
Béla Bartók (1881-1945) était un pianiste et compositeur hongrois novateur, surtout connu pour ses œuvres classiques pour piano et orchestre, ses quatuors à cordes et ses chansons, dont beaucoup reprennent des thèmes traditionnels hongrois et d'autres folklores européens. Bartók, prodigieux érudit et collectionneur de chansons folkloriques, est largement considéré comme l'un des plus grands musiciens que la Hongrie ait jamais produits.
Jeunesse
Béla Bartók vit le jour le 25 mars 1881 à Nagyszentmiklós (aujourd'hui appelé Sânnicolau Mare), alors situé dans la partie hongroise de l'Empire austro-hongrois (mais aujourd'hui situé en Roumanie). Le père de Béla était professeur à l'école d'agriculture locale et sa mère était professeur de piano. Le père de Béla décéda lorsqu'il avait sept ans, et la mère et le fils déménagèrent alors à Pressburg (appelé Pozsony par les Hongrois), l'actuelle Bratislava en République slovaque. La mère de Béla lui apprit à jouer du piano dès l'âge de cinq ans. Il fit preuve d'un talent rare et se produisit en public dès l'âge de onze ans; il avait ceci-dit déjà commencé à composer ses propres morceaux, à l'âge de neuf ans.
Béla refusa une bourse gratuite pour étudier à l'académie de musique de Vienne et décida de s'inscrire à l'Académie royale hongroise de musique de Budapest à partir de 1898. Il obtint son diplôme en 1903. Il gagna d'abord sa vie comme pianiste de concert, puis, à partir de 1907, il travailla comme professeur de piano à l'Académie. Bien que ce poste ait apporté à Bartók une certaine stabilité financière, il ne correspondait pas tout à fait à ce qu'il espérait; il remarqua qu'il était, en vérité, "un professeur réticent et qu'il aurait préféré un poste de chercheur" (Steen, 722). Bartók continua de composer, influencé très tôt par les œuvres de Franz Liszt (1811-1886), Johannes Brahms (1833-1897), Richard Strauss (1864-1949) - en particulier son poème symphonique Ainsi parlait Zarathoustra - et Igor Stravinsky (1882-1971).
L'historien de la musique H. C. Schonberg résume ici le caractère et l'élan de Bartók:
Bartók était un petit homme frêle doté d'une force psychique explosive, prêt à suivre sa propre voie sans compromis, même si sa musique n'était jamais jouée. L'homme était animé d'une intégrité obstinée et d'un humanisme omniprésent, et il ne s'écartait jamais de son idéal de vérité.
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Musique folklorique
Bartók s'intéressait tout particulièrement à la musique folklorique hongroise (bien distincte de la musique tzigane qui avait intéressé des compositeurs comme Brahms et Liszt). Il publia son premier recueil de chansons en 1906. Le poste de Bartók à l'Académie lui laissa plus de temps à consacrer à la recherche, et il étudia la musique folklorique d'autres régions, notamment de Roumanie, de Slovaquie et de Transylvanie. Bartók amassa une collection considérable de chansons folkloriques, à la fois sous forme imprimée et en les enregistrant sur des cylindres de cire directement auprès des chanteurs locaux, afin de pouvoir les écouter plus tard sur un phonographe et de les cataloguer de manière appropriée. Ce travail de collecte, qui impliquait également la rédaction d'articles scientifiques sur les résultats obtenus et la publication de recueils destinés au public, était poursuivi avec son compatriote Zoltán Kodály (1882-1967), compositeur hongrois. Bartók composa également d'autres anthologies de chansons, le chanteur étant accompagné au piano.
Les idiomes folkloriques hongrois sont présents dans le recueil de courtes pièces pour piano de Bartók, Dix pièces faciles (1908), les 14 Bagatelles (1908) pour piano et l'œuvre pour piano Allegro barbaro (1911). Elles sont également particulièrement évidentes dans les deux derniers quatuors à cordes du compositeur. La promotion des traditions hongroises par Bartók se manifeste également sous d'autres formes, comme dans sa composition Suite de danses (Táncszvit) pour commémorer le 50e anniversaire de l'union de Buda et de Pest (1873). Bartók arrangea ensuite cette œuvre pour le piano.
Bartók composa également de nouveaux arrangements de chansons folkloriques traditionnelles, comme Pour les enfants, achevé en 1909, qui est un recueil de 85 pièces simples à jouer pour le piano. L'encyclopédie de la musique classique explique comment Bartók travailla avec des thèmes traditionnels:
Pour certaines des mélodies qu'il a recueillies, il a composé des arrangements, qui conservent les airs intacts et les accompagnent d'harmonisations souvent audacieuses. Mais Bartók visait plus qu'une simple citation, cherchant plutôt à absorber la structure modale complexe des mélodies paysannes, qu'il considérait comme un moyen de se libérer "de la règle tyrannique des tonalités majeures et mineures".
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Œuvres scéniques
En 1911, le compositeur s'essaya à l'opéra en produisant A kékszakállú herceg vára (Le château de Barbe-Bleue), une œuvre en un acte basée sur le conte populaire français de l'homme barbu qui assassine une série d'épouses, mais adoucie par le librettiste Béla Balázs pour en faire un récit de désespoir et de solitude. L'intrigue est résumée comme suit dans le New Oxford Companion to Music:
Barbe-Bleue (basse)... emmène Judith (soprano), sa nouvelle épouse, dans son château lugubre. Elle lui fait ouvrir ses portes secrètes une à une, et lorsqu'elle a pénétré son secret le plus intime, elle prend sa place, un autre échec, parmi les autres épouses derrière la dernière porte, laissant Barbe Bleue dans sa solitude.
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L'opéra fut présenté à un concours mais fut rejeté par le jury. Bartók dut attendre 1918 pour que l'opéra soit enfin mis en scène (à Budapest en mai), car ce n'est qu'à cette époque que la réputation du compositeur avait été établie grâce au succès de son ballet en un acte, A fából faragott királyfi (Le Prince de bois), mis en scène à Budapest en 1917. Bartók trouva l'inspiration pour écrire un autre ballet en 1919, A csodálatos mandarin (Le Mandarin merveilleux). Cependant, il dut à nouveau attendre de nombreuses années avant de voir son œuvre présentée au public, la première ayant lieu cette fois à Cologne en 1926. Le Mandarin merveilleux suscita la controverse en raison de ses thèmes osés, en particulier la scène où le personnage principal est tenté par une prostituée d'entrer dans le repaire d'un voleur, où il est poignardé et pendu, mais où il insiste pour faire l'amour avec la femme avant de mourir. En raison de la controverse suscitée par ce ballet, il n'y eut aucune représentation en Hongrie avant 1946. Comme pour Le Prince de bois, Bartók écrivit une suite orchestrale à partir de la partition originale du Mandarin merveilleux.
Succès international
À partir de 1918, une maison d'édition viennoise qui travaillait avec d'autres grands compositeurs comme Arnold Schoenberg (1874-1951) se chargea du catalogue de Bartók. Suite de dances, publiée en 1923, fut le premier succès populaire du compositeur. Bartók fit des tournées en tant que pianiste de concert dans les années 1920 et 1930. Il écrivait souvent des pièces qu'il présenterait lui-même en avant-première. Ce serait le cas du premier concerto pour piano (1926), de la suite En plein air (1926), des neuf petites pièces (1926) et du deuxième concerto pour piano (1931). Il écrivit également des œuvres pour d'autres personnes, notamment Contrastes pour le célèbre clarinettiste et chef d'orchestre américain Benny Goodman (1909-1996) et le violoniste hongrois József Szigeti (1892-1973).
En 1934, Bartók quitta son poste d'enseignant pour consacrer plus de temps à la composition et à la collecte de chants traditionnels. À cette époque, Bartók était largement considéré comme "l'un des ethnomusicologues les plus compétents au monde" (Schinberg, 657). Il voyagea à travers l'Europe centrale, les Balkans, l'Anatolie et même l'Afrique du Nord pour collecter du matériel pour ses recherches sur la musique folklorique traditionnelle authentique. L'authenticité n'était pas facile à trouver, mais elle était essentielle à la mission de Bartók, qui était de créer quelque chose de nouveau à partir de l'ancien. Il dit un jour: "Nous devons isoler le très ancien, car c'est le seul moyen d'identifier le vraiment nouveau" (Steen, 721).
La réputation du compositeur grandit à l'étranger grâce à ses tournées de concerts à travers l'Europe et l'URSS. En 1934, la Cantata profana (sous-titrée Les neufs cerfs enchantés), basée sur un chant de chasse traditionnel roumain ou colinda, fut présentée à Londres. L'œuvre, texte et musique, avait été écrite par Bartók quatre ans auparavant pour célébrer la collaboration entre les nations. Malheureusement, certains dirigeants européens furent sourds au message des musiciens et la Seconde Guerre mondiale (1939-45) éclata avec l'invasion de la Pologne en 1939. L'Allemagne et l'URSS se dirigèrent rapidement vers l'Europe centrale et la Hongrie se trouvait sur leur chemin. Après la mort de sa mère en 1939, Bartók décida de partir pour les États-Unis, un pays qu'il connaîssait bien puisqu'il y avait déjà donné deux concerts.
Style musical et innovations
Malgré son amour pour la musique traditionnelle, Bartók s'intéressait toujours aux idées nouvelles. Dans les années 1930, il commença à expérimenter l'utilisation des mathématiques dans la composition. Très souvent, les œuvres de Bartók suivent une chronologie exacte et présentent une certaine symétrie. Par exemple, "cinq mouvements sont disposés symétriquement selon un schéma ABCBA, les sections "A" et "B" étant des reflets transformés l'une de l'autre, et non des répétitions littérales" (Sadie, 343). La Classical Music Encyclopedia décrit le style musical de Bartók comme "une musique fortement rythmée, percussive et nettement dissonante qui lui a valu une position de premier plan au sein de l'avant-garde européenne" (342).
Un autre domaine d'exploration consistait à obtenir des sons différents à partir d'instruments à percussion. Par exemple, à un moment de la Sonate pour deux pianos et percussions, le percussionniste doit frapper le bord d'une cymbale à l'aide d'une lame de couteau. Bartók aimait également le cymbalum, rarement utilisé. Parmi les autres particularités auxquelles s'adonnait le compositeur, citons Musique pour cordes, percussion et célesta, une œuvre orchestrale composée en 1936, dont la présentation fut inhabituelle puisque Bartók "a divisé les cordes en deux groupes de chambre placés de part et d'autre d'un piano, d'une harpe, d'un céleste et d'une section de percussions" (Wade-Matthews, 51). Cette œuvre est souvent considérée comme le chef-d'œuvre de Bartók.
D'un autre côté, Bartók, avec le compositeur russe Dmitri Chostakovitch (1906-1975), contribua à raviver l'intérêt pour la musique pour quatuors à cordes, qui était passée de mode au XIXe siècle. Le premier quatuor à cordes de Bartók, composé en 1908, fut influencé par le compositeur français Claude Debussy (1862-1918). Au total, Bartók composa six quatuors à cordes.
Vie personnelle et opinions
En 1910, Bartók épousa Márta Ziegler, l'une de ses élèves, alors âgée de 16 ans. Le couple eut un fils, né en 1910. Le compositeur divorça de Márta et se remaria en 1923. Sa seconde épouse, Ditta Pásztory, était également une ancienne élève; le couple eut un fils en 1924. En tant que nationaliste hongrois désireux de protéger sa culture distincte de celle de la moitié autrichienne de l'empire austro-hongrois, Bartók portait très souvent des vêtements nationaux et s'opposait catégoriquement à ce que ses enfants apprennent l'allemand (la langue de la moitié autrichienne de l'empire). Ce sentiment antigermanique ne fit que croître dans les années 1930 en raison de la menace croissante de l'Allemagne nazie et de mesures telles que les lois de Nuremberg de 1935, qui imposaient des classifications et des restrictions au peuple juif. Bartók refusa de se produire en Allemagne et ne permit pas au régime nazi, qu'il décrivait comme "un système de vol et de meurtre" (Schonberg, 664), de diffuser ses œuvres. Bartók quitta également son éditeur autrichien car celui-ci envoyait désormais des questionnaires pour déterminer la race et la religion des compositeurs figurant dans ses livres. Bartók passa chez Boosey and Hawkes, basé en Grande-Bretagne.
Œuvres importantes
Les œuvres les plus célèbres de Béla Bartók sont les suivantes:
2 concertos pour violon (1938 et 1945)
3 concertos pour piano (1926, 1931 et 1945)
6 quatuors à cordes (1908, 1917, 1927, 1928, 1934 et 1939)
Le château de Barbe-Bleue (A kékszakállú herceg vára) - opéra (1911-18)
Le Prince de bois (A fából faragott királyfi) - ballet (1918)
Le Mandarin merveilleux (A csodálatos mandarin) - ballet pantomime (1919)
Suite de danses (Táncszvit) - œuvre orchestrale (1923)
Mikrokosmos - 153 œuvres pour piano (1926-39)
Trois scènes de village - musique chorale (1930)
Cantata profana - musique chorale (1930)
Six Chants sicules (1932)
Musique pour cordes, percussion et célesta (1936)
Sonate pour deux pianos et percussions (1937)
Contrastes - œuvre pour clarinette, violon et piano (1938)
Divertimento- œuvre pour orchestre (1939)
Concerto pour orchestre (1943)
Mort et héritage
Dans sa nouvelle vie aux États-Unis, Bartók vivait en dehors de New York, dans un appartement à Forest Hills. C'est là que, pendant les cinq dernières années de sa vie, il composa, joua et poursuivit ses recherches sur la musique folklorique, cette fois sous les auspices de l'Université de Columbia. Même s'il avait échappé aux malheurs de l'Europe déchirée par la guerre, il traversa une période difficile sur le plan personnel. Il avait le mal du pays, des problèmes de santé et des soucis d'argent alors que les engagements en concert se raréfiaient.
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12 Great Composers
Le compositeur découvrit qu'il était atteint d'une leucémie en 1943, et sa dernière prestation publique, soutenue par l'Orchestre philharmonique de New York, eut lieu en janvier de la même année. Comme c'est souvent le cas pour les artistes, l'adversité dans sa vie privée se doubla d'un triomphe dans sa vie publique. Le Concerto pour orchestre de Bartók fut présenté à Boston en 1943, sous la direction de Serge Koussevitsky (1874-1951). Cette œuvre est souvent citée comme la plus populaire de Bartók. La même année, il composa la Sonate pour violon, commandée par le virtuose Yehudi Menuhin (1916-1999). L'une des dernières œuvres de Bartók fut le troisième concerto pour piano, qu'il dédia à sa femme. Béla Bartók mourut à New York le 26 septembre 1945. L'une de ses dernières paroles fut la suivante: "Le problème est que je dois partir alors que j'ai encore tant de choses à dire" (Schonberg, 666).
Outre sa popularité durable et sa contribution à la promotion de la musique traditionnelle hongroise, Bartók a également influencé des musiciens ultérieurs, notamment le compositeur hongrois György Ligeti et le compositeur polonais Witold Lutosławski (1913-94), qui a dédié sa Musique funèbre de 1948 à Bartók. Mikrokosmos, le recueil de 153 pièces pour piano arrangées par Bartók, est devenu un livre d'enseignement standard. Un recueil d'études de Bartók sur la musique folklorique a été publié en 1976 sous le titre Béla Bartók Essays.