près d'un million d'habitants qui gouvernait un empire allant de l'Hispanie à l'ouest à la Syrie au Moyen-Orient et de la Gaule au nord aux déserts d'Afrique. À l'extérieur de la ville éternelle, dans les provinces, les décennies suivantes verraient un renforcement des frontières - Pompée affrontant le roi Mithridate du Pont à l'est tandis que Jules César combattait les tribus hétéroclites de Gaule et d'Allemagne au nord, mais à l'intérieur, Rome était confrontée à une menace interne. Les difficultés sur le front intérieur découlaient des troubles qui se développaient dans les provinces orientales.
Une diminution importante du commerce et la perte de recettes fiscales qui en résultait entraînèrent une augmentation de l'endettement de nombreux Romains plus aisés. Le chômage dans la ville était élevé. Le Sénat romain restait silencieux, incapable ou peu disposé à trouver une solution. Le peuple attendait avec impatience qu'un héros, à savoir le très populaire Pompée, revienne et apporte un remède. Mais entre-temps, des troubles graves - du moins en apparence - se produisaient, troubles qui débouchèrent sur une conjuration, une prétendue conspiration qui menaçait non seulement la vie des habitants des murs de Rome, mais aussi la ville à proprement parler.
Catilina contre Cicéron
Au centre de cette agitation se trouvaient deux hommes - Lucius Sirgius Catilina et Marcus Tullius Cicero (Cicéron). Catilina était un aristocrate presque ruiné, tandis que Cicéron, son adversaire le plus virulent, était un orateur et un homme d'État renommé, ainsi qu'un philosophe et un poète. Catilina était issu d'une famille patricienne distinguée - son arrière-grand-père avait combattu contre Hannibal lors de la deuxième guerre punique - tandis que Cicéron venait d'une riche famille terrienne située en dehors de Rome, à Arpinum, une petite ville au sud-est de la capitale. Il avait fait une brillante carrière en droit où il avait pu utiliser ses célèbres talents d'orateur. On disait que les gens arrêtaient toute activité pour entendre Cicéron parler.
Les deux hommes s'affrontèrent après que Cicéron eut découvert un complot, un complot conçu par Catilina, qui prévoyait l'assassinat de plusieurs élus et l'incendie de la ville. L'objectif de cet assaut supposé de la ville, comme cela fut révélé par la suite, aurait été l'élimination de la dette pour tous - les pauvres comme les riches (Catilina inclus). Certains pensaient que le chaos qui en résulterait permettrait également à Catilina d'assumer le rôle de leader qu'il désirait tant. La découverte de la conjuration entraînerait ce que l'historienne Mary Beard, dans son livre SPQR : A History of Ancient Rome, appelle un affrontement entre "idéologie et ambition". La découverte de la conjuration présumée serait le point culminant de la longue et distinguée carrière politique de Cicéron. Elle lui vaudrait les louanges des uns et la condamnation des autres.
Le sombre passé de Catilina
Les deux hommes s'affrontèrent d'abord lors de l'élection du consulat en 64 avant Jésus-Christ. Catilina utilisa son propre argent ainsi que celui des autres - il s'endetta même davantage - pour tenter de remporter l'élection, mais ne termina que troisième. Malheureusement, il perdit contre un "outsider", Cicéron et Caius Antonius Hybrida. En réalité, la réputation d'Hybrida n'était guère meilleure que celle de Catilina. Considéré par beaucoup comme corrompu, il avait déjà été exclu par le Sénat et déchu de son rang. Cicéron avait utilisé ses talents d'orateur pour mettre en doute la réputation de Catilina, lui faisant perdre les élections. Même avant la révélation de la conjuration, Cicéron avait vu en Catilina une menace sérieuse pour la ville en difficulté. Alors que Cicéron croyait à la fois en "l'état de droit et au maintien de la constitution", Catilina, lui, se voyait comme le champion des pauvres, des vétérans ruinés et des dépossédés.
Pour l'observateur non averti, Catilina semblait bien placé pour occuper le poste de consul : il avait servi dans l'armée pendant la guerre sociale (89-91 avant J.-C.) avec le père de Pompée et avait été préteur et gouverneur. Il avait même le soutien de Jules César (bien que César l'ait révoqué par la suite). Cependant, Catilina avait un côté plus sombre. Bien qu'il ait été inexplicablement acquitté d'accusations d'extorsion alors qu'il était gouverneur en Afrique, il était au centre de graves rumeurs concernant la mort mystérieuse de sa femme et de son fils. Malgré les rumeurs et les insinuations, il obtint le soutien et l'argent de Marcus Licinus Crassus pour se présenter au poste de consul en 64 avant J.-C., mais il fut battu par Cicéron et Antonius Hybrida. Après avoir remporté l'élection, Cicéron s'assura qu'il y aurait peu d'interférence de la part de son co-consul Antonius, un ami proche de Catilina. Comme il était coûteux de se présenter à un poste électif, Cicéron promit à Antonius qu'à l'issue de son mandat de consul, il pourrait occuper le poste lucratif de gouverneur de Macédoine, où il pourrait remettre ses finances à flot ; son séjour en Macédoine fut de courte durée, car il fut contraint de quitter son poste et finit par être envoyé en exil. Cicéron prit ses fonctions de consul le 1er janvier 63 avant Jésus-Christ.
La conjuration
Peu de temps après l'élection et la défaite de Catilina, Cicéron commença à entendre des rumeurs de conjuration - le projet d'assassiner plusieurs hauts fonctionnaires du gouvernement (dont Cicéron) et d'incendier la ville. L'information, que beaucoup mettraient d'abord en doute, provenait d'une femme nommée Fulvia, la maîtresse de Quintus Curius, un ami de Catilina. On suppose que Curius était très endetté, ce qui poussait Fulvia à chercher des pâturages plus verts. Afin de l'empêcher de partir, il avait affirmé que ses problèmes d'argent seraient bientôt résolus et aurait divulgué des informations sur le complot. Curius serait plus tard persuadé de tout révéler. Fulvia transmit immédiatement l'information à Terentia, l'épouse de Cicéron, qui, à son tour, en fit part à Cicéron. Peu de gens, cependant, le croyaient. Le Sénat disait qu'il n'avait guère de preuves, si ce n'était des rumeurs, et qu'il exagérait tout. Selon eux, il "créait une atmosphère de peur". Cicéron, cependant, le croyait et engagea même un garde du corps, ce qui s'avéra être une sage décision car, le 7 novembre 63 avant Jésus-Christ, il y eut effectivement un attentat contre lui. Heureusement pour lui, Fulvia l'avait prévenu de la possibilité d'une attaque.
Lettres de preuve
À peu près à cette époque, un certain nombre de lettres non signées, adressées à divers sénateurs romains, furent remises à Crassus ; sa lettre l'avertit de quitter Rome. Crassus, accompagné de deux sénateurs, se rendit directement chez Cicéron. Crassus déclara que les lettres provenaient d'une source anonyme mais beaucoup pensaient que cette personne était un ami de Cicéron et de Catilina, Caelius.
Cicéron convoqua le Sénat le 20 octobre et remit les lettres aux différents sénateurs auxquels elles étaient adressées. Chaque lettre contenait la même chose : des informations concernant le complot et des instructions pour quitter la ville. Pendant ce temps, des forces armées composées de vétérans et de pauvres se rassemblaient au nord. Pour se défendre, Catilina comparut devant le Sénat le 8 novembre, niant, bien sûr, tout et attaquant verbalement Cicéron. Cependant, pour apaiser ses accusateurs, il proposa d'être assigné à résidence (même au domicile de Cicéron), affirmant qu'il était contraint à l'exil sans procès. Plus tard, après avoir appelé à des soulèvements dans toute la ville, il s'enfuit dans la nuit avec 300 hommes, se rendant à Faesulae en Étrurie et rejoignant un autre conspirateur, Caius Manlius. En apprenant cela, le Sénat déclara les deux hommes ennemis publics.
Les conspirateurs arrêtés
D'autres informations sur le statut du complot qui se formait à l'extérieur de la ville provenaient d'une source improbable. Des Allobroges de Gaule se trouvaient dans la ville pour demander au Sénat de les soulager des lourdes taxes qu'ils étaient contraints de payer. Plusieurs conspirateurs les auraient abordés, les incitant à se joindre à leurs plans en déclenchant une révolte en Gaule. Après avoir quitté la ville, les Gaulois furent interceptés par Caius Pomptinus et contraints de revenir, pour finalement raconter à Cicéron tout ce qu'ils avaient appris - noms, lieux et plans. Le Sénat fut enfin convaincu de la gravité du complot ; les arrestations des conspirateurs restés à Rome ne tardèrent pas à suivre. Au domicile de l'un des conspirateurs, Gaius Cornelius Cethegus, un certain nombre d'armes, dont des lances, des couteaux et des épées, furent trouvées. Le 5 décembre, le Sénat fut convoqué au temple de la déesse de l'Harmonie et de la Concorde pour discuter de la punition des cinq conspirateurs en détention.
Jules César, un ami de Catilina et quelqu'un qui avait été à un moment donné accusé d'être un des conspirateurs, s'opposa à la suggestion de Cicéron d'une exécution immédiate, c'est-à-dire une exécution sans procès. Même le consul élu Junius Silanus était favorable à l'exécution. Cicéron fit consigner les débats en sténographie, afin de pouvoir défendre sa position devant le public réuni à l'extérieur sur le Forum. César suggéra que les conspirateurs soient emprisonnés jusqu'à ce qu'un procès puisse être organisé. Comme il n'y avait pas de prisons romaines, les amendes, l'exil ou la mort étaient les punitions habituelles. Il déclara que même s'il n'avait aucune sympathie pour les conspirateurs, le Sénat ne devait pas agir dans la précipitation. L'historien Suétone écrit dans son ouvrage Les Douze Césars,
César était préteur quand on découvrit la conjuration de Catilina. La mort des coupables avait été résolue dans le sénat, d'une voix unanime: lui seul opina pour qu'ils fussent détenus séparément dans des villes municipales, et que leurs biens fussent vendus.
Le Sénat écouta et était sur le point de donner raison à César lorsque Marcus Porcius Cato, dit Caton le Jeune, prit la parole. Il n'était pas un ami de César et était membre des optimates, une contingence forte et conservatrice au sein du Sénat. Dans un discours enflammé et impatient, il se rangea à l'avis de Cicéron : l'exécution était le seul choix possible. Le Sénat approuva et les hommes devaient être exécutés sans procès. Bien qu'un procès ait été habituel et dicté par la loi, Cicéron utilisa ses pouvoirs d'urgence pour soutenir la décision et renoncer à un procès. Chacun des cinq hommes fut emmené au Tullianum, un ancien bâtiment du Forum qui avait autrefois servi de puits. Ils furent forcés d'entrer dans une petite pièce miteuse et malodorante où ils furent étranglés par un bourreau au moyen d'un nœud coulant. S'adressant à la foule dehors, Cicéron, désormais salué comme pater patriae, c'est-à-dire "père de la patrie", s'exclama Vixere ! ou "Ils ont vécu !". L'éloge fut, cependant, de courte durée. De nombreuses personnes commencèrent à remettre en question son utilisation éhontée de ses pouvoirs exécutifs, une décision qui violait clairement le droit d'une personne à un procès équitable.
Suites de l'affaire
Tous les plans de Catilina échouèrent. Lui et son armée tentèrent de s'échapper à travers les Apennins mais furent interceptés. Sur ses 20 000 soldats supposés, les trois quarts avaient déserté. Il fut vaincu et tué. Le complot prit fin. Bien qu'il ait eu du succès en tant que consul, écrivain et poète, Cicéron a toujours pensé que son combat contre Catiline était sa plus grande réussite. Dans un discours très cité, prononcé quelques semaines plus tôt, le 8 novembre 63 avant J.-C. (le lendemain de sa tentative d'assassinat), Cicéron exprima son mépris pour Catilina : " Quo usque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ?", ce qui signifie "Combien de temps, Catilina, continueras-tu à abuser de notre patience ?".
Près de deux décennies plus tard, alors que la ville et la République étaient au cœur d'une nouvelle guerre civile, la vie de Cicéron fut une nouvelle fois en danger, et cette fois-ci, il finirait par perdre la vie. Malheureusement, il s'était fait l'ennemi de Marc-Antoine, le commandant romain et ami proche de César. Dans un essai intitulé "Attaque contre un ennemi de la liberté", il écrivit, en faisant référence à sa dénonciation de la conjuration de Catilina,
Pour moi, je le proclame hautement : jeune, j'ai défendu la république ; je ne l'abandonnerai pas dans ma vieillesse. J'ai méprisé les poignards de Catilina; je ne craindrai pas les vôtres. J'offre volontiers ma vie, si ma mort peut hâter la liberté de Rome. Puisse la douleur du peuple romain donner une prompte explosion à la vengeance dès longtemps amassée dans tous les cœurs.
Même dans sa vieillesse, Cicéron continua à défendre ouvertement la République et ses idéaux. Malheureusement, en se faisant un ennemi d'Antoine, il avait scellé son propre destin. Le 7 décembre 43 avant Jésus-Christ, il fut capturé, tué et décapité.