Poussés par leur désir de commerce et d'acquisition de marchandises telles que l'argent d'Espagne, l'or d'Afrique et l'étain des îles Scilly, les Phéniciens naviguèrent de long en large, bien au-delà de la protection des limites traditionnelles de la Méditerranée qu'étaient les piliers d'Hercule pour s'aventurer dans l'Atlantique. On leur attribue de nombreuses inventions nautiques importantes et ils acquirent la réputation d'être les plus grands marins du monde antique. Les navires phéniciens étaient représentés dans l'art de leurs voisins, et leur sens marin est acclamé par des écrivains anciens comme Homère et Hérodote. Si une nation pouvait prétendre être les maîtres des mers, c'était bien les Phéniciens.
Quitter la patrie
Les Phéniciens devinrent marins en premier lieu à cause de la topographie de leur patrie, l'étroite bande montagneuse de terre sur la côte du Levant. Se déplacer entre les colonies, généralement situées sur des péninsules rocheuses, était beaucoup plus facile par la mer, surtout lorsque les Phéniciens étaient célèbres pour le transport de marchandises aussi lourdes que les rondins de bois de cèdre. C'est grâce à ce même bois que les Phéniciens ne furent jamais en manque de matières premières nécessaires à la construction de leurs navires. Les Phéniciens préféraient également la sécurité des petits îlots juste au large de la côte, l'exemple classique étant la grande ville de Tyr, de sorte que les navires étaient le moyen de transport le plus pratique.
Encerclés par les montagnes, quand le temps fut venu, peut-être à partir du XIIe siècle av. JC, la direction naturelle de l'expansion phénicienne n'était pas à l'intérieur des terres, mais vers la mer. À la suite de cette recherche en nouvelles ressources telles que l'or et l'étain, les Phéniciens devinrent des marins accomplis, créant un réseau commercial sans précédent qui s'étandait à Chypre, Rhodes, aux îles de la mer Égée, à l'Égypte, la Sicile, Malte, la Sardaigne, l'Italie centrale, la France, l'Afrique du Nord, Ibiza, l'Espagne et au-delà même des piliers d'Hercule et des limites de la Méditerranée. Avec le temps, ce réseau se transforma en un empire de colonies de sorte que les Phéniciens sillonnèrent les mers et acquérirent la confiance nécessaire pour atteindre des endroits aussi lointains que l'ancienne Grande-Bretagne et la côte atlantique de l'Afrique.
Navires phéniciens
Les Phéniciens étaient célèbres dans l'antiquité pour leurs compétences en construction navale, et on leur attribuait l'invention de la quille, du bélier sur la proue et du calfatage entre les planches. Des sculptures en relief assyriennes à Ninive et à Khorsabad, et des descriptions dans des textes tels que le livre d'Ézéchiel dans la Bible, nous savons que les Phéniciens avaient trois types de navires, tous à quille peu profonde. Les navires de guerre avaient une poupe convexe et étaient propulsés par une grande voile carrée fixée à un mât unique et deux rangées de rames (un birème), ils avaient un pont et étaient munis d'un bélier bas sur la proue.
Le deuxième type de navire était destiné au transport et au commerce. Ceux-ci étaient semblables au premier type, mais avec de larges coques ventrues, ils étaient aussi beaucoup plus lourds. Ils avaient peut-être des côtés plus élevés pour permettre l'empilement de la cargaison aussi bien sur le pont qu'en dessous, et ils avaient à la fois une poupe et une proue convexes. Leur capacité de chargement était quelque part dans la région de 450 tonnes. Une flotte pouvait comprendre jusqu'à 50 navires de fret, et ces flottilles sont représentées sur des hauts-reliefs escortés par un certain nombre de navires de guerre.
Un troisième type de navire, également destiné au commerce, était beaucoup plus petit que les deux autres, avait une tête de cheval à la proue et une seule rangée de rames. En raison de sa taille, ce navire n'était utilisé que pour la pêche côtière et pour de courts trajets. Aucun navire phénicien n'a été retrouvé intact par les archéologues maritimes, mais à en juger par les preuves picturales, les navires auraient été difficiles à manipuler. Il est également intéressant de noter que plus un navire avait de rameurs, moins il y avait de place pour la cargaison. Ils obtenaient donc une plus grande manœuvrabilité en ajustant la voile si nécessaire et en utilisant une voile double.
Les anciens navires étaient loin d'être faciles à manier, mais dans l'Antiquité, les Phéniciens étaient largement connus comme les meilleurs marins qu'il fût. Hérodote décrit un épisode se déroulant lors des préparatifs de la deuxième invasion persane de la Grèce menée par Xerxès en 480 av. JC. Le roi persan voulut mettre sa flotte multinationale à l'épreuve et ainsi organisa une course à la voile, que les marins de Sidon remportèrent. Hérodote mentionne également que Xerxès s'assurait toujours de voyager sur un navire phénicien chaque fois qu'il devait prendre le large.
Navigation
Les Phéniciens n'avaient ni la boussole ni aucun autre instrument de navigation, et ils s'appuyaient donc sur les caractéristiques physiques du littoral, les étoiles et sur leur propre expertise pour les guider et leur permettre d'atteindre leur destination. L'étoile la plus importante pour eux était l'étoile polaire de la constellation de l'Ourse Mineure et, en complément de leurs compétences en mer, le nom grec de ce groupe d'étoiles était en fait Phoenike ou « Phénicien ». On sait qu'il existait des cartes de certains tronçons côtiers, mais il était peu probable qu'elles aient été utilisées au cours de voyages. La navigation était plutôt accomplie grâce à la position des étoiles, du soleil, des repères, de la direction des vents et de l'expérience que le commandant de bord avait des courants et des vents sur la route en question. Près du rivage, Hérodote mentionne l'utilisation de sondes pour mesurer la profondeur de la mer, et nous savons que les navires phéniciens avaient un nid-de-pie pour une meilleure visibilité.
Les historiens pensèrent pendant longtemps que les Phéniciens ne naviguaient que pendant la journée, car ils devaient se tenir près du rivage et garder les repères terrestres à portée de vue; la nuit, ils devaient donc s'amarrer ou ancrer leurs navires, ce qui expliquait la proximité de certaines colonies phéniciennes, une distance de navigation d'une journée l'une de l'autre. Cette vision simpliste a été révisée ces dernières années. Tout d'abord, la côte souvent montagneuse de la Méditerranée signifie que l'on peut naviguer à une grande distance de la terre tout en gardant en vue des points de repère élevés, une stratégie encore utilisée par de nombreux pêcheurs locaux aujourd'hui. En effet, les zones maritimes où il n'est pas possible de voir quelque terre que ce soit sont remarquablement peu nombreuses en Méditerranée, et ce sont des endroits que les anciens navigateurs n'auraient eu aucun intérêt à traverser de toute façon. En outre, il peut en fait être plus dangereux de naviguer près d'une côte qu'en pleine mer où il n'y a ni rochers ni courants imprévisibles.
La vision traditionnelle ne tient pas non plus compte du fait que les Phéniciens utilisaient des observations astronomiques de nuit. De plus, de nombreux établissements phéniciens étaient soit beaucoup plus proches que la distance de navigation d'une journée ou beaucoup plus loin, par exemple, Ibiza est à 65 milles de l'Espagne. Il en va de même pour la Sardaigne et la Sicile, et il y a aussi des preuves que les Phéniciens utilisaient des îles encore plus reculées comme points d'arrêt. Il semble donc raisonnable de supposer que les navigateurs phéniciens, du moins par beau temps, auraient choisi la route directe la plus courte entre deux points et n'auraient pas nécessairement serré la côte ni se seraient arrêtés chaque nuit aussi souvent qu'on le pensait autrefois. Les voyages sans escale décrits à la fois dans Hésiode et Homère mériteraient plus de confiance quant à leur exactitude. Il est vrai que par temps brumeux ou pluvieux, les repères et les étoiles deviennent inutiles, mais c'est probablement la raison pour laquelle les Phéniciens limitaient leur saison de navigation à la période comprise entre la fin du printemps et le début de l'automne, lorsque le climat méditerranéen est remarquablement stable.
Routes maritimes
Hérodote et Thucydide conviennent que la vitesse moyenne d'un navire ancien était d'environ 6 milles à l'heure, et donc, compte tenu des arrêts pour mauvais temps, repos, etc., il aurait fallu, par exemple, 15 jours pour naviguer (et parfois ramer) de la Grèce à la Sicile. Colæos navigua de Samos à Gadir (dans le sud de l'Espagne), une distance de 2 000 milles, au VIIe siècle avant notre ère, et cela aurait pris environ 60 jours. Les longs voyages auraient donc souvent nécessité des escales hivernales et se poursuivaient au cours de la saison de navigation suivante. Hérodote mentionne ce fait, décrivant même comment les navigateurs pouvaient cultiver leur propre blé pendant leur attente. Ainsi, d'un bout à l'autre du monde phénicien - de Tyr à Gadir (plus de 1 600 milles) - il aurait fallu 90 jours ou une saison de navigation complète; le navire aurait déchargé et rechargé la cargaison et fait le voyage de retour l'année suivante.
Les itinéraires empruntés par les Phéniciens sont sources de nombreux débats, mais si nous supposons que les courants de la Méditerranée n'ont pas changé depuis l'Antiquité, alors il semble probable que les anciens navigateurs profitaient des mêmes courants de longue distance que ceux utilisés par les marins aujourd'hui. La route ouest, alors, aurait probablement été via Chypre, la côte de l'Anatolie, Rhodes, Malte, la Sicile, la Sardaigne, Ibiza, et le long de la côte du sud de l'Espagne jusqu'à Gadir riche en argent. Le voyage de retour aurait bénéficié du courant qui remonte à travers le centre de la Méditerranée. Cela donnerait deux itinéraires possibles: vers Ibiza puis en Sardaigne, ou vers Carthage sur la côte nord-africaine, puis vers la Sardaigne ou directement vers Malte, puis route vers la Phénicie. Il n'est pas surprenant qu'à chacun de ces points d'arrêt stratégiques vitaux, les Phéniciens aient créé des colonies qui, en fait, évinçaient, au moins pendant quelques siècles, les cultures commerciales concurrentes telles que les Grecs.
Voyages célèbres
Selon Hérodote, les Phéniciens ont réussi à faire le tour de l'Afrique lors d'un voyage en c. 600 av. JC parrainé par le pharaon égyptien Nékao. À partir de la mer Rouge, ils naviguèrent vers l'ouest pour un périple qui dura trois ans. Les marins de la colonie la plus prospère de Phénicie, Carthage, auraient navigué vers l'ancienne Grande-Bretagne lors d'une expédition dirigée par Himilcon c. 450 av. JC. Un autre voyage carthaginois célèbre, cette fois par Hannon vers 425 avant notre ère, atteignit la côte atlantique de l'Afrique jusqu'au Cameroun moderne ou au Gabon. Le voyage, dont le but était de fonder de nouvelles colonies et de trouver de nouvelles sources de marchandises précieuses (surtout de l'or), est enregistré sur une stèle du temple de Baal Hammon à Carthage. Dans le récit, Hannon décrit la rencontre de tribus sauvages, de volcans et d'animaux exotiques tels que les gorilles.
Les Phéniciens ne se limitèrent pas à la Méditerranée et à l'Atlantique, ils naviguèrent également sur la mer Rouge et peut-être aussi l'océan Indien. Le livre des Rois I dans la Bible décrit une expédition phénicienne au cours du Xe siècle av. JC, vers une nouvelle terre appelée Ophir, afin d'acquérir de l'or, de l'argent, de l'ivoire et des pierres précieuses. L'emplacement d'Ophir n'est pas connu mais est considéré comme étant le Soudan, la Somalie, le Yémen ou même une île de l'océan Indien. Les navires de cette flotte avaient été construits à Eziongeber sur la côte de la mer Rouge et financés par le roi Salomon. La grande distance parcourue est suggérée par la description que l'expédition n'était répétée que tous les trois ans.
L'ancien historien Diodore affirmait que les Phéniciens atteignirent les îles atlantiques de Madère, les îles Canaries et les Açores. Il n'y a cependant aucune preuve archéologique de contact phénicien direct, seulement la découverte en 1749 de huit pièces carthaginoises datant du IIIe siècle av. JC. On ne peut que spéculer sur la façon dont elles sont arrivées jusque-là.