Le concept de philosophe roi de Platon (celui qui gouverne selon des préceptes philosophiques et des vérités supérieures) est considéré comme le meilleur exemple de l'empereur romain Marc Aurèle (r. de 161 à 180 de notre ère), le dernier des cinq bons empereurs de Rome et un fervent étudiant du stoïcisme, dont les principes influencèrent à la fois sa vie et son règne.
Le spécialiste Michael Grant décrit Aurèle comme "le plus noble de tous les hommes qui, par leur simple intelligence et leur force de caractère, ont prisé et atteint la bonté pour elle-même et non pour une quelconque récompense" (Grant, 139). C'est l'opinion la plus répandue à propos d'Aurèle, dont le règne fut caractérisé par un dévouement à son peuple et une discipline stoïque clairement exprimée dans son œuvre "Pensées", un journal privé qu'il a tenu et qui, une fois publié, est devenu son plus grand héritage.
Aurèle était très respecté de son vivant et est appelé "le philosophe" par des sources antiques ultérieures telles que Dion Cassius (c. 155-235 de notre ère) et les auteurs de l'Historia Augusta (IVe siècle de notre ère), une histoire des empereurs romains. Il ressort clairement de ces deux sources que les Pensées d'Aurèle leur étaient connues, mais les auteurs se concentrent non seulement sur l'œuvre écrite - qu'Aurèle n'avait jamais eu l'intention de publier - mais aussi sur la manière dont il vécut sa philosophie tout au long de son règne.
Les Pensées sont le journal de Marc Aurèle, écrit vers 170-180 de notre ère alors qu'il était en campagne militaire en Germanie, et expriment sa vision philosophique, en particulier stoïcienne, de la vie. L'ouvrage est une réflexion privée sur la manière de vivre la meilleure vie possible - il ne s'agit pas d'un traité philosophique élaboré - et répète un certain nombre de thèmes tout au long de ses douze livres, Marc Aurèle se débattant avec les mêmes questions sérieuses à différents moments. Le spécialiste Gregory Hays explique:
Les questions auxquelles les Pensées tentent de répondre sont principalement d'ordre métaphysique et éthique: Pourquoi sommes-nous ici? Comment devons-nous vivre notre vie? Comment pouvons-nous nous assurer que nous faisons ce qui est juste? Comment pouvons-nous nous protéger contre le stress et les pressions de la vie quotidienne? Comment faire face à la douleur et au malheur? Comment vivre en sachant qu'un jour nous n'existerons plus? (xxiv-xxv)
Ses Pensées ont inspiré d'innombrables personnes à travers les siècles mais, de nos jours, il est probablement plus connu pour sa représentation dans des films hollywoodiens populaires tels que Gladiator (2000). Bien que sa représentation dans Gladiator soit quelque peu fictive, notamment en ce qui concerne la cause de sa mort et sa "vision" de Rome, le fait qu'il soit interprété avec autant de bienveillance dans le film témoigne de l'héritage qu'il nous a légué.
Quelle que soit la licence artistique que le film ait pu prendre avec les faits de la vie d'Aurèle, l'esprit qui se dégage de l'homme semble très proche du concept de Platon du philosophe roi articulé dans le livre V de la République. Platon écrit:
À moins, repris-je, que les philosophes ne deviennent rois dans les États, dou que ceux qu’on appelle à présent rois et souverains ne deviennent de vrais et sérieux philosophes, et qu’on ne voie réunis dans le même sujet la puissance politique et la philosophie, à moins que d’autre part une loi rigoureuse n’écarte des affaires la foule de ceux que leurs talents portent vers l’une ou l’autre exclusivement, il n’y aura pas, mon cher Glaucon, de relâche aux maux qui désolent les États. (République, V.473, Trad. E. Chambry,
Les Belles Lettres, 1933)
Aurèle lui-même n'aurait jamais pensé se comparer favorablement à la vision de Platon ni à l'idéal d'un empereur romain tel qu'incarné par son noble prédécesseur Antonin le Pieux (r. de 138 à 161 de notre ère) qui l'avait adopté comme successeur. Il se considérait comme un étudiant en philosophie, et non comme un "philosophe", et comme un homme luttant pour remplir ses obligations envers le peuple qui avait foi en lui, et non comme un "empereur". C'est précisément cette vision humble de lui-même qui fait de lui le candidat idéal au titre de philosophe roi. Le concept de Platon stipule que c'est précisément l'homme qui aime la sagesse plus que le pouvoir qui est le plus apte à gouverner.
Antonin le Pieux adopta et prépara Aurèle à devenir empereur romain, mais il est clair que le jeune homme aurait préféré la vie de philosophe. Dans ses Pensées, il revient constamment sur le thème de l'importance de mener une vie vraie et honnête pour tenter de trouver la paix intérieure plutôt que de prêter attention aux pièges du pouvoir et aux responsabilités inhérentes à la direction d'un empire.
Jeunesse et introduction à la philosophie
Marc Aurèle vit le jour en Espagne en 121 de notre ère dans une famille romaine aristocratique ayant des relations politiques. Il portait le nom de son père, Marcus Annius Verus, qui avait été nommé en l'honneur de son père et du père de son père, qui étaient sénateurs. Sa mère, Domitia Lucilla (née vers 155-161 de notre ère), était également une patricienne fortunée et avait de bonnes relations politiques. À l'âge de trois ans, après la mort de son père vers 124 de notre ère, Aurèle fut élevé principalement par ses grands-pères et ses nourrices.
À l'âge de onze ans, il fut initié à la pensée philosophique par l'un de ses professeurs, Diognète, et intériorisa la discipline qui le guiderait tout au long de sa vie. Dans ses Pensées, Marc Aurèle remercie Diognète pour les leçons apprises et les énumère:
de ne jamais croire à tout ce que les sorciers et les charlatans débitent de leurs incantations et des conjurations de démons, ni à tant d’autres inventions aussi fausses. Je lui ai dû encore de ne pas me plaire à élever des cailles de combat et de ne point me passionner pour ces puérilités; de savoir supporter la franchise de ceux qui me parlent; d’avoir contracté le goût de la philosophie ... d’avoir composé des dialogues dès mon enfance, et de m’être fait une joie du grabat, du simple cuir, et de tous les ustensiles dont se compose la discipline des philosophes grecs. (Pensées, I.6, trad. Barthélémy Saint-Hilaire, Germer Baillière et Cie)
La référence d'Aurèle au "grabat et au simple cuir" suggère que l'école philosophique cynique fut la première à avoir eu un impact majeur sur lui. L'école cynique avait été fondée par Antisthène d'Athènes (c. 445-365 av. J.-C.), un élève de Socrate (c. 469/470-399 av. J.-C.), et ses enseignements furent ensuite illustrés dans les vies de Diogène de Sinope (c. 404-323 av. J.-C.) et de Cratès de Thèbes (c. 360-280 av. J.-C.). Les philosophes cyniques, ainsi que Platon, influencèrent Zénon de Kition (c. 336-265 av. J.-C.), qui fonda l'école philosophique stoïcienne, laquelle aurait un impact profond sur la vie et la pensée de Marc Aurèle par la suite.
L'école cynique se caractérisait par une discipline de renoncement à soi qui rejetait le luxe, le statut social et la richesse, ainsi que les objets matériels inutiles. En se libérant de tout ce qui n'était pas essentiel - y compris les conventions sociales de politesse et de comportement "convenable" - on était libre d'être simplement soi-même.
Marc Aurèle semble avoir trouvé ce type de vie attrayant et le poursuivit en choisissant le "style grec", comme il l'appelle, en dormant sur le sol ou sur le plancher de sa chambre au lieu de son lit et en adoptant le simple manteau de laine du philosophe. S'il avait pleinement embrassé le cynisme, il aurait également renoncé à toute possession luxueuse, se serait contenté de la nourriture la plus simple et aurait rejeté l'hygiène élémentaire comme une expression de vanité. Son immersion dans ce mode de vie fut cependant rapidement freinée par sa mère, qui estimait qu'il devait poursuivre des objectifs plus conformes au nom de la famille et à son statut dans la société.
Sa mère et ses grands-pères engagèrent des tuteurs pour former le garçon et aucune dépense ne fut épargnée. L'historien Will Durant remarque que "jamais un garçon ne fut éduqué avec autant de persévérance" et poursuit: "quatre grammairiens, quatre rhéteurs, un juriste et huit philosophes se partagèrent son âme [...] il fut attaché dans son enfance au service des temples et des prêtres" (425). Son éducation précoce comprenait également les services des orateurs et rhétoriciens très respectés qu'étaient Hérode Atticus (c. 101-177 de notre ère) et Marcus Cornelius Fronto (mort vers la fin des années 160 de notre ère), qui exerceraient tous deux une influence considérable sur le jeune homme. Aurèle et Fronto deviendraient d'ailleurs de très grands amis.
Adoption et stoïcisme
En 138 de notre ère, Antonin le Pieux adopta Aurèle et son futur co-empereur Lucius Verus (r. de 161 à 169 de notre ère) comme successeurs, comme l'avait stipulé son prédécesseur Hadrien (r. de 117 à 138 de notre ère). Aurèle prit alors le nom de Marcus Aurelius Antoninus et se fiança à la fille d'Antonin, Faustine. Antonin entama alors une préparation minutieuse du jeune homme en tant que futur empereur, ce qui impliquait non seulement des responsabilités à la cour, mais aussi une éducation plus poussée par des précepteurs.
Marc Aurèle se plia consciencieusement aux souhaits de son père adoptif, mais ne trouvait pas sa nouvelle vie satisfaisante. Dans ses lettres à Fronto (toujours existantes), il se plaignait de ses leçons de droit ennuyeuses, de ses tâches de secrétariat et de sa vie à la cour. Il exprima également ces sentiments dans l'un des vers les plus célèbres des Pensées:
Telles seront les pensées que tu nourriras habituellement, tel aussi sera ton esprit; car l’âme prend la couleur et la teinte des pensées qu’elle entretient. Applique-toi donc à la teindre dans de constantes réflexions telles que les suivantes: « En quelque endroit qu’on vive, on y peut toujours vivre bien; si c’est à la cour que l’on vit, on peut vivre bien et se bien conduire même dans une cour. » (Pensées, V.16, ibid)
Fronto avait tenté de dissuader son élève de s'adonner à la philosophie, estimant qu'il s'agissait d'une perte de temps, et l'avait orienté vers ce qu'il considérait comme des disciplines plus pratiques. Cependant, Marc Aurèle avait toujours été prédisposé à la philosophie, et sa préoccupation pour la réflexion introspective sur le sens de toute action, et de la vie en général, se poursuivrait tout au long de sa vie.
Fronto fut donc déçu lorsqu'il apprit que, dans le cadre de l'éducation de son ancien élève à la cour, il recevrait des cours de philosophie; mais cette nouvelle dut être un grand soulagement pour Marc Aurèle. Antonin engagea deux philosophes qui allaient grandement impressionner Marc Aurèle et dont les enseignements allaient influencer le reste de la vie du jeune homme: Apollonios de Chalcédoine (date inconnue) et Quintus Junius Rusticus (c. 100-170 de notre ère), l'un des plus grands philosophes stoïciens de son temps.
Ces tuteurs l'initièrent au stoïcisme, l'école philosophique énoncée pour la première fois par Zénon de Kition, mais pleinement exprimée dans les écrits d'Épictète (c. 50-130 de notre ère) dans ses Discours et son Manuel Le stoïcisme soutenait qu'il existait une force éternelle liant l'univers, appelée le logos, d'où provenaient toutes les choses. Le logos infusait tout, liait l'univers et lui permettait de se dissiper tout cela en temps voulu, conformément à la nature.
Il n'y a donc rien dans la vie qui puisse être qualifié de "mauvais", car tous les événements observables et non observables découlent naturellement du logos et les jugements sur le caractère "mauvais" ou "bon" d'une expérience ne sont que des perceptions sensorielles éphémères de l'individu. Une personne peut mener une vie paisible et harmonieuse si elle se concentre sur la nature du logos et contrôle ses impressions sensorielles. Épictète écrit:
Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, ce sont les jugements qu’ils portent sur les choses. Ainsi la mort n’a rien de redoutable, autrement elle aurait paru telle à Socrate; mais le jugement que la mort est redoutable, c’est là ce qui est redoutable. Ainsi donc quand nous sommes contrariés, troublés ou peinés, n’en accusons jamais d’autres que nous-même, c’est-à-dire nos propres jugements. (Manuel I. 5, trad. F. Thurot, Remacle)
Dans ses Pensées, Marc Aurèle remercie Apollonios et Rusticus pour leur enseignement et note que Rusticus l'initia à l'œuvre d'Épictète en lui prêtant son propre exemplaire (Pensées, I.7). Le point de vue stoïcien devint le point de vue de Marc Aurèle à partir de ce moment et il l'exprima dans un autre des passages les plus connus des Pensées:
Ô monde, tout me convient de ce qui peut convenir à ton harmonie; rien n’est pour moi prématuré ni tardif de ce qui pour toi vient à son temps. Tout est fruit pour moi, ô nature, de ce que produisent les saisons fixées par toi. Tout vient de toi, tout vit en toi, tout retourne en toi. (Pensées, IV.23, ibid)
En 161 de notre ère, Antonin mourut et Aurèle devint empereur. Le sénat préféra ignorer le souhait d'Hadrien de voir Verus gouverner avec lui, car il le jugeait inapte à cette fonction. Aurèle leur rappela cependant qu'Antonin avait promis à son prédécesseur de l'adopter, ainsi que Verus, comme successeurs et qu'il refusait de prendre le pouvoir si Verus n'était pas nommé co-empereur; le sénat n'eut d'autre choix que d'obtempérer.
Le philosophe roi
Verus était plus jeune que Marc Aurèle et beaucoup plus intéressé par la recherche du plaisir que par les devoirs d'un empereur. Il organisait des fêtes somptueuses et coûteuses et offrait de luxeux cadeaux à ses invités. Aurèle, quant à lui, continuait à vivre comme il l'avait toujours fait: simplement et sans prétention. Il prenait ses responsabilités au sérieux, Il prenait ses responsabilités au sérieux, même si elles ne lui convenaient pas toujours, et mettait toute son énergie à s'assurer que ses décisions étaient justes. Dion Cassius écrit:
L'empereur, dès qu'il pouvait se libérer de la guerre, tenait sa cour ; il avait l'habitude d'accorder beaucoup de temps aux orateurs et entrait longuement dans les enquêtes préliminaires et les examens, afin d'assurer une stricte justice par tous les moyens possibles. En conséquence, il lui arrivait souvent de juger la même affaire pendant onze ou douze jours, même si parfois il siégeait la nuit. Il ne disait, n'écrivait, ni ne faisait rien comme s'il s'agissait d'une affaire mineure, mais il lui arrivait de passer des journées entières sur le moindre point, estimant qu'il n'était pas juste que l'empereur fasse quoi que ce soit à la hâte. Il pensait en effet que s'il négligeait le moindre détail, cela jetterait l'opprobre sur toutes ses autres actions. (Histoire romaine, livre LXXII.6)
Peu après son accession au pouvoir, la province de Syrie se révolta et le royaume des Parthes envahit l'Arménie, placée sous la protection de Rome. Lorsque Dion Cassius note que Marc Aurèle s'acquittait de ses fonctions lorsqu'il "pouvait se libérer de la guerre", il fait référence à un temps très court en effet; mais Marc Aurèle était également pressé par d'autres affaires, tant publiques que privées.
Tout au long des dix-neuf années de son règne, Marc Aurèle fut constamment harcelé par des campagnes militaires sanglantes, des catastrophes naturelles et des chagrins domestiques. Des cinq fils que Faustine lui donna, un seul, Commode (r. de 177 à 192), survécut jusqu'à l'âge adulte. Aurèle n'était empereur que depuis un an lorsque le Tibre entra en crue en 162 de notre ère, détruisant les récoltes et le bétail, ce qui provoqua une famine généralisée.
Lorsque Verus rentra à Rome après ses campagnes militaires contre les Parthes et les rebelles syriens, ses troupes ramenèrent la peste avec elles. Verus mourrait de la peste en 169 de notre ère, laissant Marc Aurèle régner seul. À peu près à la même époque (c. 162-166 de notre ère), on assista à une recrudescence des persécutions chrétiennes, que l'on attribua à Aurèle. Les chercheurs modernes affirment cependant qu'Aurèle n'aurait jamais ordonné un tel édit et qu'il aurait en fait essayé de protéger les chrétiens contre des pratiques injustes telles que l'augmentation des impôts et la confiscation des biens. Méliton de Sardes (mort en 180 de notre ère), qui adressa son Apologie à Aurèle, se réfère clairement à lui comme à un protecteur, et non à un persécuteur, en lui demandant d'intervenir.
Les tribus des Marcomans et des Quades commencèrent à envahir les frontières vers 166 de notre ère et Marc Aurèle consacra des heures et des ressources incalculables à essayer de sécuriser et de maintenir les frontières et d'étendre le territoire de Rome à la région du Danube pour servir de tampon. Bien que Platon promette la "fin des ennuis" lorsqu'un philosophe devient roi, Marc Aurèle fut confronté à de nombreux problèmes tout au long de son règne. Malgré tout, comme l'attestent l'histoire et ses propres écrits, Aurèle fit de son mieux pour rester fort face aux défis, faisant preuve de ce qu'Hemingway appellerait plus tard "la grâce sous pression", c'est-à-dire la capacité à rester fort et fidèle à soi-même, quelles que soient les circonstances.
Conclusion
Les choix faits par Aurèle au cours de son règne témoignent d'une âme bienveillante, compatissante et disciplinée, qui accordait une grande importance à la loyauté envers sa propre personne et envers les autres. Son insistance à honorer les promesses et à maintenir la tradition le conduisit cependant parfois à l'erreur, comme on l'a vu lorsqu'il refusa de gouverner à moins que les souhaits d'Hadrien ne soient honorés et que Verus ne gouverne avec lui. Verus se révéla un empereur bien inférieur à Marc Aurèle à tous égards.
Le choix de Commode comme co-dirigeant et successeur en 177 de notre ère fut cependant sa plus grande erreur, car son fils ne partagea jamais ses grands idéaux et ne fit jamais preuve de la même intelligence que lui. Le fait que Commode ait essentiellement détruit tout ce qu'Aurèle avait fait de bien, en confiant la direction de Rome à des incompétents et en se divertissant constamment dans son sérail (qui aurait compté 300 filles et 300 garçons) montre à quel point le jugement d'Aurèle pouvait être médiocre. Aurèle semble avoir pressenti que son fils ne serait jamais à la hauteur du potentiel qu'il pensait avoir décelé en lui et, à sa mort en 180 de notre ère, Commode s'avérerait être le pire choix possible pour lui succéder.
Pourtant, c'est cette "humanité", cette bonté et cet espoir de voir les autres partager sa vision et devenir la meilleure version d'eux-mêmes qui rendent Aurèle si admirable et les Pensées si durables. L'œuvre témoigne de la noblesse de son auteur et perdure en raison de l'immense sens pratique et de la vision de la vie qu'elle exprime. Il n'y a pas de place pour l'apitoiement ou l'auto-excuse dans les pages des Pensées; seulement l'exhortation constante à faire de son mieux en toute circonstance et à utiliser son temps avec sagesse, car la vie est courte. Il écrit:
Il te faut donc finir un jour par sentir de quel ordre tu fais partie et quel est l’être ordonnateur de ce monde, de qui tu n’es qu’une émanation. Tu dois comprendre que la brièveté du temps qui t’est accordé est très circonscrite et que, si tu n’emploies pas ce temps, il disparaîtra comme tu dois disparaître toi-même sans pouvoir jamais revenir. (Livre II.4)
Marc Aurèle avait compris que, si l'on veut changer le monde, on ne peut pas vivre comme le reste du monde. Même au sommet de sa puissance, il n'a jamais trahi sa vision philosophique ni sa croyance en un sens fondamental de la vie humaine. Il exprime cet idéal dans le livre VIII.59 des Pensées: "Les hommes sont faits évidemment les uns pour les autres. Ainsi, éclaire-les, ou sache au moins les supporter."
Dans ce passage, comme dans beaucoup d'autres, Marc Aurèle préfigure les idéaux bien plus tardifs des existentialistes du XXe siècle, qui considéraient eux aussi que le but de la vie est d'être le meilleur être humain possible, quelles que soient les circonstances ou les actions d'autrui. En même temps, bien sûr, il incarne le concept antérieur du philosophe roi de Platon: l'homme qui gouverne, non pas pour lui-même, mais pour le plus grand bien de son peuple.