Le Brahmanisme (également connu sous le nom de religion védique) est le système de croyances qui s'est développé à partir des Vedas au cours de la période védique tardive (vers 1100-500 av. JC) et qui prit origine dans la Civilisation de la Vallée de l'Indus après la Migration Indo-Aryenne vers 2000-1500 av. JC. Il déclare que l'être - la conscience - suprême est Brahman, et ses principes ont influencé le développement de l'Hindouisme.
Les Vedas étaient compris comme les paroles éternelles de l'univers, qui ne furent révélées à personne, mais furent 'entendues' par des sages en état de méditation. L'être qui prononçait ces paroles était à la fois le créateur de l'univers et l'univers lui-même - Brahman - et les Vedas étaient reconnus comme définissant le Sanatana Dharma ('Ordre Éternel') que Brahman avait établi. La croyance en l'autorité des Vedas était encouragée par la classe supérieure des prêtres - les brahmanes - qui pouvaient lire le sanskrit, la langue des Vedas, alors que les classes inférieures ne le pouvaient pas. La position unique des brahmanes renforça leur réputation, mais finit par susciter des appels à la réforme, les gens s'opposant à ce qu'une seule classe dicte les préceptes religieux pour tous.
Les réformes du Brahmanisme conduisirent au développement de l'Hindouisme (connu de ses adeptes comme le Sanatana Dharma), tandis que ceux qui rejetaient le Brahmanisme, et donc aussi l'Hindouisme, formèrent leurs propres sectes philosophiques et religieuses, parmi lesquelles le Charvaka, le Jaïnisme et le Bouddhisme devinrent les mieux établies. Le Brahmanisme continua à exercer une influence considérable sur l'Hindouisme et cela se poursuit de nos jours. Depuis le milieu du 20ème siècle, les réformateurs en Inde et ailleurs se sont opposés au Brahmanisme en tant qu'encourageant l'inégalité et la brutalisation des classes inférieures par son insistance sur la position d'élite des brahmanes et sa contribution au maintien du système des castes.
Origine et les Vedas
La date et le lieu d'origine de la pensée védique sont inconnus, mais deux théories ont été avancées: la théorie de la Migration Indo-Aryenne et la théorie de la Sortie de l'Inde ('Out of India Theory', OIT). La théorie de la Migration Indo-Aryenne suggère que la vision védique se développa en Asie centrale (dans la région du royaume de Mitanni, aujourd'hui le nord de l'Irak, la Syrie et la Turquie) et arriva en Inde pendant le déclin de la Civilisation de la Vallée de l'Indus (vers 7000-600 av. JC), entre 2000 et 1500 av. JC environ. L'OIT affirme que la Civilisation de la Vallée de l'Indus (ou Civilisation Harappéenne) développa la vision védique, l'exporta en Asie centrale et la vit revenir avec la Migration Indo-Aryenne. L'OIT est généralement rejetée car elle manque de preuves substantielles et elle est fondamentalement en accord avec la Théorie de la Migration Indo-Aryenne selon laquelle le système de croyance se développa en Asie centrale.
Un certain nombre de noms de dieux - notamment Indra - étaient connus en Asie centrale, et l'un des concepts les plus importants du Brahmanisme, la rita (ou rta, 'ordre cosmique') y était également bien établi. On pense que, vers le 3ème millénaire av. JC, un groupe de tribus aryennes nomades migra en Asie centrale et que deux d'entre elles, aujourd'hui connues sous le nom d'Indo-Iraniens et d'Indo-Aryens, se séparèrent; les Indo-Iraniens s’installèrent sur le plateau iranien et les Indo-Aryens poursuivirent leur route vers le sud, jusqu'au sous-continent indien. Le terme Aryen était compris comme une classe d'individus signifiant 'libre' ou 'noble', et n'avait rien à voir avec la race. L'association des Aryens avec les races à la peau claire ne fut faite qu'aux 18 et 19èmes siècles par des historiens ayant une vision raciale du monde.
La Civilisation de la Vallée de l'Indus était l'une des plus avancées du monde antique et avait manifestement une certaine forme d'observance religieuse, mais comme son écriture n'est toujours pas déchiffrée, personne ne sait ce qu'elle pouvait être. La statuaire et les sceaux suggèrent qu'ils adoraient des esprits connus sous le nom de yakshas, qui devaient être apaisés et honorés par des sacrifices et une certaine forme d'observance. Les cultes des yakshas semblent s'être concentrés uniquement sur les besoins quotidiens de la population sans aborder les questions cosmologiques. Les discussions sur l'origine de l'univers et le sens de la vie ne sont apparues - pour autant que les preuves actuelles le montrent - qu'avec le développement de la pensée védique, qui a peut-être fusionné avec les rituels yaksha.
Le contenu des Vedas se transmit oralement de maître à maître jusqu'à la Période Védique (vers 1500-500 av. JC) où il fut mis par écrit. Les Vedas se composent de quatre textes :
- Rig Veda
- Sama Veda
- Yajur Veda
- Atharva Veda
Chaque texte est divisé en sous-textes :
- Aranyakas - rituels et observances
- Brahmanas - commentaires sur les rituels
- Samhitas - bénédictions et prières
- Upanishads - récits et dialogues philosophiques.
Ces textes définissent la vision védique qui est au cœur du Brahmanisme.
Préceptes du Brahmanisme
Les Indo-Aryens sont également connus sous le nom de peuples védiques, qui écrivaient en sanskrit, et dont on pense que la vision religieuse et cosmographique se fusionna avec celle de la Civilisation de la Vallée de l'Indus. Les Vedas firent passer la relation des gens avec le surnaturel des rituels quotidiens consistant à honorer les esprits dans une sorte de contrat d’échange, à la compréhension de l'origine de toute existence et du sens de la vie. Le Védisme - tentative de réponse aux questions les plus profondes de l'existence - devint le Brahmanisme une fois qu'une Cause Première fut identifiée.
Les sages védiques reconnurent que le monde fonctionnait selon des règles qui suggéraient un ordre et les Vedas attribuaient cet ordre à de nombreux dieux qui, généralement, reflétaient des caractéristiques humaines. Les règles étaient définies comme rita, et leur existence impliquait un créateur de règles, mais un créateur plus grand que les dieux décrits dans les textes, un dieu derrière les dieux, et qui les formait; ce dieu était Brahman.
Brahman était compris comme une entité individuelle mais si immensément puissante que l'esprit humain ne pouvait l’appréhender. Cet être existait dans la réalité (il pouvait être perçu), en dehors de la réalité (dans le domaine de la préexistence), et il était la réalité tout à la fois. Brahman a toujours existé et existera toujours, mais il était bien trop immense pour qu'un être humain puisse se connecter à lui. Les dieux du panthéon védique étaient des avatars de cet être, mais pour avoir un lien personnel, il fallait qu'un aspect de la constitution humaine le permette.
On ne pensait pas qu'il était possible que la source de toute vie crée la vie sans prévoir un moyen de communier avec elle. L'être humain était considéré comme composé d'un corps, d'une âme et d'un esprit, mais les sages védiques y ajoutèrent une 'âme supérieure' - l'Atman - qui permet la connexion avec Brahman parce qu'elle fait partie de Brahman. Il était entendu que chaque être humain portait en lui cette étincelle de divin, et qu'il suffisait de la reconnaître et de se consacrer à la nourrir pour trouver la paix et le confort en présence du divin.
De même que chaque individu était porteur de cette étincelle divine, de même les nombreux dieux étaient tous des aspects différents de Brahman, chacun répondant à un besoin humain spécifique, mais tous d'une essence indivisible. L'orientaliste John M. Koller précise :
[Les sages védiques] reconnaissaient tous que Brahman, en tant que la réalité ultime, ne pouvait être défini d’une quelconque manière littérale. On pouvait l'approcher conceptuellement en le décrivant en termes des qualités les plus parfaites que l'on puisse concevoir. Mais puisque Brahma est au-delà de toute conception, même ces qualités les plus élevées - l'être, la connaissance, et la béatitude - doivent finalement être niées. C'est la fameuse via negativa, caractérisée dans la tradition indienne par l'expression neti neti, qui signifie littéralement "pas ceci, pas ceci". Neti neti révèle clairement la compréhension philosophique selon laquelle Brahma ne peut être appréhendé en termes conceptuels.
La réalité peut cependant être approchée de manière non conceptuelle. Les penseurs indiens pensaient à Brahman en termes personnels, mais aussi conceptuels, et utilisaient beaucoup d'images sensuelles dans ce processus. Les sens stimulent les sentiments et la foi ainsi que les pensées, et l'Inde a accordé à cette compréhension religieuse une valeur aussi élevée que celle obtenue par la pensée abstraite. Cette compréhension religieuse est active et conduit une personne à embrasser ou à éviter la réalité dans ses formes immédiates et concrètes. Avec cette approche, la connaissance, la béatitude et l'être qui décrivent Brahman prennent abstraitement chair et personnalité en tant que dieux et déesses que l'on peut aimer et craindre, voir et toucher. Dans la Bhagavad-Gita, Krishna, une incarnation du Seigneur Vishnu, qui apparaît comme le conducteur du char d'Arjuna, déclare qu'il est, en effet, le Brahman ultime. (158-159)
Des dieux et déesses ayant une forme et des caractéristiques humaines - même s'ils sont parfois représentés avec quelques bras ou jambes supplémentaires ou une tête d'éléphant - étaient plus accessibles qu'une force cosmique. La classe sacerdotale (les brahmanes) encourageait le peuple à embrasser la divinité de son choix, car toutes étaient également des aspects de la Cause Première et de la Réalité Ultime. Les chants, les hymnes, les prières et les mantras des Vedas étaient récités par les brahmanes lors des cérémonies rituelles pour assurer aux gens qu'il avaient déjà le divin en eux, que leur vie et la façon dont ils la vivait devait être en accord avec l'ordre cosmique, et que cet ordre existait bel et bien, même s'ils ne pouvaient pas en comprendre le fonctionnement.
Brahmanisme & Hindouisme
Ni les prêtres qui récitaient les Vedas ni ceux qui les écoutaient ne désignaient ce système de croyance sous le nom de Brahmanisme. Le terme 'Brahmanisme' ne fut inventé par les érudits européens qu'au 16ème siècle, et il fut utilisé de manière interchangeable avec Hindouisme. Lorsque l'on dit que le Brahmanisme est devenu l'Hindouisme, on doit remarquer les développements significatifs dans les détails du système de croyance, et non dans la forme sous-jacente, connue des anciens prêtres et du peuple, comme elle l'est aujourd'hui par les adeptes, comme le Sanatana Dharma. L'univers était compris comme ayant été ordonné dans un but précis par une intelligence divine, et chaque individu avait un rôle à jouer dans ce projet. L'Hindouisme développa les particularités de la façon dont chacun devait jouer son rôle.
Comme le note Koller plus haut, une compréhension religieuse active peut encourager chacun à embrasser la réalité ou à s'en éloigner, selon la façon dont il la perçoit. Le monde peut être un lieu effrayant d'incertitude ou un royaume ordonné de sens ultime, et l'Hindouisme reconnut cela en permettant un détachement éclairé des choses de la vie tout en encourageant les adeptes à participer pleinement sous tous les aspects comme étant des dons de Brahman. Un adepte était, et est toujours, censé se concentrer sur les objectifs de sa vie (purusharthas) qui prennent trois formes :
- Artha - la vie de famille, la carrière et l’aisance matérielle
- Kama - l'amour, la sensualité, la sexualité, le plaisir physique
- Moksha - l'illumination, la libération, la liberté par l'accomplissement de soi.
Chacun de ces plaisirs était considéré comme temporel, mais comme ils étaient tous donnés par le divin, leur valeur devait être reconnue. Tout le monde devait finir par mourir, mais tant que l'on vivait, il fallait s'occuper de ses objectifs de vie par le biais de son karma (action), accompli conformément à son dharma (devoir). Chaque individu avait un devoir à accomplir à la naissance, quelque chose que personne d'autre ne pouvait accomplir, et s'il ne parvenait pas à le faire comme il le devait dans sa vie, il devait se réincarner pour revenir sur terre dans le cycle des renaissances et des morts et essayer à nouveau.
Ce cycle de renaissance et de mort était connu sous le nom de samsara - que l'on traduit habituellement comme un "jeu d'enfant" - dans lequel l'existence se répète de nombreuses fois jusqu'à ce que l'on comprenne et accomplisse son karma conformément à son dharma, que l’on se connecte pleinement à son Atman et se libère du samsara. Cette vision était comprise comme une vision complète de la création de l'univers et une explication du sens de la vie d'un individu, mais vers 600 av. JC, un certain nombre de réformateurs rejetèrent l'autorité des Védas pour former leurs propres écoles de pensée avec leur propre vision de la réalité.
Le Brahmanisme et les Écoles Nastika
Le concept de samsara suggérait une hiérarchie, expliquée par Krishna dans la Bhagavad Gita (composée vers les 5ème-2ème siècle av. JC), lorsqu'il parle à Arjuna des trois gunas - états d'être présents en chaque individu et qui aident ou entravent la conscience et la croissance spirituelles - et quand il aborde l'importance du dharma. Selon Krishna, le système des castes (les varnas) fait partie de l'Ordre Éternel, qui définit clairement le dharma de chacun. Les quatre varnas sont les suivants :
- Brahmana varna - caste la plus élevée, des prêtres, des intellectuels et des enseignants.
- Kshatriya varna - guerriers, protecteurs, gardiens, policiers.
- Vaishya varna - marchands, banquiers, employés de bureau, agriculteurs.
- Shudra varna - la caste la plus basse des travailleurs non qualifiés, des ouvriers, des domestiques.
Sous les Shudras se trouvent les Dalits, souvent appelés Intouchables, qui sont considérés comme rituellement impurs et ne sont pas inclus dans le système des varnas.
Il était entendu que les Vedas soutenaient le système des varnas et, comme les Vedas étaient reconnus comme la parole du Créateur, ils ne devaient pas être remis en question. Vers 600 av. JC cependant, des penseurs commencèrent à s'opposer à la nature autoritaire des prêtres, qui pouvaient interpréter les Vedas comme ils l'entendaient, puisque le peuple ne pouvait ni lire ni comprendre le sanskrit. Selon la tradition, les paroles de Brahman avaient été prononcées en sanskrit et enregistrées telles qu'elles avaient été 'entendues', de sorte que les gens écoutaient régulièrement les prêtres chanter dans une langue étrangère que seuls les brahmanes pouvaient interpréter pour eux.
Cette situation mena finalement à une rupture dans l'Hindouisme et les gens prirent parti pour ou contre l'acceptation de l'autorité des Vedas et de leurs prêtres. Les écoles de pensée qui reconnaissaient les Vedas étaient connues sous le nom d'astika ("cela existe"), tandis que celles qui rejetaient la vision védique étaient connues sous le nom de nastika ("cela n'existe pas"). La position sur ce qui existe ou n'existe pas fait référence à l'autorité des Vedas. Il semble qu'il y ait eu de nombreuses écoles de pensée différentes se disputant les adeptes à cette époque, mais les trois plus importantes étaient le Charvaka, le Jaïnisme et le Bouddhisme.
De ces trois écoles, seul le Jaïnisme représentait une menace sérieuse pour l'autorité de l'Hindouisme. Le Charvaka était une école matérialiste qui se concentrait sur les plaisirs de la vie et niait la survie de la mort corporelle. Un système philosophique qui n'offrait aucun espoir de vie après la mort avait peu de chances de gagner de nombreux adeptes, et le Charvaka s'éteignit. Le Bouddhisme, bien que populaire dans certaines régions de l'Inde, eut du mal à trouver une audience face à l'Hindouisme et au Jaïnisme, et de plus ne se rendit pas service en se divisant en différentes écoles ayant des attentes divergentes pour les croyants.
Le Bouddhisme ne gagna pas de large popularité avant le règne d'Ashoka le Grand (268-232 av. JC) qui l’adopta et encouragea ses sujets à faire de même, mais il devenait déjà plus populaire en dehors de l'Inde. Le Jaïnisme rejeta le concept de Brahman et de tout autre dieu créateur, mais conserva la croyance en des êtres surnaturels (devas), à l'importance du karma, et au cycle de la renaissance et de la mort. L'adhésion du Jaïnisme aux Cinq Vœux et aux Quatorze Étapes de la progression spirituelle fournit aux adeptes de suivre une voie claire tout en éliminant l'aspect autoritaire de l'Hindouisme, évitant les disputes qui marquèrent les différentes écoles bouddhistes, et rejetant le matérialisme de Charvaka.
Conclusion
Malgré tout, l'Hindouisme survécut au défi des autres systèmes philosophiques parce que les monarques reconnurent la valeur d'un système de castes divinement ordonné pour maintenir l'ordre, ainsi que le type d'apparat et de grandeur offerts par la vision du Brahmanisme. D'un point de vue purement pragmatique, le concept d'un être divin qui se rendait accessible par le biais de multiples autres divinités, chacune nécessitant une fête en son honneur, signifiait que le peuple pouvait être diverti par un certain nombre de célébrations tout au long de l'année. La vision du Brahmanisme, développée par l'Hindouisme, encourageait chacun à faire de son mieux conformément à son devoir divinement désigné et à se contenter de son sort dans la vie, car cela était compris comme le résultat direct de ses actions dans une vie antérieure.
À l'origine, cependant, le Brahmanisme ne se développa pas pour contrôler les gens mais pour répondre à leurs questions concernant l'origine de l'univers et leur place dans celui-ci. Les Vedas abordaient directement ces questions et le Brahmanisme développa cette vision pour aider les gens à donner un sens à ce qui peut souvent sembler être un monde désordonné et chaotique, fait d'événements aléatoires sans signification.
Depuis le milieu du 20ème siècle, des réformateurs se sont efforcés de démanteler certains aspects du Brahmanisme - en particulier le statut d'élite des brahmanes - dans l'intérêt de l'égalité et de la fraternité. Le réformateur B. R. Ambedkar (1891-1956) fit campagne contre la sorte de discrimination que l'influence des brahmanes encourageait à l'encontre des Dalits. En outre, des efforts furent déployés sporadiquement à partir de son époque pour niveler le terrain de jeu afin que tous les individus aient des chances égales dans la vie. Il est intéressant de noter qu'il semble qu'il s'agissait là de la vision originelle du Brahmanisme, à savoir qu'il existait un être divin qui prenait soin de tous, de la même manière et si profondément, qu'il plaçait une étincelle de lui-même en chacun d'eux.