Les traités de Tilsit sont deux traités de paix signés en juillet 1807 par l'empereur français Napoléon Ier (r. de 1804 à 1814 ; 1815) et les monarques de Russie et de Prusse à la suite de la bataille de Friedland. Les traités mirent fin à la guerre de la quatrième coalition, consolidèrent le contrôle français sur l'Europe centrale aux dépens de la Prusse et firent de la Russie un allié de Napoléon.
Après une longue et sanglante campagne en Pologne, la Grande Armée de Napoléon finit par vaincre de manière décisive l'armée russe le 14 juin 1807 à Friedland. Après la signature d'un armistice, Napoléon rencontra le tsar Alexandre Ier de Russie (r. de 1801 à 1825) sur un radeau au milieu du fleuve Niémen, où les deux empereurs discutèrent des conditions non seulement de la paix, mais aussi d'une alliance franco-russe. Ce premier traité, signé entre Napoléon et Alexandre le 7 juillet, accorda des conditions favorables à la Russie; le second traité, signé le 9 juillet avec le roi Frédéric-Guillaume III de Prusse (r. de 1797 à 1840), fut beaucoup plus sévère. Malgré les appels passionnés de la reine Louise de Prusse, Napoléon obligea les Prussiens à céder près de la moitié de leurs territoires d'avant-guerre, à partir desquels il créa le royaume de Westphalie et le grand-duché de Varsovie en tant qu'États clients de la France.
Les traités de Tilsit permirent à Napoléon de contrôler la majeure partie de l'Europe continentale, soit directement, soit indirectement par le biais d'alliances et d'États clients. La France n'était plus que le centre d'un "Grand Empire", une entité politique qui s'étendait presque sur toute l'Europe. C'est donc à Tilsit que le pouvoir de Napoléon atteignit son apogée.
Contexte: La conquête de l'Europe
On considère généralement que les guerres napoléoniennes commencèrent en mai 1803, lorsque la paix fragile entre la France et le Royaume-Uni fut rompue et que les deux nations repartirent en guerre. Alors que Napoléon commençait à constituer une armée en vue d'une invasion de l'Angleterre, les Britanniques organisaient les grandes puissances européennes en une troisième coalition anti-française, à laquelle se joignirent l'Autriche, la Russie, la Suède, Naples et la Sicile. Alors que la troisième coalition mobilisait ses armées au cours de l'été 1805, Napoléon n'hésita pas à frapper. Abandonnant son projet d'invasion de la Grande-Bretagne, il fit traverser le Rhin à son armée de 210 000 hommes - rebaptisée La Grande Armée - et élimina une armée autrichienne lors de la campagne d'Ulm (du 25 septembre au 20 octobre 1805), avant de briser une force austro-russe lors de la bataille d'Austerlitz (2 décembre). Tandis que l'armée russe brisée retournait en Hongrie la tête basse, l'Autriche décida de se rendre et la guerre de la Troisième Coalition prit fin.
Au lendemain de sa victoire, Napoléon redessina la carte de l'Europe. Il détrôna la maison napolitaine des Bourbons et donna le trône de Naples à son frère, Joseph Bonaparte. Napoléon créa également la Confédération du Rhin, une ligue d'États allemands sous la protection de la France. L'adhésion à la confédération exigeait que ces États quittent le Saint Empire romain germanique, ce qui entraîna directement la dissolution de l'empire en juillet 1806. L'influence nouvelle de la France en Europe centrale menaçait la Prusse, qui réclama la guerre; un parti de guerre se forma autour de la reine Louise de Prusse, tandis que des officiers prussiens aiguisèrent leurs sabres de manière provocante sur les marches de l'ambassade de France à Berlin. En octobre 1806, le roi Frédéric-Guillaume III céda aux pressions de sa femme et déclara la guerre à la France, rejoignant ainsi la Russie et la Grande-Bretagne dans la guerre de la quatrième coalition.
Cependant, Frédéric-Guillaume avait déclaré la guerre trop tôt et n'avait pas donné aux Russes le temps de déplacer leurs troupes pour soutenir l'armée prussienne. Napoléon, qui avait hiverné dans le sud de l'Allemagne, envahit rapidement la Saxe et infligea une défaite cuisante à l'armée prussienne lors des Batailles d'Iéna et d'Auerstedt (14 octobre 1806). Berlin tomba moins de deux semaines plus tard, forçant la cour de Prusse à fuir à Königsberg, en Prusse orientale (l'actuelle Kaliningrad, en Russie). Napoléon envahit ensuite la Pologne occupée par la Prusse et entra dans Varsovie le 19 décembre, où il fut salué par la population polonaise locale comme un libérateur. Bien que Napoléon ait pris soin de ne pas faire de promesses explicites concernant la restauration complète de la souveraineté polonaise, il organisa les six départements polonais sous occupation française en une entité politique semi-autonome gouvernée par un conseil de sept nobles polonais.
Après s'être assuré du soutien des patriotes polonais, Napoléon ordonna à sa Grande Armée de traverser la Vistule pour engager l'armée russe commandée par le comte Levin August von Bennigsen, un officier d'origine allemande au service du tsar russe. Cette campagne polonaise culmina avec la bataille d'Eylau, sanglante mais peu concluante, qui se déroula les 7 et 8 février 1807 au milieu d'une tempête de neige. Bien que chaque camp ait perdu environ 25 000 hommes, aucun ne prit l'avantage et les deux armées se retirèrent dans leurs quartiers d'hiver à la suite de la bataille. C'est la première fois que la Grande Armée de Napoléon ne remportait pas une victoire totale, ce qui entraîna une détérioration du moral des troupes. Quatre mois plus tard, à leur sortie des quartiers d'hiver, Napoléon et Bennigsen s'affrontèrent à nouveau lors de la bataille de Friedland. Alors que les Français repoussaient les Russes dans l'Alle, il devint évident qu'il s'agissait de la bataille décisive que Napoléon attendait. Après sa défaite, Bennigsen retira son armée en traversant le Niémen. Napoléon le suivit et établit son camp sur la rive opposée, près de la ville de Tilsit (Sovetsk).
Une paix longtemps attendue
Le 19 juin 1807, quatre jours après Friedland, Napoléon reçut le prince Dmitriy Lobanov-Rostovsky, un envoyé russe porteur d'une lettre du comte Bennigsen demandant un armistice. Cette lettre disait:
Après les torrents de sang qui ont coulé dernièrement dans des batailles aussi sanguinaires que fréquentes, les Russes désirent apaiser les maux de cette guerre destructrice en proposant un armistice avant que nous n'entrions dans un conflit, une nouvelle guerre, peut-être plus terrible que la première. (Mikaberidze, 225)
Napoléon accepta l'armistice et invita le prince Lobanov-Rostovsky à se joindre à lui pour le dîner. Après avoir porté un toast à la santé du tsar Alexandre Ier de Russie, Napoléon fit remarquer qu'il souhaitait l'amitié des Russes et que la Vistule marque la frontière naturelle entre les empires français et russe. Cette remarque était importante car elle impliquait que Napoléon n'exigerait aucun territoire russe si la paix pouvait être conclue rapidement. Bien que Napoléon ait certainement disposé des ressources militaires nécessaires pour poursuivre la guerre, il était conscient de la démoralisation de son armée et savait qu'une invasion de la Russie serait longue et coûteuse. En outre, l'empereur français était désireux de consacrer tous ses efforts à la défaite de l'Angleterre, qu'il considérait comme son véritable ennemi; dans ce but, la Russie lui servirait plus utilement d'alliée que d'ennemie. Napoléon souhaitait que la Russie se joigne à son blocus continental, un blocus des marchandises britanniques à l'échelle européenne, que l'empereur considérait comme le seul moyen pour la France de mettre la Grande-Bretagne à genoux.
Le tsar Alexandre, quant à lui, était également désireux de faire la paix. Après des mois de campagnes sanglantes contre Napoléon et l'Empire ottoman, Alexandre se réjouissait d'un répit dans les combats afin de pouvoir reconstituer son armée meurtrie. En outre, le tsar craignait qu'une invasion française du territoire russe n'incite ses sujets polonais à la révolte. Mais la décision d'Alexandre de faire la paix fut également prise en partie parce qu'il estimait que la Grande-Bretagne avait laissé l'armée russe supporter le plus gros des combats et que les Britanniques étaient plus intéressés par la sécurisation de leurs intérêts coloniaux que par la défaite de Napoléon. Se sentant à la fois trahi et utilisé, le tsar ne souhaita plus se battre seul et quitta Saint-Pétersbourg pour rencontrer Napoléon.
Rencontre des deux empereurs
Pour préparer sa rencontre avec Alexandre, Napoléon ordonna la construction d'un radeau géant au milieu du fleuve Niémen, attaché aux deux rives. Sur le radeau fut érigé un pavillon orné, dont les portes étaient décorées des aigles impériaux de la France et de la Russie. Le 25 juin 1807, les deux empereurs furent amenés sur le radeau à la rame, accompagnés de leur suite. Napoléon, qui arriva le premier sur le radeau, accueillit le tsar russe à sa descente du bateau. Apparemment, le tsar Alexandre aurait salué Napoléon en disant: "Sire, je déteste les Anglais autant que vous", ce à quoi l'empereur français aurait répondu: "Dans ce cas, la paix est faite" (Mikaberidze, 225).
Les deux empereurs pénétrèrent alors dans l'intimité du pavillon, où ils restèrent assis à converser pendant les deux heures qui suivirent. Les soldats français et russes étaient alignés sur les deux rives du Niémen, observant avec anxiété, se demandant probablement si un accord serait conclu. Le roi de Prusse Frédéric-Guillaume III, qui n'avait pas été invité à monter sur le radeau, était tout aussi inquiet. Il était à cheval, impuissant, sur les rives du fleuve, tandis que les empereurs de France et de Russie décidaient du sort de son royaume. Ce n'est que le lendemain que Frédéric-Guillaume fut invité sur le radeau, presque comme une considération a posteriori. À la fin de cette deuxième rencontre, le tsar Alexandre fut conduit à la rame jusqu'à la rive française du fleuve et entra dans la ville de Tilsit. Il fut accueilli par une salve de 100 coups de canon, fut escorté en ville par Napoléon en personne et fut logé dans la plus belle demeure de Tilsit. En revanche, Frédéric-Guillaume ne fut pas salué de la même façon, fut snobé par Napoléon et fut logé dans la maison d'un meunier.
Napoléon et Alexandre s'entendirent bien. Ils organisèrent des banquets en l'honneur l'un de l'autre et passèrent en revue leurs troupes respectives, Napoléon décernant même la Légion d'honneur à un grenadier russe. Dans une lettre à sa femme Joséphine, Napoléon décrivit le tsar de 29 ans comme "un jeune empereur très beau et très bon; il a plus d'intelligence qu'on ne le pense" (Roberts, 457). Alexandre fut lui aussi impressionné par Napoléon, avec qui il s'entretint pendant des heures. Ils discutèrent de politique, de leur haine mutuelle pour la Grande-Bretagne et des termes d'une alliance potentielle, mais aussi de philosophie. L'historien Andrew Roberts relate une conversation intéressante au cours de laquelle les deux empereurs discutèrent de la meilleure forme de gouvernement; le tsar Alexandre, monarque absolu, plaida curieusement en faveur d'une monarchie élective tandis que Napoléon, dont l'autorité était censée avoir été confirmée par un plébiscite, plaida pour l'autocratie (Roberts, 458). La chaleur et les flatteries mutuelles que les empereurs s'adressèrent l'un à l'autre ne s'étendirent pas à Frédéric-Guillaume; les deux empereurs considéraient le roi de Prusse comme ennuyeux et ne toléraient sa présence que dans la mesure où ils y étaient obligés.
Le premier traité: 7 juillet
Après plusieurs jours de discussions, le traité franco-russe fut finalement signé le 7 juillet 1807. Bien qu'il ait certainement favorisé les intérêts de la France au détriment de ceux de la Russie, les Russes s'en sortirent étonnamment bien, compte tenu du fait qu'ils étaient la nation vaincue. La plupart des concessions consenties par le tsar Alexandre le furent aux dépens de la Prusse, la Russie ne perdant aucun territoire, à l'exception des îles Ioniennes. Les termes du premier traité de Tilsit sont les suivants:
- Une alliance formelle entre les empires français et russe.
- La reconnaissance par la Russie de la Confédération du Rhin sous la protection de la France.
- Dantzig (Gdańsk), qui faisait auparavant partie de la Prusse, devait devenir une ville libre.
- Reconnaissance par la Russie du Royaume de Westphalie en tant qu'État client de la France, dont le roi était le plus jeune frère de Napoléon, Jérôme Bonaparte.
- Reconnaissance par la Russie du Grand-Duché de Varsovie, constitué à partir des territoires polonais de la Prusse. L'allié de Napoléon, le roi Frédéric Auguste de Saxe, fut reconnu comme son souverain.
- Alexandre s'engagea à servir de médiateur pour la paix entre la Grande-Bretagne et la France et à entrer en guerre contre la Grande-Bretagne en cas d'échec des pourparlers, et Napoléon s'engagea à faire de même pour la Russie et l'Empire ottoman.
- La Russie rejoindrait le Blocus continental et forcerait le Danemark et la Suède à fermer leurs ports au commerce britannique.
- Napoléon donna sa bénédiction à la Russie pour qu'elle envahisse et occupe la Finlande, actuellement détenue par la Suède.
En résumé, bien que la Russie ait été contrainte de rejoindre le Blocus continental et de reconnaître une entité politique potentiellement dangereuse en Pologne, le premier traité de Tilsit divisait essentiellement l'Europe entre les sphères d'influence française et russe. Cerise sur le gâteau, Napoléon offrit à Alexandre la partie orientale de Bialystock, qui faisait partie de la Pologne occupée par la Prusse. Mais il est clair que, malgré la mascarade de l'amitié, Alexandre n'avait pas oublié qui était son véritable ennemi. Alors qu'il s'apprêtait à retourner à Saint-Pétersbourg, Alexandre fit ses adieux à Frédéric-Guillaume, son ancien allié. Se penchant tout près, le tsar promit au roi de Prusse que Napoléon "lui brisera la nuque". Malgré toutes mes performances et mon comportement extérieur, je suis votre ami et j'espère vous le prouver par mes actions" (Lieven, 53).
Le deuxième traité: 9 juillet 1807
Le 6 juillet, trois jours avant la signature du second traité avec la Prusse, la reine Louise de Prusse arriva à Tilsit. Au cours d'une conférence de deux heures avec Napoléon, Louise implora l'empereur français d'avoir pitié de son pays et demanda que la Prusse puisse au moins conserver Magdebourg, sur la rive ouest de l'Elbe. À 35 ans, la reine Louise était célèbre pour sa beauté, qu'elle utilisait avec tact pour compléter sa ruse politique. Grâce à son charme féminin, elle espérait attirer la sympathie de Napoléon pour qu'il lui permette de conserver Magdebourg, malgré son importance stratégique. Cependant, Napoléon resta insensible à ses larmes. "Elle croit que j'ai fait tout ce chemin pour ses beaux yeux", se moqua-t-il auprès de son chef d'état-major.
La ville de Magdebourg fut intégrée au nouveau royaume de Westphalie, formé à partir des territoires de Brunswick et de Hesse-Kassel. Napoléon ayant battu à plate couture l'armée prussienne à Iéna-Auerstedt et occupé la capitale prussienne de Berlin, il n'était pas obligé de traiter la Prusse avec autant d'indulgence qu'il l'avait fait pour la Russie. En effet, il imposa des conditions sévères qui, outre la perte de Magdebourg, comprenaient les éléments suivants:
- La Prusse devait céder toutes ses terres situées à l'ouest de l'Elbe et accepter tous les changements territoriaux convenus dans le premier traité, ce qui signifiait accepter la perte de Dantzig et de tous ses territoires polonais.
- La reconnaissance par la Prusse de la Confédération du Rhin, ce qui équivalait à accepter l'hégémonie française en Allemagne.
- La Prusse devait conclure une alliance militaire avec la France.
- Les effectifs de l'armée prussienne furent réduits à 42 000 hommes au maximum pour une période de dix ans, et le recrutement de milices supplémentaires fut interdit.
- La Prusse devait adhérer au blocus continental.
- La Prusse devait payer une indemnité de guerre de 140 millions de francs.
D'un trait de plume, la Prusse fut pratiquement réduite à une puissance de second ordre. Son territoire passa de 230 000 km² (89 000 mi²) avant la guerre à un peu plus de 120 000 km² (46 000 mi²); sa population passa de 9,75 millions d'habitants avant la guerre à seulement 4,5 millions d'habitants à l'intérieur des nouvelles frontières de la Prusse. Les termes sévères du traité garantirent à Napoléon la haine durable de la Prusse, mais l'empereur français s'en moquait: tant que son alliance avec la Russie perdurait, les Prussiens ne pouvaient rien faire. En effet, les traités de Tilsit garantissaient que la Prusse ne menacerait plus Napoléon pendant les six années suivantes, jusqu'à la guerre de la Sixième Coalition en 1813.
Importance des traités de Tilsit
Les traités de Tilsit marquèrent sans aucun doute l'apogée du pouvoir de Napoléon. D'après Napoléon lui-même, en regardant sa carrière depuis son exil à Sainte-Hélène, Tilsit avait également marqué la période la plus heureuse de sa vie. "Je venais de surmonter bien des vicissitudes, bien des angoisses", expliquait-il. "Et je me retrouvais victorieux, dictant des lois, ayant des empereurs et des rois qui me faisaient la cour" (Roberts, 460). Cela avait dû être une sacrée expérience pour un homme qui, 15 ans auparavant, était un inconnu corse cherchant à se faire un nom dans l'armée française.
Mais le pouvoir de Napoléon (et son moment de bonheur s'il disait vrai) ne durerait pas longtemps. Quelques mois seulement après Tilsit, Napoléon lança une invasion du Portugal, puis de l'Espagne; la Guerre d'Espagne (1807-1814) qui s'ensuivit priva son empire de troupes dont il avait cruellement besoin et contribua à sa chute. Son alliance avec la Russie ne durerait même pas cinq ans; les relations entre les deux empereurs se détérioreraient, ce qui conduirait à l'invasion malheureuse de la Russie par Napoléon en 1812. La guerre de la Sixième Coalition (1813-1814) qui s'ensuivit vit la Prusse se ranger à nouveau aux côtés des ennemis de Napoléon et aboutit à la première abdication de ce dernier et à son exil à l'île d'Elbe. Si les traités de Tilsit n'ont pas duré, ils n'en restent pas moins un exemple des prouesses politiques de Napoléon, un regard sur le Premier Empire français à son apogée.